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103e approche et palpe les antennes de la tête décapitée. Même en morceaux, une fourmi peut continuer d'émettre. La reine morte a conservé un mot odorant sur la pointe de ses antennes.

Les déistes.

147. ENCYCLOPEDIE

KAMERER: L'écrivain Arthur Koestler décida un jour de consacrer un ouvrage à l'imposture scientifique. Il interrogea des chercheurs qui l'assurèrent que la plus misérable des impostures scientifiques était sans doute celle à laquelle s'était livré le docteur Paul Kamerer.

Kamerer était un biologiste autrichien qui réalisa ses principales découvertes entre 1922 et 1929. Éloquent, charmeur, passionné, il prônait que «tout être vivant est capable de s'adapter à un changement du milieu dans lequel il vit et de transmettre cette adaptation à sa descendance». Cette théorie était exactement contraire à celle de Darwin. Alors, pour prouver le bien-fondé de ses assertions, le docteur Kamerer mit au point une expérience spectaculaire.

Il prenait des œufs de crapaud accoucheur à peau sèche se reproduisant sur terre ferme et les déposait dans l'eau.

Or, les animaux issus de ces œufs s'adaptaient et présentaient des caractéristiques de crapauds aquàtiques. Ils avaient ainsi une bosse noire copulatoire sur le pouce, bosse qui permettait aux crapauds aquatiques mâles de s'accrocher à la femelle à peau glissante afin de pouvoir s'accoupler dans l'eau. Cette adaptation au milieu aquatique était transmise à leur progéniture, laquelle naissait directement avec une bosse de couleur foncée au pouce. La vie était donc capable de modifier son programme génétique pour s'adapter au milieu aquatique. Kamerer défendit sa théorie de par le monde avec un certain succès. Un jour, pourtant, des scientifiques et des universitaires souhaitèrent examiner «objectivement» son expérience. Une large assistance se pressa dans l'amphithéâtre, ainsi que de nombreux journalistes. Le Dr Kamerer comptait bien prouver là qu'il n'était pas un charlatan. La veille de l'expérience, il y eut un incendie dans son laboratoire et tous ses crapauds périrent à l'exception d'un seul. Kamerer présenta donc ce survivant et sa bosse sombre. Les scientifiques examinèrent l'animal à la loupe et s'esclaffèrent. Il était parfaitement visible que les taches noires de la bosse du pouce du crapaud avaient été artificiellement dessinées par injection d'encre de Chine sous la peau. La supercherie était éventée. La salle était hilare.

En une minute, Kamerer perdit tout son crédit et toute chance de voir ses travaux reconnus. Rejeté de tous, il fut mis au ban de la profession. Les darwi-nistes avaient gagné, et pour longtemps. Il était maintenant admis que les êtres vivants étaient incapables de s'adapter à un nouveau milieu. Kamerer quitta la salle sous les huées. Désespéré, il se réfugia dans une forêt où il se tira une balle dans la bouche, non sans avoir laissé derrière lui un texte lapidaire dans lequel il réaffirmait l'authenticité de ses expériences et déclarait «vouloir mourir dans la nature plutôt que parmi les hommes». Ce suicide acheva de le discréditer. On pourrait penser qu'il s'agissait de l'imposture scientifique la plus nulle. Pourtant, à l'occasion de son enquête pour son ouvrage L'Étreinte du crapaud, Arthur Koestler rencontra l'ancien assistant de Kamerer. L'homme lui révéla avoir été à l'origine du désastre. C'était lui qui, sur l'ordre d'un groupe de savants darwiniens, avait mis le feu au laboratoire et remplacé le dernier crapaud mutant par un autre auquel il avait injecté de l'encre de Chine dans le pouce.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

148. MAC YAVEL NE COMPREND PAS LA BEAUTE

Maximilien avait passé sa journée à se tourner les pouces. Avec ses clefs, il gratta un peu du noir qui s'était glissé sous un ongle.

Il en avait assez d'attendre.

– Toujours rien?

– Rien à signaler, chef!

