Était-elle à métamorphose complète ou à métamorphose incomplète? demande 14e.
Chez les insectes, c'est un thème de discussion récurrent. On aime bien parler de la métamorphose. Il y a toujours eu un clivage entre les insectes à métamorphose complète et ceux à métamorphose incomplète. Ceux qui ont la métamorphose complète connaissent quatre phases: œuf, larve, nymphe, adulte. C'est le cas des papillons, des fourmis, des guêpes, des abeilles, mais aussi des puces, des coccinelles. Ceux qui ont la métamorphose incomplète ne connaissent que trois phases: œuf, larve, adulte. Ils naissent à l'état d'adulte miniature et connaissent des transformations graduelles. C'est plutôt le cas des sauterelles, des perce-oreilles, des termites et des blattes.
On l'ignore souvent, mais il existe une certaine forme de mépris chez les «métamorphosés complets» envers les «métamorphosés incomplets». Il y a toujours eu ce sous-entendu: «n'ayant pas eu de nymphose» ils ne sont pas complètement «démoulés», ils ne sont pas complets. Ce sont des bébés qui deviennent de vieux bébés et non des bébés qui deviennent adultes.
C'était une mouche à métamorphose complète, répond 9e, comme s'il s'agissait d'une évidence.
103e marche et regarde le soleil se dérober lentement à l'horizon dans une débauche de jaunes et d'orangés: Des idées étranges, peut-être dues à une insolation, lui vieilnent. Le soleil est-il un animal à métamorphose complète? Les Doigts ont-ils des métamorphoses complètes? Pourquoi la nature l'a-t-elle mise en contact avec ces monstres, et uniquement elle? Pourquoi un seul individu a-t-il une aussi lourde responsabilité?
Pour la première fois, elle éprouve quelques doutes sur sa quête. Désirer un sexe, souhaiter faire évoluer le monde, vouloir créer une alliance entre Doigts et fourmis, cela a-t-il vraiment un sens? Et, si oui, pourquoi la nature passe-t-elle par des chemins si hasardeux pour arriver à ses fins?
45. ENCYCLOPÉDIE
CONSCIENCE DU FUTUR: Qu'est-ce qui différencie l'homme des autres espèces animales? Le fait de posséder un pouce opposable aux autres doigts de la main? Le langage? Le cerveau hypertrophié? La position verticale? Peut-être est-ce tout simplement la conscience du futur. Tous les animaux vivent dans le présent et le passé. Ils analysent ce qui survient et le comparent avec ce qu'ils ont déjà expérimenté. Par contre, l'homme, lui, tente de prévoir ce qui se passera. Cette disposition à apprivoiser le futur est sans doute apparue quand l'homme, au néolithique, a commencé à s'intéresser à l'agriculture. Il renonçait dès lors à.la cueillette et à la chasse, sources de nourriture aléatoires, pour prévoir les récoltes futures. Il était désormais logique que la vision du futur devienne subjective, et donc différente pour chaque être humain. Les humains se sont donc mis tout naturellement à élaborer un langage pour décrire ces futurs. Avec la conscience du futur est né le langage qui le décrirait. Les langues anciennes disposaient de peu de mots et d'une grammaire simpliste pour parler du futur, alors que les langues modernes ne cessent d'affiner cette grammaire. Pour confirmer les promesses de futur, il fallait, en toute logique, inventer la technologie. Là a résidé le début de l'engrenage.
Dieu est le nom donné par les humains à ce qui échappe à leur maîtrise du futur. Mais la technologie leur permettant de contrôler de mieux en mieux ce futur, Dieu disparaît progressivement, remplacé par les météorologues, les futurologues et tous ceux qui pensent savoir, grâce à l'usage des machines, de quoi demain sera fait et pourquoi demain sera ainsi et non autrement.
Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.
