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La sirène devenait assourdissante.

Les élèves se livrèrent volontiers à l'exercice d'évacuation, enchantés de la diversion. En bas, des pompiers leur montrèrent comment ouvrir les bornes, sortir les tuyaux, ajuster les raccords. Ils leur enseignèrent quelques mesures de survie, comme de placer des linges numides autour des portes, ou de se baisser pour chercher l'oxygène sous le nuage de fumée. Dans le brouhaha, le proviseur s'adressa à Ji-woong:

– Alors, ce concert, vous le préparez activement? C'est pour après-demain, n'oubliez pas.

– Nous manquons de temps.

Il se donna quelques secondes pour réfléchir, puis annonça:

– Bon, à titre exceptionnel, je vous dispense de cours. Sautez-les tous, mais montrez-vous dignes de ce privilège.

La sirène consentit enfin à se taire. Julie et les Sept Nains se précipitèrent vers leur local. Dans l'après-midi, ils mirent encore de nouveaux morceaux au point. Ils en disposaient maintenant de trois, plus deux en cours d'élaboration. Ils puisaient les paroles dans l'Encyclopédie et s'acharnaient ensuite à les doter de la musique apte à les mettre en valeur.

69. ENCYCLOPÉDIE

INSTINCT GUERRIER: Aime tes ennemis. C'est le meilleur moyen de leur porter sur les nerfs.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

70. QUITTONS LA TOUR DU CHÊNE

Vous devez partir.

La reine des guêpes réitère son message sous forme de signes antennaires. Alors que d'une antenne elle tapote impatiemment le crâne de la fourmi, de l'autre elle lui désigne l'horizon. Voilà des signes compréhensibles par tout le monde. Il faut partir.

À Bel-o-kan, les vieilles nourrices disaient:

Chaque être se doit de connaître une métamorphose. S'il rate cette étape, il ne vit que la moitié de sa vie.

103e entame donc la deuxième partie de sa vie. Elle dispose désormais de douze années d'existence supplémentaires et elle compte bien les mettre à profit.

103e a maintenant un sexe. Elle est princesse et elle sait que si elle rencontre un mâle, elle pourra se reproduire.

Les douze demandent à leur nouvelle princesse quelle direction prendre. Le sol foisonne toujours de criquets et Princesse 103e juge que le mieux est de continuer en hauteur sur les branches et de se diriger vers le sud-ouest.

Les douze sont d'accord.

Elles descendent le long de l'immense tour que forme le grand chêne et bifurquent vers une longue branche; ainsi cheminent-elles de ramure en ramure, sautant parfois pour se rattraper, ou se suspendant par les pattes comme des trapézistes pour rejoindre d'un mouvement pendulaire une feuille éloignée. Elles marchent longtemps avant de cesser de percevoir l'odeur amère des criquets.

Prudemment, Princesse 103e en tête, le groupe descend le long d'un sycomore et touche le sol. La nappe des criquets s'étale à quelques dizaines de mètres à peine.

5e signale aux autres de se faufiler discrètement en sens inverse mais cette prudence s'avère inutile. Soudain, comme répondant ensemble à un invisible appel, tous les criquets s'élèvent dans le ciel.

Ils s'envolent, les flocons de mort.

Le spectacle est impressionnant. Les criquets sont équipés de muscles de pattes mille fois plus puissants que ceux des fourmis. Ils peuvent ainsi s'élancer à des hauteurs égales à vingt fois la longueur de leur corps. Parvenus au sommet de leur saut, ils déploient le plus largement possible leurs quatre ailes et les agitent à très grande vitesse pour s'élever encore plus loin dans les airs. Tant de mouvement produit un vacarme incroyable. Innombrables sont les criquets et dans le nuage, leurs ailes se percutent. Certains sont broyés dans la masse de leur propre population.

Autour d'elles, les criquets n'en finissent pas de décoller. À terre, ils ont tout mangé et ils laissent derrière eux une terre ruinée où se dressent encore quelques arbres dépouillés sur lesquels ne subsiste plus ni feuille, ni fleur, ni fruit.

