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Marguerite obtint la permission d'allumer la télévision.

Chaîne 423. Météo. Le niveau de pollution dans les grandes villes a dépassé la cote d'alerte. On déplore de plus en plus de problèmes respiratoires ainsi que des irritations oculaires. Le gouvernement prévoit l'ouverture d'un débat au Parlement sur la question et, entre-temps, a désigné un comité de sages pour proposer des solutions. Cela devrait déboucher sur un rapport qui…

Chaîne 67. Publicité. «Mangez des yaourts! Mangez des yaourts! MANGEZ DES YAOURTS!»

Chaîne 622. Divertissement. Et voici l'émission «Piège à réflexion», avec toujours l'énigme des six allumettes et des huit triangles équilatéraux…

Maximilien arracha la télécommande des mains de sa fille et éteignit la télévision.

– Oh non! papa. Je veux savoir si Mme Ramirez a résolu l'énigme des six allumettes qui font huit triangles!

Le père de famille ne céda pas. Il tenait à présent la télécommande; dans toute cellule familiale humaine, c'était le détenteur de ce sceptre qui en était le roi.

Maximilien demanda à sa fille de cesser de jouer avec la salière et à sa femme d'arrêter d'avaler d'aussi grosses bouchées.

Tout l'irritait.

Lorsque sa femme lui proposa un nouveau dessert de sa création, un flan en forme de pyramide, il n'en put plus, il préféra quitter la table et aller se réfugier dans son bureau.

Pour s'assurer de ne pas être dérangé, Maximilien verrouilla sa porte.

Mac Yavel étant en permanence allumé, il n'eut qu'à appuyer sur une'touche pour rentrer dans le jeu Évolution et se détendre en guerroyant contre les peuplades étrangères qui menaçaient sa dernière civilisation mongole pourtant en plein épanouissement.

Cette fois, il misa tout sur l'armée. Plus d'investissements dans l'agriculture, plus d'investissements dans la science, dans l'éducation ou les loisirs. Rien qu'une immense armée et un gouvernement despotique. À sa grande surprise, ce choix donna des résultats intéressants. Sa horde de Mongols avança d'ouest en est, des Alpes italiennes vers la Chine, en envahissant toutes les cités situées sur son passage. La nourriture qu'ils n'avaient pas acquise par l'agriculture, ils l'obtenaient par le pillage. La science à laquelle ils avaient renoncé, ils l'obtenaient en s'appropriant les laboratoires des villes conquises. Quant à l'éducation, elle n'était plus nécessaire. Somme toute, avec une dictature militaire, tout fonctionnait vite et bien. Il se retrouva en l'an 1750 avec ses chariots et ses catapultes occupant pratiquement toute la planète. Il se produisit, hélas, une révolte dans l'une des capitales au moment où il tentait de la faire passer du stade de la tyrannie à celui de la monarchie éclairée. Le relais s'étant mal fait, il ne parvint pas à reprendre le contrôle et la révolte s'étendit à d'autres villes.

Une nation voisine, toute petite mais démocratique, n'eut dès lors aucun mal à envahir sa civilisation.

Une ligne de texte apparut soudain sur l'écran.

Tu n 'es pas au jeu. Quelque chose te tracasse?

– Comment le sais-tu?

L'ordinateur émit par ses haut-parleurs:

– À ta façon de frapper mes touches. Tes doigts glissent et tu frappes souvent deux touches à la fois. Je peux t'aider?

Le commissaire s'étonna:

– En quoi un ordinateur pourrait-il m'aider à mater une révolte de lycéens?

– Eh bien…

Maximilien appuya sur une touche.

– Donne-moi une autre partie, c'est la meilleure façon de m'aider. Plus je joue, mieux je comprends le monde dans lequel je vis et les choix auxquels ont été contraints mes ancêtres.

Il se décida pour une civilisation de type sumérien qu'il fit avancer jusqu'à l'an 1980. Cette fois, il parvint à suivre une évolution logique: despotisme, monarchie, république, démocratie; il réussit à bâtir une grande nation technologiquement avancée. Subitement, en plein vingt et unième siècle, son peuple fut décimé par une épidémie de peste. Il n'avait pas assez soigné l'hygiène de ses habitants et il avait, notamment, omis de construire le tout-à-1'égout dans les grandes villes. Du coup, faute d'évacuation organisée, les déchets accumulés s'étaient transformés en bouillons de culture dans les cités et cela avait attiré les rats. Mac Yavel lui signala qu'aucun ordinateur n'aurait laissé passer une telle erreur.

