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– Et savais-tu que les Égyptiens se servaient du miel pour désinfecter les plaies et calmer les brûlures? demanda une amazone.

L'information donna à Paul l'idée d'élaborer une ligne de parapharmacie en plus de sa ligne de produits alimentaires.

Plus loin, les vêtements de Narcisse étaient présentés. Des amazones faisaient office de mannequins devant les gens de la révolution et sous les objectifs d'une caméra vidéo qui retransmettait les images, via le serveur, sur le réseau informatique international.

Seules les deux machines compliquées de Julie et de Zoé ne présentaient pour l'heure que des résultats décevants. La machine à dialoguer avec les fourmis avait déjà tué une trentaine d'insectes cobayes. Quant aux prothèses olfactives de Zoé, elles blessaient si fort les narines que nul ne pouvait les supporter plus de quelques secondes.

Julie monta sur le balcon du proviseur et contempla la cour et sa révolution. Le drapeau flottait, la fourmi-totem trônait, des musiciens reggae jouaient dans un nuage de fumées de marijuana. Partout, autour des stands, des gens s'activaient.

– On a quand même réussi quelque chose de sympathique, dit Zoé qui l'avait rejointe.

– Au niveau collectif, c'est certain, acquiesça Julie. Maintenant, c'est au niveau individuel qu'il nous faudrait réussir.

– Que veux-tu dire?

– Je me demande si ma volonté de changer le monde n'est pas en fait le constat de mon incapacité à me changer moi-même.

– Voilà autre chose. Holà, Julie! je crois que tu fonctionnes un peu trop au carburateur neuronal. Tout marche bien, sois heureuse.

Julie se tourna vers Zoé et la regarda dans les yeux.

– Tout à l'heure, j’ai lu un passage de l'Encyclopédie. Il était étrange. Il s'appelait «Je ne suis qu'un personnage» et disait qu'on était peut-être seul au monde dans un film qui se déroule rien que pour nous. Après avoir lu ça, j'ai eu une pensée bizarre. Je me suis dit: Et si j'étais la seule personne vivante. Si j'étais le seul être vivant de tout l'univers…

Zoé commença à regarder sa compagne avec inquiétude. Julie continua:

– Si tout ce qui m'arrive n'était après tout qu'un grand spectacle qu'on joue uniquement pour moi? Tous ces gens, toi, vous ne seriez que des acteurs et des figurants. Les objets, les maisons, les arbres, la nature forment un décor bien imité, fait pour me rassurer et me faire croire qu'une certaine réalité existe. Mais je suis peut-être comme dans un programme d'Infra-World. Ou peut-être dans un roman.

– Oh! la la! qu'est-ce que tu ne vas pas chercher!

– N'as-tu jamais remarqué qu'autour de nous les gens meurent tandis que nous demeurons vivants? Peut-être qu'on nous observe, qu'on teste nos réactions devant des situations données. On teste notre degré de résistance à certaines agressions. On teste nos réflexes. Cette révolution, cette vie n'est qu'un énorme cirque construit pour me tester. Quelqu'un à cet instant m'observe peut-être de loin, lit ma vie dans un livre, et me juge.

– Dans ce cas, profites-en. Tout, ici-bas, est pour toi. Tout ce monde, tous ces acteurs, ces figurants, comme tu dis, sont là pour te satisfaire, s'ajuster à tes désirs, à tes gestes et à tes actes. Ils se font du souci. Leur avenir dépend de toi.

– Justement, c'est cela qui m'inquiète. J'ai peur de ne pas être à la hauteur… de mon personnage.

Cette fois-ci, ce fut Zoé qui commença à ne pas se sentir bien. Julie lui mit la main sur l'épaule.

– Excuse-moi. Oublie ce que je t'ai dit. On s'en fiche.

Elle entraîna son amie en direction des cuisines, ouvrit le réfrigérateur et fit couler le ruban de l'hydromel doré dans deux gobelets. Puis, à petites gorgées, à la lumière du réfrigérateur entrouvert, elles burent la boisson des fourmis et des dieux.

145. PHÉROMONE ZOOLOGIQUE: RÉFRIGÉRATEUR

Saliveuse: 10e.