Par moments l'excès de vie tue la vie, émet 15e en regardant les criquets s'éloigner. Mais c'est bien une réflexion de chasseuse précisément habituée à ôter la vie à son entourage.

Pourtant, Princesse 103e qui les regarde aussi s'envoler ne comprend pas quel intérêt a la nature à produire un spécimen tel que le criquet. Peut-être font-ils alliance avec le désert pour détruire la vie animale et la vie végétale et ne laisser subsister que la vie minérale? Là où ils passent le désert s'étend, les animaux et les végétaux reculent.

Princesse 103e tourne le dos au spectacle désolant de la prairie ravagée. Au-dessus d'elle, les bourrasques de vent donnent au nuage de criquets la forme d'un visage qui grimace et s'étire en tous sens avant que le vent ne le pousse vers le nord.

Il lui faut maintenant réfléchir aux trois grandes spécificités doigtesques: l'humour, l'amour, l'art. 10e, qui entend ses pensées, s'approche et lui propose de produire une phéromone-mémoire zoologique, dans laquelle elle rassemblera tout ce que Princesse 103e lui confiera maintenant que sa mémoire et ses capacités d'analyse sont surdéveloppées. Elle ramasse une coquille d'œuf d'insecte et compte y stocker le liquide odorant.

103e approuve.

Jadis, elle aussi avait pensé composer un tel objet, mais prise dans le tumulte de ses aventures, elle avait égaré l'œuf rempli d'informations. Elle est contente que 10e prenne le relais.

Les treize fourmis prennent le chemin du sud-ouest, direction la civilisation, direction la cité natale: Bel-o-kan.

71. DU PASSE FAISONS TABLE RASE

C'était la veille du grand soir. Tôt le matin, Julie rêvait encore. Elle était devant le micro et aucun son ne sortait de sa gorge. Même le micro se moquait d'elle. Elle s'approchait d'un miroir et s'apercevait qu'elle n'avait plus du tout de bouche. A la place, il n'y avait qu'un grand menton lisse. Elle ne pouvait plus ni parler, ni crier, ni chanter. Elle pouvait juste hausser les sourcils ou écar-quiller les yeux pour se faire comprendre. Le micro riait et riait. Elle pleurait sur sa bouche perdue. Sur la table de maquillage, il y avait un rasoir et elle eut envie de se tailler une nouvelle bouche. Mais la mutilation lui faisait peur. Alors, pour faciliter l'opération, elle entreprit de dessiner avec du rouge à lèvres la forme d'une bouche. Elle avança la lame au milieu du dessin…

La mère de Julie ouvrit bruyamment la porte de la chambre.

– Il est neuf heures, Julie. Je sais que tu ne dors plus. Lève-toi, il faut que nous parlions.

Julie se redressa sur ses coudes et se frotta les yeux. Puis, instinctivement, elle se frotta la bouche. Elle sentit les deux bourrelets humides. Ouf! Elle tâta avec sa main pour vérifier si elle avait bien une langue et des dents.

Sa mère s'immobilisa sur le seuil, la fixant avec l'air de se demander si, cette fois, ce n'était pas un psychiatre qu'il fallait contacter.

– Allons, lève-toi.

– Oh non! maman! Pas maintenant, pas si tôt!

– J'ai deux mots à te dire. Depuis la mort de ton père, tu vis comme si rien ne s'était passé. Es-tu sans cœur? C'était ton père, tout de même.

Julie enfonça sa tête sous l'oreiller pour ne plus l'entendre.

– Tu t'amuses, tu traînes avec une bande de lycéens comme si de rien n'était. La nuit dernière, tu es allée jusqu'à découcher. Alors, Julie, nous devons discuter toutes les deux.

Elle souleva un coin d'oreiller, contempla sa mère. La douairière avait encore maigri.

La mort de Gaston semblait avoir apporté un regain de forces à sa veuve. Il faut dire qu'en plus d'un nouveau régime la mère avait entamé une psychanalyse. Cela ne lui suffisait pas de faire rajeunir son corps, elle voulait de surcroît régresser en esprit.

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