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Les soldates rousses sont épuisées à force de tuer, tuer, tuer. Que leurs adversaires soient ainsi immobiles ajoute à leur gêne. Autant il est normal pour des fourmis de massacrer des adversaires en duel, autant elles ressentent quelque scrupule à les exterminer dans pareilles conditions.

Elles ont l'impression de moissonner. L'odeur d'acide oléique que dégagent les cadavres entassés des naines commence à devenir insupportable. Les Néo-Beloka-niennes sont souvent contraintes de sortir du bivouac pour respirer un peu d'air frais avant de s'y replonger pour attaquer une nouvelle couche.

Princesse 103e demande qu'on accélère le mouvement car elles n'ont que la nuit pour agir.

Leurs mandibules plongent dans les articulations chitineuses et font jaillir le sang transparent. Il y a tellement de sang dans les couloirs vivants que, parfois, il éclabousse et éteint des lampions. Les Néo-Belokaniennes privées de feu s'endorment alors au milieu de la masse compacte de leurs ennemies.

Princesse 103e ne relâche pas son effort mais, tandis qu'elle tue à tour de mandibules, des milliers d'idées se bousculent dans son cerveau.

Faut-il que les comportements des Doigts soient contagieux pour entraîner des fourmis à guerroyer ainsi!

Elle sait, cependant, que toutes les soldates ennemies qui ne seront pas tuées cette nuit se jetteront contre elles dans la bataille dès le matin.

Il n'y a pas tellement de choix. La guerre est le meilleur accélérateur de l'Histoire. En bien ou en mal.

À force d'égorger, 5e a une crampe aux mandibules. Elle s'interrompt un instant, mange un cadavre ennemi et se nettoie les antennes avant de reprendre sa sinistre besogne.

Lorsque le soleil présente ses premiers rayons, les soldates néo-belokaniennes sont bien obligées de cesser de tuer. Il faut se dépêcher de rentrer avant que l'adversaire se réveille. Vite, elles déguerpissent alors que les murs, les plafonds et les planchers commencent tout juste à bâiller.

Épuisées et gluantes de sang, les soldates rousses regagnent leur cité anxieuse.

Princesse 103e reprend son poste sur le sommet du dôme pour observer la réaction de l'ennemi à son réveil. Celle-ci ne se fait pas attendre. Tandis que le soleil s'élève dans le ciel, les ruines vivantes se désagrègent. Les naines sont incapables de comprendre ce qui leur est arrivé. Elles se sont endormies et, au matin, leurs compagnes ont presque toutes trépassé.

Les survivantes reprennent le chemin de leur nid sans demander leur reste et, quelques minutes plus tard, les cités fédérées qui s'étaient rebellées contre leur capitale se présentent pour déposer leurs phéromones de soumission.

Toutes les fourmilières du voisinage ayant appris la défaite, une armée de plusieurs millions de soldates vient demander à adhérer à la fédération néo-belokanienne.

Princesse 103e et Prince 24e accueillent les arrivantes, leur font visiter les laboratoires du feu, du levier et de la roue mais ils ne leur font pas part de l'invention des lampions. On ne sait jamais. Il peut y avoir encore des adversaires à réduire à merci et une arme secrète est plus efficace qu'une arme connue de tous.

De son côté aussi, 23e voit se décupler le nombre des fidèles. Comme en dehors des soldates qui ont participé à la bataille de la nuit, nul ne sait comment le combat a été remporté, 23e clame haut et fort que les Doigts ont exaucé ses prières.

Elle prétend que Princesse 103e n'est pour rien dans ce succès et que, seule, la vraie foi sauve.

Les Doigts nous ont sauvées car ils nous aiment, émet-elle sentencieusement sans savoir ce que ce mot signifie.

