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76. ENCYCLOPEDIE

VOYAGE VERS LA LUNE : Il est des moments où les rêves les plus fous semblent réalisables à condition d'oser les tenter.

En Chine, au treizième siècle, sous le règne des empereurs de la dynastie Song, il se produisit un mouvement culturel visant à admirer la iune. Les plus grands poètes, les plus grands écrivains, les plus grands chanteurs n'avaient plus pour source d'inspiration que cette planète dans le ciel.

Un des empereurs Song, lui-même poète et écrivain, voulut en avoir le cœur net. Il admirait si fort la lune qu'il souhaita être le premier homme à y prendre pied.

Il demanda à ses savants de fabriquer une fusée. Les Chinois savaient déjà fort bien se servir de la poudre. Ils placèrent donc de volumineux pétards sous une petite cahute au centre de laquelle trônerait l'empereur Song.

Ils espéraient que la puissance de l'explosion projetterait le souverain jusqu'à la lune. Bien avant Neil Armstrong, bien avant Jules Verne, ces Chinois avaient fabriqué ainsi la première fusée interplanétaire. Mais les recherches préliminaires avaient dû être menées d'une façon trop sommaire: à peine les mèches des réacteurs allumées, ceux-ci se comportèrent exactement comme des feux d'artifice, c'est-à-dire qu'ils explosèrent.

Avec son véhicule, l'empereur Song fut pulvérisé parmi ces énormes gerbes colorées et incandescentes censées le propulser jusqu'à l'astre des nuits.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

77. PREMIER ENVOL

Toute la nuit, ils ont composé des morceaux et ils ont répété, sans relâche. Au matin du concert, ils se sont encore remis au travail. L'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu nourrissait leurs textes mais ils s'échinaient aussi sur les mélodies et les rythmiques.

Dès vingt heures, ils étaient au centre culturel à accorder leurs instruments et à tester l'acoustique du lieu.

Dix minutes avant qu'ils n'entrent en scène, alors qu'ils s'efforçaient en coulisses de bien se concentrer, un journaliste se présenta afin de les interviewer pour la feuille locale.

– Bonjour, je suis Marcel Vaugirard, du Clairon de Fontainebleau.

Ils considérèrent le petit bonhomme rondouillard. Des joues et un nez légèrement violacés laissaient transparaître un goût prononcé pour les repas bien arrosés.

– Alors, les jeunes, vous comptez enregistrer un disque?

Julie n'avait pas envie de parler. Ji-woong s'en chargea:

– Oui.

La physionomie du journaliste exprima la satisfaction.

Le professeur de philosophie avait raison. Dire «oui», cela faisait toujours plaisir et simplifiait la communication.

– Et qui s'appellera?

Ji-woong lança les premiers mots qui lui passèrent par la tête:

– Réveillez-vous.

Le journaliste nota scrupuleusement.

– Et les paroles parlent de quoi?

– Euh… de tout, dit Zoé.

Cette fois, la remarque était trop vague pour satisfaire le journaliste, il enchaîna:

– Et votre rythmique est inspirée par quelle grande tendance?

– On a essayé d'inventer un rythme à nous, dit David. On veut être originaux.

Le journaliste notait toujours, comme une ménagère inscrivant la liste de ses commissions.

– J'espère que l'on vous a donné une bonne place au premier rang, énonça Francine.

– Non. Pas le temps.

– Comment ça, pas le temps?

Marcel Vaugirard rangea son calepin et leur tendit la main.

– Pas le temps. J'ai encore plein de choses à faire ce soir. Je ne peux pas bloquer une heure pour vous écouter. C'aurait été avec plaisir, vraiment, niais désolé, je ne peux pas.

– Pourquoi écrire un article, alors? s'étonna Julie.

Il s'approcha de l'oreille de Julie comme pour lui glisser une confidence:

– Apprenez le grand secret de notre profession: «On ne parle bien que de ce qu'on ne connaît pas.»

