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Ils trouvèrent la grille refermée et, derrière, les amazones, toujours aussi aguicheuses et taquines, qui se moquaient d'eux.

– Ils sont tous à l'intérieur, chef, et barricadés en plus.

Ainsi, huit cents personnes occupaient le lycée. Julie en était d'autant plus satisfaite qu'ils avaient réussi cette prouesse sans aucune escarmouche, simplement en épuisant leurs adversaires par des mouvements tactiques.

Maximilien n'avait pas l'habitude de voir des manifestants pratiquer des stratégies de guérilla. Il avait toujours eu affaire à des foules qui avançaient tout droit, sans réfléchir.

Que des manifestants n'ayant pas même à leur tête un parti politique ou un syndicat classique puissent ainsi se mouvoir en légions compactes l'impressionna et l'inquiéta.

Même le fait qu'il n'y ait de blessés dans aucun camp n'était pas pour le rassurer. Il y en avait en général au moins trois, de part et d'autre, dans ce genre d'échauffou-rées. Ne serait-ce que ceux qui trébuchent en courant et se tordent la cheville. Or là, dans une manifestation opposant huit cents personnes à trois cents CRS, ils n'avaient aucun accident à déplorer.

Maximilien posta une moitié des CRS à l'avant et l'autre à l'arrière, puis il appela le préfet Dupeyron pour le tenir au courant de la situation. Celui-ci lui demanda de reprendre le lycée, sans faire de vagues. Il devait bien vérifier qu'il n'y avait pas là le moindre journaliste. Maximilien confirma que, pour l'instant, personne de la presse n'était là.

Rassuré, le préfet Dupeyron lui demanda de faire vite, de préférence sans violence, étant donné qu'on était à quelques mois des élections présidentielles et qu'il y avait forcément des enfants de bonne famille de la ville parmi les manifestants.

Maximilien réunit son petit état-major et fit ce qu'il regrettait de n'avoir pas commencé par faire: demander un plan du lycée.

– Envoyez des grenades lacrymogènes à travers les grilles. Enfumez-les comme des renards, ils finiront bien par sortir.

Les yeux larmoyants et les quintes de toux ne tardèrent pas à affaiblir les assiégés.

– Il faut faire quelque chose, vite, souffla Zoé.

Léopold estima qu'il suffisait de rendre les grilles moins perméables. Pourquoi ne pas utiliser les couvertures des lits, dans les dortoirs, en guise de rideaux protecteurs?

Aussitôt dit, aussitôt fait. Mouchoir mouillé sur le nez pour ne pas inhaler les gaz et armées de couvercles de poubelle pour se protéger le visage des jets de grenades, les filles du club de aïkido fixèrent les couvertures sur les grilles à l'aide de fil de fer découvert dans l'appentis du gardien.

Du coup, les policiers ne purent plus voir ce qui se passait à l'intérieur de la cour du lycée. Maximilien reprit son porte-voix:

– Vous n'avez pas le droit d'occuper cet établissement. C'est un lieu public. Je vous ordonne de l'évacuer au plus vite.

– On y est, on y reste, répondit Julie.

– Vous êtes dans l'illégalité la plus complète.

– Venez donc nous déloger.

Il y eut un conciliabule sur la place, puis les cars firent marche arrière tandis que les CRS refluaient jusqu'aux rues avoisinantes.

– On dirait qu'ils renoncent, observa Francine.

Narcisse signala que les policiers abandonnaient également la porte arrière.

– Nous avons peut-être gagné, prononça Julie sans trop y croire.

– Attendons un peu avant de crier victoire. Il s'agit peut-être d'une manœuvre de diversion, remarqua Léopold.

Ils attendirent, scrutant la place déserte, parfaitement éclairée par les réverbères.

Avec son regard perçant de Navajo, Léopold détecta enfin un mouvement et tous ne tardèrent pas à voir une nuée de policiers marchant avec détermination en direction de la grille.