Ce fut à cet instant précis que Maximilien pensa que, dans l'avenir, il y aurait peut-être intérêt à mettre un ordinateur à la tête des gouvernements car lui seul était capable de n'oublier aucun détail. Un ordinateur ne dort jamais. Un ordinateur n'a pas de problèmes de santé. Un ordinateur n'a pas de troubles de sexualité. Un ordinateur n'a pas de famille et pas d'amis. Mac Yavel avait raison. Un ordinateur, lui, n'aurait pas omis d'installer le tout-à-1'égout.

Maximilien entama une nouvelle partie avec une civilisation de type français. Plus il jouait, plus il se méfiait de la nature humaine, perverse en son essence, incapable de discerner son intérêt à long terme, avide seulement de plaisirs immédiats.

À l'écran, justement, il assistait à une révolution estudiantine dans l'une de ses capitales, en 1635 de l'époque référence. Ces gamins qui trépignaient comme des enfants gâtés parce qu'ils n'obtenaient pas sur-le-champ toutes les satisfactions qu'ils désiraient…

Il lança ses troupes contre les étudiants et finit par les exterminer.

Mac Yavel lui fit une curieuse remarque:

– Tu n'aimes pas tes congénères humains?

Maximilien prit une canette de bière dans son petit réfrigérateur et but. Il aimait bien se rafraîchir le gosier tout en se divertissant avec son simulateur de civilisations.

Il actionna le curseur pour venir à bout des derniers îlots de résistance puis, la révolution enfin anéantie, il instaura une plus grande surveillance policière et implanta un réseau de caméras vidéo pour mieux contrôler les faits et gestes de sa population.

Maximilien regarda ses habitants aller et venir et tourner en rond comme on observe des insectes. Enfin, il consentit à répondre.

– J'aime les humains… malgré eux.

138. RIPAILLE

Peu à peu, la Révolution devint un immense fouillis inventif.

À Fontainebleau, les huit initiateurs étaient un peu dépassés par l'ampleur que prenait leur fête. En plus du podium et de leurs huit stands, des estrades et des tables avaient poussé partout dans la cour comme des champignons.

Naquirent ainsi des stands «peinture», «sculpture», «invention», «poésie», «danse», «jeux informatiques», où des jeunes révolutionnaires présentèrent spontanément leurs œuvres. Le lycée se transforma peu à peu en un village bariolé dont les habitants se tutoyaient, s'abordaient librement, s'amusaient, bâtissaient, testaient, expérimentaient, observaient, goûtaient, jouaient ou, tout simplement, se reposaient.

Sur le podium, avec le synthétiseur de Francine, des milliers d'orchestres en tout genre pouvaient être reproduits, et, nuit et jour, des musiciens plus ou moins expérimentés ne manquaient pas d'en profiter. Là encore, la technologie de pointe produisit dès le premier jour un phénomène curieux: le métissage de toutes les musiques du monde.

C'est ainsi qu'on vit un joueur de sitar indien participer à un groupe de musique de chambre, une chanteuse de jazz se faire accompagner par un groupe de percussion balinais; à la musique bientôt se joignit la danse, une danseuse de théâtre kabuki japonais se mit à effectuer sa danse du papillon sur un rythme de tam-tam africain, un danseur de tango argentin parada sur fond de musique tibétaine, quatre rats de l'opéra effectuèrent des entrechats avec en fond sonore de la musique planante new-age. Quand le synthétiseur ne suffisait pas, on fabriquait des instruments.

Les meilleurs morceaux étaient enregistrés et diffusés sur le réseau informatique. Mais la Révolution de Fontainebleau ne se contentait pas d'émettre, elle réceptionnait aussi les musiques créées par les autres «Révolutions des fourmis», à San Francisco, Barcelone, Amsterdam, Berkeley, Sydney ou Séoul.

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