Le raisonnement abasourdit la jeune fille, mais comme le journaliste semblait parfaitement satisfait de cet état de choses, elle n'osa pas insister ni tenter de le retenir.

Le directeur du centre culturel entra en trombe. Il ressemblait comme deux gouttes d'eau à son frère, le proviseur du lycée.

– Préparez-vous. Ça va être à vous.

Julie écarta discrètement le rideau. Cette salle qui pouvait contenir environ cinq cents personnes était aux trois quarts vide.

Comme les Sept Nains, elle avait le trac. Paul grignotait pour se donner des forces. Francine fumait de la marijuana. Léopold fermait les yeux dans une tentative de méditation. Narcisse révisait ses accords de guitare. Ji-woong vérifiait les partitions de tout le monde. Zoé paraissait parler toute seule; en fait, elle se répétait pour la millième fois les paroles des chansons tant elle craignait un trou de mémoire au beau milieu d'un couplet.

Faute d'ongle rescapé à ronger, Julie s'escrimait sur l'extrémité de son annulaire. Elle s'écorcha et suça sa plaie.

Sur la scène, le directeur les annonça:

– Mesdames et messieurs, merci d'être venus si nombreux pour cette inauguration du nouveau centre culturel de Fontainebleau. Les travaux ne sont pas encore complètement terminés et je vous prierai d'excuser la gêne occasionnée par ces retards. En tout cas, à salle nouvelle, nouvelle musique.

Au premier rang, des personnes âgées ajustèrent leurs prothèses auditives. Il s'agissait d'abonnés qui assisteraient, sans en manquer aucun, à tous les spectacles qu'on voudrait bien leur proposer. Ne serait-ce que pour sortir.

Le directeur haussa le ton:

– Vous allez entendre ce qui se fait de plus intéressant et de plus rythmé dans notre région. Le rock, on aime ou on n'aime pas, mais je suis convaincu que nos musiciens valent la peine qu'on les écoute.

Ce directeur les menait droit au désastre. Il était en train de les présenter comme un groupe folklorique local.

Lisant l'indignation sur leurs visages, il changea de registre:

– Vous avez devant vous une formation de rock'n'roll et, ce qui ne gâte rien, la chanteuse est fort mignonne.

Peu de réactions.

– Elle se nomme Julie Pinson et c'est la soliste du groupe Blanche-Neige et les Sept Nains. C'est leur première scène et on les applaudit bien fort pour les encourager.

De maigres applaudissements retentirent dans les premiers rangs.

Le directeur tira Julie des coulisses et l'amena par la main sous les projecteurs, au centre de la scène.

Julie se plaça devant le micro. Derrière elle, les Sept Nains s'installèrent lentement face à leurs instruments.

Julie scruta le noir de la salle. Aux premiers rangs, les retraités. Derrière, quelques désœuvrés éparpillés avaient dû entrer là par hasard.

Dans le fond, quelqu'un hua:

– À poil!

Le spectateur qui la narguait était trop loin pour qu'elle en distingue le visage mais sa voix était facile à reconnaître: Gonzague Dupeyron. Sans doute était-il venu avec sa bande au complet pour tout gâcher.

– À poil! À poil! criaient-ils tous.

Francine fit signe de commencer au plus vite pour couvrir les appels intempestifs.

Sur le sol était collée la liste des morceaux dans l'ordre de leur interprétation.

1. BONJOUR

Derrière Julie, Ji-woong annonça le rythme. À la console, Paul réglait les potentiomètres et les projecteurs envoyèrent sur le rideau arrière des spectres multicolores irisés assez kitsch.

Au micro, Julie chanta:

Bonjour,

Bonjour, spectateurs inconnus.

Notre musique est une arme pour changer le monde.

Ne souriez pas. C'est possible. Vous le pouvez. H suffit de vouloir vraiment quelque chose pour que cela se produise.

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