C'était une affection qu'il lui avait portée depuis le premier instant où il l'avait aperçue, le jour de la rentrée au lycée. Elle n'avait cessé de s'amplifier comme lorsqu'il lui avait soufflé la solution, en cours de mathématiques. Elle lui avait donné tous les courages pour la tirer à deux reprises des griffes de Gonzague Dupeyron et de sa bande. Elle l'avait poussé à l'inclure dans son groupe de rock.
Elle comprenait David, il était désormais dans son esprit même.
1+1 = 3. Ils étaient trois, David, Julie et leur complicité.
Une vague glacée parcourut leur échine quand la communication cessa. Ils ôtèrent leurs antennes nasales et Julie se blottit tout contre David pour se réchauffer. Il lui caressa avec douceur le visage et les cheveux et, dans le grand sanctuaire triangulaire, tendrement, ils s'endormirent côte à côte.
202. ENCYCLOPEDIE
TEMPLE DE SALOMON: Le temple du roi Salomon à Jérusalem représentait un modèle de formes géométriques parfaites. Quatre plates-formes ceintes chacune d'un mur de pierre le composaient. Elles représentaient les quatre mondes qui forment l'existence.
– Le monde matériel: le corps.
– Le monde émotionnel: l'âme.
– Le monde spirituel: l'intelligence.
– Le monde mystique: la part de divinité qu'il y a en chacun de nous.
Au sein du monde divin, trois portiques étaient censés représenter:
– La Création.
– La Formation.
– L'Action.
Le monument avait pour forme générale un grand rectangle de cent coudées de longueur sur cinquante coudées de largeur et trente coudées de hauteur. Situé au centre, le temple mesurait trente coudées de longueur sur dix coudées de largeur. Au fond du temple était placé le cube parfait du Saint des Saints. Dans le Saint des Saints était disposé l'autel en bois d'acacia. Il était parfaitement cubique avec des arêtes de cinq coudées. Déposés sur sa surface, douze pains représentaient chaque mois de l'année.
Au-dessus, le chandelier à sept branches symbolisait les sept planètes.
D'après les textes anciens et notamment ceux de Philon d'Alexandrie, le temple de Salomon est une figure géométrique calculée pour former un champ de forces. Au départ, le nombre d'or est la mesure de la dynamique sacrée. Le tabernacle est censé condenser l'énergie cosmique. Le temple est conçu comme un lieu de passage entre deux mondes: le visible et l'invisible.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.
203. ZUT, L'AMOUR
Ici se perdaient les traces de pas. Maximilien déambulait de haut en bas et de long en large sur la colline sans comprendre comment une pyramide de béton s'était ainsi volatilisée. Son sens de l'observation était en alerte. Quelque chose clochait, mais c'est comme s'il lui manquait un élément pour appréhender le décor. Du talon, il martela le sol.
Sous la chaussure de Maximîlien, une semelle, sous la semelle l'herbe, sous l'herbe la terre.
Sous la terre, des racines, des vers, des cailloux, du sable. Sous le sable, une paroi de béton. Sous le béton, le plafond de la loge de Julie. Sous le plafond, de l'air.
Sous l'air, un drap de coton. Sous le drap, un visage endormi. Sous la peau du visage, des veines, des muscles, du sang.
Toc, toc.
Julie se réveilla en sursaut. Arthur passa la tête par l'entrebâillement de la porte. Il était venu la réveiller et ne s'offusqua pas de la présence de David dans le lit de la jeune fille. Il vit ses antennes sur la table de chevet et comprit qu'ils s'en étaient servis.
Aux jeunes gens qui se frottaient les yeux, il demanda si elles avaient bien fonctionné.
– Oui, répondirent-ils à l'unisson.
Alors, Arthur s'esclaffa. Ils le regardèrent sans comprendre tandis que le vieil homme retenait une quinte de toux pour leur expliquer qu'il ne s'agissait là que de prototypes. En fait, les habitants de la pyramide n'avaient pas encore eu le temps de mener à bien ce projet.
