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81. PRESSE

LE CLAIRON DE FONTAINEBLEAU

(Rubrique culture)

CENTRE CULTUREL:

UN RÉJOUISSANT CONCERT INAUGURAL

Le jeune groupe de rock français Blanche-Neige et les Sept Nains a fait une très sympathique prestation musicale hier soir à la nouvelle salle de musique du centre culturel de Fontainebleau. Ça swinguait bien dans l'assistance. La jeune chanteuse leader du groupe, Julie Pinson, a tout pour réussir dans le show-business: un corps de déesse, des yeux gris à damner un saint et une voix très jazzy.

On peut juste regretter la faiblesse des rythmiques et l'insipidité des paroles.

Mais, avec son enthousiasme communicatif Julie fait oublier ces petites imperfections de jeunesse.

Certains prétendent même qu 'elle pourrait se révéler une rivale pour la célèbre chanteuse Alexandrine.

N'exagérons rien. Alexandrine avec sa formule rock glamour a su déjà conquérir un large public qui dépasse de beaucoup les centres culturels provinciaux.

Sans complexe, Blanche-Neige et les Sept Nains annoncent quand même la sortie prochaine d'un album au titre évocateur: «Réveillez-vous!» Il entrera peut-être bientôt en concurrence avec le nouveau succès d'Alexandrine: «Mon amour, je t'aime», déjà premier dans tous les hit-parades.

Marcel Vaugirard.

82. ENCYCLOPEDIE

CENSURE: Autrefois, afin que certaines idées jugées subversives par le pouvoir en place n'atteignent pas le grand public, une instance policière avait été instaurée: la censure d'État, chargée d'interdire pure ment et simplement la propagation des œuvres trop «subversives».

Aujourd'hui, la censure a changé de visage. Ce n'est plus le manque qui agit mais l'abondance. Sous l'avalanche ininterrompue d'informations insignifiantes, plus personne ne sait où puiser les informations intéressantes. En diffusant à la tonne toutes sortes de musiques similaires, les producteurs de disques empêchent l'émergence de nouveaux courants musicaux. En sortant des milliers de livres par mois, les éditeurs empêchent l'émergence de nouveaux courants littéraires. Ceux-ci seraient de toute façon enfouis sous la masse de la production. La profusion d'insipidités similaires bloque la création originale, et même les critiques qui devraient filtrer cette masse n'ont plus le temps de tout lire, tout voir, tout écouter.

Si bien qu'on en arrive à ce paradoxe: plus il y a de chaînes de télévision, de radios, de journaux, de supports médiatiques, moins il y a diversité de création. La grisaille se répand.

Cela fait partie de la même logique ancienne: il faut qu'il n'apparaisse rien d'«original» qui puisse remettre en cause le système. Tant d'énergie est dépensée pour que tout soit bien immobile.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

83. EN DESCENDANT LE FLEUVE

Le fleuve couleur argent glisse vers le sud. La nef des exploratrices s'est élancée tôt ce matin sur les flots inhospitaliers et fend à bonne allure ce ruban miroitant. À l'arrière, au ras de la surface irisée, les dytiques brassent l'onde d'un mouvement gracieux. Leurs carapaces vertes ont des bords orangés. Le front des dytiques s'orne d'un symbole jaune en forme de V. La nature aime bien parfois introduire un peu de décoration. Elle dessine des motifs compliqués sur les ailes des papillons et en trace de plus simples sur les carapaces des dytiques.

Les longs mollets poilus des dytiques se replient et se détendent pour propulser le lourd esquif myrmécéen. Princesse 103e et les douze exploratrices perchées sur les plus hauts pétales roses du nénuphar goûtent le paysage immense qui les entoure.

Le petit nénuphar est vraiment un navire parfait pour se protéger du fleuve glacé. Nul ne pense à le remarquer car il est normal de voir un nénuphar glisser sur l'eau. Les fourmis inspectent leur vaisseau. La feuille du nénuphar forme un grand radeau vert, solide et plat. La fleur de nénuphar est assez complexe. Elle comprend quatre sépales verts et de nombreux pétales insérés en spirale, dont la taille va diminuant jusqu'à se transformer en éta-mines au centre de la fleur.