Ce qu'il y avait d'agaçant dans la technique du siège, c'était que tout le monde s'ennuyait. Dans la défaite, au moins, il se passe toujours quelque chose, mais là…

– Ne serait-ce que pour se changer les idées, Maximilien aurait bien aimé retourner dans la forêt faire dynamiter la mystérieuse pyramide, mais le préfet lui avait expressément ordonné de ne plus s'occuper désormais que de la seule affaire du lycée.

En rentrant chez lui, le commissaire était maussade.

Il alla s'enfermer dans son bureau, face à une autre sorte d'écran. Il lança vite une nouvelle partie d'Évolution. À présent, il commençait à avoir le coup de main et parvenait à faire décoller très vite ses civilisations virtuelles. En moins de mille ans à peine, il amena une civilisation de type chinois à inventer l'automobile et l'aviation. Sa civilisation chinoise prenait bien, pourtant, il l'abandonna.

– Mac Yavel, mets-toi en écoute.

L'œil de l'ordinateur s'inscrivit sur l'écran tandis que son synthétiseur vocal intégré annonçait dans les haut-parleurs:

– Réception cinq sur cinq.

– J'ai encore des problèmes avec cette histoire de lycée, commença le policier.

Il fit part à l'ordinateur des dernières informations sur ce qui se passait autour de l'établissement scolaire et Mac Yavel ne se contenta plus de lui expliquer les sièges du passé. Il lui conseilla d'isoler hermétiquement le lycée.

– Coupe-leur l'eau, l'électricité, le téléphone. Priveles de confort et, très vite, ils s'ennuieront à mourir et ils n'auront plus qu'une idée: s'enfuir de ce bourbier.

Bon sang, comment n'y avait-il pas pensé tout seul? Couper l'eau, le téléphone et l'électricité, ce n'était pas un crime, même pas un délit. Après tout, c'était l'Éducation nationale, pas les émeutiers, qui payait les factures de leur réseau informatique, de l'éclairage dans les dortoirs, des plaques chauffantes dans la cuisine et des téléviseurs allumés en permanence. Une fois de plus, il était contraint de reconnaître que Mac Yavel avait la tête bien sur les épaules.

– Mon vieux, tu es vraiment de bon conseil. L'objectif de la caméra numérique intégrée à l'ordinateur effectua une mise au point.

– Tu peux me montrer un portrait de leur chef?

Surpris de la demande, Maximilien n'en présenta pas moins la photographie de Julie Pinson qu'avait publiée le journal local. Il saisit l'image en mémoire et la compara à ses images d'archives.

– C'est une femelle, non? Elle est belle?

– C'est une question ou une affirmation? s'étonna le policier.

– Une question.

Maximilien examina la photo puis déclara:

– Oui, elle est belle. L'ordinateur paraissait régler au mieux sa définition afin de disposer de l'image la plus nette possible.

– Ainsi, c'est donc ça, la beauté.

Le policier perçut que quelque chose n'allait pas. Il n'y avait pas d'intonations dans la voix synthétique de Mac Yavel, pourtant il y sentit une certaine préoccupation.

Il comprit. L'ordinateur était incapable d'appréhender la notion de beauté. Il avait quelques vagues notions d'humour, des mécanismes de paradoxes pour la plupart, mais il n'était nanti d'aucun critère de compréhension de la beauté.

– J'ai du mal à comprendre ce concept, avoua Mac Yavel.

– Moi aussi, reconnut Maximilien. Parfois, des êtres qui nous ont paru beaux à un moment donné nous semblent sans intérêt très peu de temps plus tard.

Une paupière voila l'œil de l'ordinateur.

– La beauté est subjective. C'est sans doute pour cela que je ne peux pas la percevoir. Pour moi, c'est ou zéro ou un. Il ne peut y avoir de choses zéro à un instant et un à un autre. En cela, je suis limité.

Maximilien s'étonna de cette remarque en forme de regret. Il songea que ces ordinateurs de la dernière génération se mettaient à devenir des partenaires à part entière de l'espèce humaine. L'ordinateur, meilleure conquête de l'homme?

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