RÉFRIGÉRATEUR: Les Doigts n'ont pas de jabot social, pourtant ils peuvent stocker longtemps de la nourriture sans qu 'elle se détériore.

Pour remplacer nos estomacs secondaires, ils s'équipent d'une machine qu'ils nomment «réfrigérateur».

Il s'agit d'une boîte à l'intérieur de laquelle il fait très froid.

Il y entassent de la nourriture à ras bord.

Plus un Doigt est important, plus son réfrigérateur est grand.

146. DANS BEL-O-KAN

Une odeur de charbon les surprend.

Les branchettes calcinées empestent. Des corps calcinés de soldates prises dans l'incendie gisent partout. Vision d'horreur: il y a même des œufs et des larves fourmis qui n'ont pu être évacués à temps et qui ont grillé vifs.

Tout est brûlé et il n'y a pas la moindre présence. Est-il possible que l'incendie ait dévoré tous les habitants puis toute,; l'armée accourue pour l'éteindre?

Les fourmis avancent dans des couloirs parfois vitrifiés par le feu. La chaleur du brasier a été si intense que des insectes ont péri d'un coup, en plein travail. Ils sont demeurés figés dans la position où ils se trouvaient avant qu'une bouffée brûlante ne les immobilise définitivement.

Quand 103e et sa troupe les touchent, ils s'effritent.

Le feu. Les fourmis ne sont pas préparées au feu. 5e murmure:

Le feu est une arme trop ravageuse.

Toutes comprennent maintenant pourquoi le feu est banni depuis si longtemps du monde des insectes. Hélas, il est certaines bêtises que chaque génération doit commettre, ne serait-ce que pour se souvenir des raisons pour lesquelles il ne faut pas les commettre.

Princesse 103e sait à présent que le feu est une arme trop destructrice. L'intensité des flammes a été si forte par endroits que l'ombre de ses victimes s'est imprimée sur les parois.

Princesse 103 e avance dans sa ville transformée en cimetière et, avec nostalgie, elle découvre le charnier qu'est devenue sa cité natale. Dans les champignonnières, rien que des végétaux calcinés. Dans leurs étables, que des pucerons torréfiés, les pattes en l'air. Dans leurs salles, les fourmis-citernes ont explosé.

15e mange un peu de cadavre de fourmi-citerne et constate qu'il est d'une saveur vraiment délicieuse. Elle vient de découvrir le goût du caramel. Mais elles n'ont ni le temps ni l'envie de s'émerveiller devant cet aliment nouveau, leur cité natale n'est plus que désolation.

103e baisse les antennes. Le feu est une arme de perdant. Elle l'a utilisée parce qu'elle avait le dessous sur le champ de bataille. Elle a triché.

Faut-il que les Doigts l'aient envoûtée pour qu'elle en arrive à ne plus supporter la défaite, à tuer sa reine, détruire ses couvains et même anéantir sa propre cité!

Dire qu'elles ont fait tout ce voyage, précisément, pour avertir Bel-o-kan qu'elle risquait d'être… enflammée par les Doigts! L'Histoire est paradoxale.

Elles marchent dans des couloirs encore enfumés. Étrangement, plus elles avancent dans ce désastre, plus il leur semble qu'il s'est passé ici des événements insolites. Il y a un cercle tracé sur un mur. Est-il possible que, de leur côté, les Belokaniennes aient découvert l'art? Un art minimaliste, certes, puisqu'il consiste à simplement reproduire des cercles, mais un art néanmoins.

Princesse 103e a un mauvais pressentiment. 10e et 24e tournent en tous sens dans la crainte d'un piège.

Elles montent dans la Cité interdite. Là, 103e espère bien trouver la reine. Elle remarque que le bois de la souche de pin qui abrite la Cité interdite n'a été qu'à peine effleuré par l'incendie. Le passage est libre. Les fourmis-concierges chargées de veiller sur les issues sont mortes sous la chaleur et les émanations toxiques.

La troupe se rend dans la loge royale. La reine Belo-kiu-kiuni est bien là. Mais en trois tronçons. Elle, elle n'a été ni brûlée ni asphyxiée. Les marques des coups sont récentes. Elle a été assassinée et il n'y a pas longtemps. Tout autour d'elle, des cercles gravés à la mandibule.

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