– Ils chargent. Ils veulent prendre l'entrée d'assaut! cria une amazone.

Une idée. Vite, il fallait une idée. Les policiers étaient tout près des grilles, quand Zoé trouva la solution. Elle en fit part aux Sept Nains et à quelques amazones.

Lorsque, avec de grosses masses, les CRS se préparèrent à faire sauter les serrures métalliques de la grille d'entrée des lances à incendie que le proviseur avait fait installer pour lutter contre un éventuel sinistre jaillirent.

– Feu! dit Julie.

Les lances entrèrent en action. La pression était si forte que les amazones devaient s'y mettre à trois ou quatre pour maintenir et bien diriger un seul de ces canons à eau.

Sur la place, des policiers et leurs chiens gisaient, fauchés.

– Halte!

Mais les forces de l'ordre se regroupaient au loin pour une nouvelle charge qui s'annonçait encore plus virulente.

– Attendez le signal, dit Julie.

Les policiers fonçaient au pas de course, suivant les angles morts où les lances ne pourraient pas les atteindre. Matraque levée, ils atteignirent les grilles.

– Maintenant, dit Julie, les dents serrées.

Les lances à eau refirent merveille. Une acclamation de victoire s'éleva parmi les amazones.

Maximilien reçut un appel du préfet Dupeyron demandant où il en était. Le commissaire l'informa que les trublions étaient toujours retranchés dans le lycée et résistaient aux forces de l'ordre.

– Eh bien, encerclez-les sans plus les attaquer. Tant que cette mini-émeute reste confinée au lycée, il n'y a pas vraiment de problème. Ce qu'il faut éviter à tout prix, c'est qu'elle se répande.

Les charges de police cessèrent.

Julie rappela le mot d'ordre: «Pas de violence. Ne rien casser. Rester irréprochable.» Rien que pour contrer son professeur d'histoire, elle voulait vérifier s'il était vraiment possible de réussir une révolution sans violence.

109. ENCYCLOPÉDIE

UTOPIE DE RABELAIS: En 1532, François Rabelais proposa sa vision personnelle de la cité utopique idéale en décrivant, dans Gargantua, l'abbaye de Thélème. Pas de gouvernement car, pense Rabelais: «Comment pourrait-on gouverner autrui quand on ne sait pas se gouverner soi-même»? Sans gouvernement, les Thélémites agissent donc «selon leur bon vouloir» avec, pour devise: «Fais ce que voudras.» Pour que l'utopie réussisse, les hôtes de l'abbaye de Thé-lème sont triés sur le volet. N'y sont admis que des hommes et des femmes bien nés, libres d'esprit, instruits, vertueux, beaux et «bien natures». On y entre à dix ans pour les femmes, à douze pour les hommes. Dans la journée, chacun fait donc ce qu'il veut, tra vaille si cela lui chante et, sinon, se repose, boit, s'amuse, fait l'amour. Les horloges ont été supprimées, ce qui évite toute notion du temps qui passe. On se réveille à son gré, mange quand on a faim. L'agitation, la violence, les querelles sont bannies. Des domestiques et des artisans installés à l'extérieur de l'abbaye sont chargés des travaux pénibles. Rabelais décrit son utopie. L'abbaye devra être construite en bord de Loire, dans la forêt de Port-Huault. Elle comprendra neuf mille trois cent trente-deux chambres. Pas de murs d'enceinte car «les murailles entretiennent les conspirations». Six tours rondes de soixante pas de diamètre. Chaque bâtiment sera haut de dix étages. Un tout-à-Fégout débouchera dans le fleuve. De nombreuses bibliothèques, un parc enrichi d'un labyrinthe et une fontaine au centre.

Rabelais n'était pas dupe. Il savait que son abbaye idéale serait forcément détruite par la démagogie, les doctrines absurdes et la discorde, ou tout simplement par des broutilles, mais il était convaincu que cela valait quand même la peine d'essayer.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

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