156. ENCYCLOPÉDIE

COUSEUSE DE CUL DE RAT: À la fin du dix-neuvième siècle en Bretagne, les conserveries de sardines étaient infestées de rats. Personne ne savait comment se débarrasser de ces petits animaux. Pas question d'introduire des chats, qui auraient préféré manger des sardines immobiles plutôt que ces rongeurs fuyants. On eut alors l'idée de coudre le cul d'un rat vivant avec un gros crin de cheval. Dans l'impossibilité de rejeter normalement la nourriture, le rat, continuant à manger, devenait fou de douleur et de rage. Il se transformait dès lors en mini-fauve, véritable terreur pour ses congénères qu'il blessait et faisait fuir. L'ouvrière qui acceptait de remplir cette sale besogne obtenait les faveurs de la direction, une augmentation de salaire et recevait une promotion au titre de contremaîtresse. Mais pour les autres ouvrières de la sardinerie, la «couseuse de cul de rat» était une traîtresse. Car tant que l'une d'entre elles acceptait de coudre le cul des rats, cette répugnante pratique se perpétuait.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

157. JULIE EN PLEIN ÉMOI

Tant et tant de concepts nouveaux naissaient dans l'assemblée du cerveau droit de la Révolution des fourmis que son cerveau gauche avait du mal à suivre pour les trier et les mettre en pratique. Au septième jour, sa SARL pouvait se vanter d'être une des compagnies les plus diversifiées du monde.

Économies d'énergie, recyclage, gadgets électroniques, jeux informatiques, concepts artistiques… les idées des cellules nerveuses fusaient et personne, en dehors des habitués du réseau informatique mondial, ne se rendait compte qu'on assistait à une mini-révolution culturelle d'un genre inédit.

Piqué au jeu, le professeur d'économie passait ses journées à gérer leur comptabilité à partir de son petit écran, sans bureau, sans boutique, sans vitrine extérieure. Il s'occupait de la fiscalité, des papiers administratifs, des dépôts de marques.

Le lycée s'était véritablement transformé en une fourmilière avec ses occupants partout regroupés en unités de production, chacune œuvrant sur un projet précis. On ne faisait plus la fête afin de se libérer des tensions professionnelles de la journée.

Sur le réseau informatique mondial, les informaticiens de la révolution tenaient de gigantesques forums planétaires.

Francine entretenait son Infra-World avec l'attention d'un maître japonais pour son bonsaï. Elle n'intervenait pas dans la vie de ses habitants, mais était à l'affût du moindre déséquilibre écologique et le rectifiait aussitôt. Elle se rendit compte qu'il était indispensable de diversifier les espèces. Dès qu'un animal se mettait à proliférer, elle en inventait un prédateur. C'était son seul mode d'action: ajouter de la vie. C'est ainsi que, par exemple, elle inventa un chat sauvage citadin qui régulait les pigeons excédentaires.

Il lui fallut ensuite un prédateur pour le prédateur et elle recréa des cycles biologiques complets et constata que plus une chaîne écologique est diversifiée, plus elle est harmonieuse et solide.

Narcisse ne cessait de perfectionner son style et commençait à être connu dans le monde entier sans même avoir participé à un défilé de mode autre que virtuel.

La filiale qui marchait le mieux était le «Centre des questions» de David. Ses lignes étaient en permanence saturées d'appels. Tant de questions demandaient des réponses. David fut contraint de déléguer une partie de son projet à des entreprises extérieures pour lesquelles il était d'ailleurs beaucoup plus facile d'engager à la demande détectives ou philosophes.

Dans le laboratoire de biologie, Ji-woong se distrayait à distiller une sorte de cognac à partir de l'hydromel de Paul. À la lueur incertaine de dizaines de bougies, il s'était installé un parfait nécessaire de bouilleur de cru clandestin: des cornues, des alambics, des tubes pour filtrer et concentrer l'alcool. Le Coréen baignait dans des vapeurs sucrées.

Julie vint le retrouver. Elle examina son outillage, saisit un tube à essai et en vida d'un trait le contenu à la grande surprise du garçon.

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