Les fourmis s'amusent à monter et redescendre sur ces grandes voiles roses qui sont comme autant de grée-ments: hunier, perroquet, cacatois de fibre végétale. Du point le plus haut de la fleur aquatique, elles distinguent les obstacles au lointain.

Toujours à l'affût de sensations nouvelles, Princesse 103e goûte le rhizome du nénuphar et s'étonne de ressentir aussitôt un grand sentiment de paix. Le rhizome contient en effet une substance anaphrodisiaque qui agit comme un calmant. Sous l'effet de cette liqueur, tout paraît plus paisible, plus serein, plus doux. Son visage ne peut sourire mais elle se sent bien.

C'est beau un fleuve, le matin. Un soleil cramoisi arrose les Belokaniennes d'une pluie de reflets rubis. Des gouttes de rosée étincellent sur les plantes aquatiques qui dérivent.

Au passage de la nef, les saules pleureurs abaissent leurs longues feuilles molles. Les châtaignes d'eau présentent leurs fruits, des noix entourées d'un calice orné de grosses épines latérales. D'un naturel plus gai, les jonquilles pétillent comme des étoiles jaunes et parfumées.

Sur la gauche affleure une roche à la surface couverte de saponaires aux délicates fragrances. Elles laissent choir dans l'eau leurs capsules qui, en tombant, lâchent de la saponine, substance qui mousse et fait des bulles. Ce désordre sur l'eau irrite les dytiques, qui remontent la tête pour émettre de petits geysers aptes à chasser ce savon de leur tube pulmonaire.

Le haut du nénuphar frôle les frondaisons d'une fleur de ciguë qui dégage des relents de céleri et suppure un suc jaunâtre qui fonce au contact de l'air libre. Les fourmis savent que ce jus est sucré mais qu'il contient un alcaloïde puissant, la cicutine, qui paralyse le cerveau. Beaucoup d'exploratrices ont payé de leur vie pour que cette information entre dans la mémoire collective de leurs congénères. Ne pas toucher à la ciguë.

Au-dessus d'elles, des libellules tournoient. Les jeunes fourmis les observent avec admiration. Les grands insectes anciens et dignes se livrent à leur danse nuptiale. Chaque mâle surveille et défend contre les autres mâles son carré de territoire. Ensemble, ils se livrent à des joutes pour tenter d'agrandir leurs possessions.

La femelle libellule est évidemment attirée par le mâle qui lui offre la plus grande surface pour la danse copula-toire et la ponte qui s'ensuivra.

Toutefois, que le mâle ait réussi ou échoué dans ses efforts pour attirer une femelle, la rivalité n'en est pas pour autant terminée. Une femelle peut conserver plusieurs jours durant le sperme frais d'un mâle dans son abdomen. Si elle s'accouple à plusieurs reprises avec plusieurs amants différents, elle pourra ensuite aussi bien produire des œufs issus de son premier, deuxième ou troisième partenaire.

D'ailleurs, les mâles libellules le savent et, jaloux, s'empressent avant de s'accoupler de vider la femelle du sperme de leurs rivaux. Cela n'empêchera pourtant pas la dame libellule de trouver un autre mâle qui la videra à son tour. Honneur au sperme du dernier qui passe.

Avec ses nouveaux sens de sexuée, le regard de Princesse 103e transperce l'eau. Elle voit, sous la surface du fleuve, un animal qui marche à l'envers. L'autre l'observe comme à travers une vitre. C'est une notonecte. Elle avance en rampant avec ses pattes postérieures et semble galoper de l'autre côté du miroir de la surface du fleuve. Pour respirer, elle emmagasine sous ses coudes des bulles d'air qui sont peu à peu aspirées par ses stigmates.

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