46. LE POIDS DES YEUX
Maximilien Linart demeura longtemps, silencieux, à scruter la pyramide. Il la représenta de nouveau sur son calepin pour mieux en saisir la forme et son incongruité au milieu de cette forêt. Il examina ensuite soigneusement son dessin pour s'assurer qu'il était en tout point similaire à ce qu'il voyait devant lui. À l'école de police, le commissaire Linart assurait que si l'on observe longtemps quelqu'un ou quelque chose, on finit par en recevoir des milliers d'informations précieuses. Et cela suffisait le plus souvent à résoudre toute l'énigme.
Il appelait ce phénomène le «syndrome de Jéricho», si ce n'est qu'au lieu de tourner autour de l'objectif en sonnant des trompettes et en attendant qu'il s'ouvre de lui-même, lui tournait en le dessinant et en l'observant sous tous les angles.
Il avait utilisé cette même technique pour séduire sa femme, Scynthia. Celle-ci était du genre grande beauté altière, habituée à envoyer promener tout prétendant.
Maximilien l'avait remarquée dans un défilé de mannequins où elle était de loin la plus «pneumatique» et donc la plus convoitée par tous les hommes présents. Lui l'avait longuement observée. Au début, ce regard fixe et perçant avait gêné la jeune femme, puis il l'avait intriguée. Rien qu'à la regarder, il avait découvert toutes sortes d'éléments qui, par la suite, lui avaient permis de se brancher sur la même longueur d'onde qu'elle. Elle portait un médaillon orné de son signe astrologique: Poissons. Elle portait des boucles d'oreilles qui lui infectaient les lobes. Elle s'imprégnait d'un parfum très lourd.
À table, il s'était assis à côté, d'elle et avait lancé la conversation sur l'astrologie. Il avait développé la force des symboles, la différence entre les signes d'eau, de terre et de feu. Scynthia, après une méfiance initiale, s'était laissée aller tout naturellement à donner son avis. Puis ils avaient discuté boucles d'oreilles. Il avait évoqué une toute nouvelle substance antiallergique qui permettait de supporter les bijoux aux alliages les plus divers. La conversation avait ensuite roulé sur son parfum, son maquillage, les régimes, les soldes. «Dans un premier temps, il faut mettre l'autre à l'aise en se plaçant sur son terrain.»
Après avoir évoqué les sujets qu'elle connaissait, il avait abordé ceux qu'elle ne connaissait pas: films rares, gastronomie exotique, livres à tirage limité. Dans ce second temps, sa stratégie amoureuse avait été simple, il jouait sur un paradoxe qu'il avait remarqué: les femmes belles aiment qu'on leur parle de leur intelligence, les femmes intelligentes aiment qu'on leur parle de leur beauté.
Dans un troisième mouvement, il avait saisi l'une de ses mains et observé les lignes sur sa paume. Il n'y connaissait strictement rien mais il lui avait dit ce que tout être humain a envie d'entendre: elle avait un destin particulier, elle allait connaître un grand amour, elle serait heureuse, elle aurait deux enfants: deux garçons.
Enfin, dans un dernier temps, pour assurer sa prise, il avait fait semblant de s'intéresser à la meilleure amie de Scynthia, ce qui avait eu aussitôt pour effet d'éveiller sa jalousie. Trois mois plus tard, ils étaient mariés.
Maximilien considéra la pyramide. Ce triangle-ci serait plus difficile à conquérir. Il s'en approcha. Il le toucha. Il le caressa.
Il lui sembla détecter un bruit à l'intérieur de la construction. Rangeant son calepin, il appliqua son oreille sur le flanc-miroir. Il perçut des voix. Aucun doute, il y avait des gens à l'intérieur de cet étrange bâtiment. Il écoutait attentivement quand il entendit un coup de feu.
Surpris, il eut un mouvement de recul. Chez le policier, le sens privilégié est la vue et il n'aimait pas avoir à se livrer à des déductions à partir de sa seule ouïe. Il était pourtant certain que la détonation provenait de l'intérieur de la pyramide. Il appliqua de nouveau son oreille contre la paroi et, cette fois, perçut des cris suivis des grincements des roues d'une voiture. Un tintamarre. De la musique classique. Des applaudissements. Des hennissements de chevaux. Le crépitement d'une mitrailleuse.