– Il faudra sûrement attendre des siècles avant que des humains puissent se livrer à une Communication Absolue.
– Vous vous trompez, votre système est parfaitement au point, ça a marché, rétorqua David.
– Ah oui, vraiment?
Le vieil homme afficha un air réjoui, démonta les antennes et désigna un emplacement vide.
– Ça m'étonnerait que ça puisse marcher sans piles. Comment les pompes olfactives pourraient-elles se déclencher?
Douche froide pour les jeunes gens.
Arthur, pour sa part, était franchement amusé.
– Vous vous êtes imaginé que ça marchait, les enfants, c'est tout. Mais c'est déjà beaucoup. En fait, c'est comme si ça avait marché vraiment. Lorsqu'on croit très fort à quelque chose, même d'imaginaire, c'est comme si ça existait réellement. Vous vous êtes figuré qu'avec ce petit gadget, les humains avaient droit eux aussi à leurs C.A. et vous avez vécu une expérience unique. Remarquez, il y a des religions entières qui ont été fondées ainsi.
Arthur rangea soigneusement les prototypes dans leur boîte.
– Et quand bien même cela marcherait, serait-il vraiment souhaitable de répandre ces antennes artificielles? Supposez ce qui se passerait si tout le monde était capable de lire dans l'esprit des autres… Si vous voulez mon avis, ce serait une catastrophe. Nous ne sommes pas prêts pour ça.
A leur mine, Arthur comprenait bien que Julie et David étaient fort déçus.
– Sacrés gamins, marmonna-t-il dans l'escalier.
Dans le lit, les deux révolutionnaires avaient l'impres sion de s'être fait avoir. Ils y avaient tellement cru, à leur C.A.
– J'ai toujours su que c'était impossible, affirma David avec une parfaite mauvaise foi.
– Moi aussi, renchérit Julie.
Et ensemble, ils éclatèrent de rire en roulant l'un sur l'autre. Arthur avait peut-être raison. Il suffisait de croire très fort aux choses pour qu'elles existent. David se leva pour fermer la porte et revint vers le lit. De leurs genoux, ils surélevèrent drap et couverture pour s'en faire une tente.
Dans les épaisseurs de coton, leurs bouches se cherchèrent et se trouvèrent. Après avoir mêlé leurs antennes, ils mêlèrent leurs langues, leurs épidémies, puis leurs respirations haletantes et leurs sueurs.
Elle était au pied du mur. Pour la première fois, elle allait connaître l'amour physique. Finie la virtualité, place à la réalité. Elle permit à David de la caresser, toutes ses cellules neuronales se demandant ce qu'il fallait en penser.
La plupart de ses neurones se prononçaient pour un laisser-aller total. Après tout, ils connaissaient bien David et il était inéluctable qu'un jour Julie perdrait sa virginité. Une petite minorité considérait, elle, que ce serait renoncer à ce que la jeune fille avait de plus important, sa pureté. Les caresses de David déclenchèrent cependant des vagues irisées d'acétylcholine – cette drogue euphorisante naturelle – qui finirent par réduire au silence les neurones réactionnaires.
C'était comme si une ultime porte centrale s'était enfin ouverte. Julie se sentait à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de son corps. À l'intérieur, il y avait cette respiration ample et ce sang qui battait à ses tempes pour la remercier de leur autoriser le plaisir. Son cerveau était parcouru de milliers d'infimes courants de foudre électrique.
Échange de fluides.
Elle était heureuse d'être vivante, heureuse d'exister, heureuse d'être née et d'être celle qu'elle était à présent. Il y avait tant à apprendre, tant de gens à rencontrer, le monde était si vaste.
Elle comprenait pourquoi elle avait tellement redouté jusqu'ici de passer à l'acte. Il lui avait d'abord fallu trouver les circonstances idéales.
Maintenant, elle savait.