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Et elle se souvient de ses compagnes de Révolution pro-Doigts en train de se faire exterminer dehors et se dit qu'elle n'a pas le choix.

Elle ramasse une feuille sèche et l'approche de la braise jusqu'à ce qu'elle prenne feu. Elles mettent ensuite des branchettes en contact avec la flamme et les réunissent en faisceaux entre leurs mandibules. Aussitôt, c'est l'incendie. Le sinistre s'étend vivement aux branchettes du dôme. C'est la panique. Des ouvrières se précipitent dans les pouponnières pour sauver les couvains.

Vite, il faut fuir avant d'être coincé dans l'incendie. Les révolutionnaires trouvent les sorties déjà bloquées par les ouvrières. L'escouade abandonne alors son brasier, se précipite vers les étages inférieurs et reprend en sens inverse le tunnel qu'elles ont creusé. Au-dessus, elles entendent des galopades.

Princesse 103e remonte et, passant la tête tel un périscope au-dessus du niveau du sol, entre les pattes ennemies, elle examine ce qu'il se passe. Les fédérées sont en train d'abandonner le champ de bataille pour courir éteindre l'incendie.

103e tourne la tête. L'incendie gagne tout le sommet de la Cité. Une fumée âcre, aux relents de bois brûlé, d'acide formique et de chitine fondue, se répand aux alentours.

Déjà, des ouvrières évacuent les œufs par les issues de secours. Partout, des fourmis belokaniennes s'acharnent à arroser les flammes de crachats ou de jets d'acide peu concentré. 103e sort de terre et indique à ses troupes, du moins à ce qu'il en reste, d'attendre. Le feu fait la guerre à leur place.

Princesse 103e regarde brûler Bel-o-kan. Elle sait que la Révolution pro-Doigts ne fait que commencer. Elle l'imposera par le pouvoir des mandibules et par l'impétuosité des flammes.

141. DANS LA CHALEUR DES IDEAUX

Au matin du cinquième jour, le drapeau de la Révolution des fourmis claquait toujours au-dessus du lycée de Fontainebleau.

Les occupants avaient débranché la cloche électrique qui tintait toutes les heures et, peu à peu, tout le monde s'était débarrassé de sa montre. C'était l'un des aspects imprévus de leur révolution, il ne leur était plus indispensable de se situer exactement dans le temps. Les changements de groupes ou de solistes sur le podium suffisaient pour leur faire comprendre que la journée avançait.

D'ailleurs, beaucoup avaient l'impression que chaque journée durait un mois. Leurs nuits étaient courtes. Grâce aux techniques de contrôle du sommeil profond lues dans l'Encyclopédie, ils apprenaient à trouver leur cycle précis d'endormissement. Ainsi ils arrivaient à récupérer de leur fatigue en trois heures au lieu de huit. Et nul ne semblait pour autant fatigué.

La révolution avait changé les habitudes quotidiennes de tout un chacun. Les révolutionnaires n'avaient pas seulement abandonné leurs montres, ils s'étaient aussi dépouillés de ces lourds trousseaux de clefs d'appartement, de voiture, de garage, de placard, de bureau. Ici il n'y avait pas de vol car il n'y avait rien à voler.

Les révolutionnaires avaient abandonné leurs porte-monnaie; ici, on pouvait déambuler les poches vides.

De même, ils avaient rangé dans un tiroir leurs papiers d'identité. Tout le monde se connaissant de vue ou par le prénom, il n'était plus indispensable de décliner son nom de famille pour se situer ethniquement, son adresse pour se situer géographiquement.

Mais il n'y avait pas que les poches qui s'étaient vidées. Les esprits aussi. Au sein de la révolution, les gens n'avaient plus besoin de s'encombrer la mémoire de numéros de codes d'entrée, de cartes de crédit, et tous ces nombres qu'on nous demande d'apprendre par cœur au risque de devenir clochards dans les cinq minutes suivant l'oubli des quatre ou cinq chiffres vitaux.

Les très jeunes, les personnes âgées, les pauvres, les riches se retrouvaient égaux dans la besogne comme dans les loisirs et les plaisirs.

Les sympathies particulières naissaient de l'intérêt commun pour un type de besogne. L'estime se fondait uniquement sur l'observation de l'ouvrage accompli.

La révolution ne demandait rien à personne et, pourtant, sans s'en rendre compte, la plupart de ces jeunes gens n'avaient jamais été aussi affairés.

Les cerveaux étaient en permanence sollicités par des idées, des images, des musiques ou des concepts nouveaux. Il y avait tant de problèmes pratiques à résoudre!

À neuf heures, Julie se jucha sur le grand podium pour une nouvelle mise au point. Elle annonça avoir enfin trouvé un exemple à suivre pour sa révolution: l'organisme vivant.

– À l'intérieur d'un corps, il n'existe ni rivalité ni luttes intestines. La parfaite coexistence de toutes nos cellules prouve qu'à l'intérieur de nous-mêmes, nous connaissons déjà une société harmonieuse. Il suffit donc de reproduire à l'extérieur ce que nous avons à l'intérieur.

L'audience était attentive. Elle poursuivit:

– Les fourmilières fonctionnent déjà comme des organismes vivants harmonieux. C'est pour cela que ces insectes s'intègrent si bien à la nature. La vie accepte la vie. La nature aime ce qui lui ressemble.

Désignant le totem de polystyrène au centre de la cour, la jeune fille indiqua:

– Voilà l'exemple, voilà le secret: «1 + 1 = 3.» Plus nous serons solidaires, plus notre conscience s'élèvera et plus nous entrerons en harmonie avec la nature, intérieurement et extérieurement. Dorénavant, notre objectif est de parvenir à transformer ce lycée en un organisme vivant complet.

Soudain, tout lui paraissait simple. Son corps était un petit organisme, le lycée occupé un organisme plus grand, la révolution se répandant dans le monde au moyen des réseaux informatiques, un organisme plus important encore vivrait.

Julie proposa de rebaptiser tout autour d'eux conformément à ce concept d'organisme vivant.

Les murs du lycée en était la peau, les portes en étaient les pores, les amazones du club de aïkido les lymphocytes, la cafétéria l'intestin. Quant à l'argent de leur SARL «Révolution des fourmis», il était le glucose indispensable pour insuffler l'énergie et le professeur d'économie qui aidait à la bonne marche de leur comptabilité, le diabète gérant ce sucre glucose. Le réseau informatique était, lui, le système nerveux contribuant à la circulation des informations.

Et le cerveau, alors? Julie réfléchit. Elle eut l'idée de créer deux hémisphères. Le cerveau droit, l'intuitif, ce serait leur fameux pow-wow du matin, une assemblée inventive à la recherche d'idées neuves. Le cerveau gauche, le méthodique, ce serait une autre assemblée, qui se chargerait de trier les idées du cerveau droit et de les mettre en pratique.

– Qui décidera à qui il reviendra de participer à telle ou telle assemblée? demanda quelqu'un.

Julie répondit que l'organisme vivant n'étant pas un système hiérarchisé, chacun était libre de participer spontanément à l'assemblée de son choix selon son humeur du jour. Quant aux décisions, elles seraient prises à main levée.

– Et nous huit? interrogea Ji-woong.

Ils étaient les fondateurs, ils devaient continuer à former un groupe autonome, un organe réfléchissant à part.

– Nous huit, dit la jeune fille, nous sommes le cortex, le cerveau primitif à l'origine des deux hémisphères. Nous continuerons à nous réunir pour nos débats dans le local de répétition sous la cafétéria.

Tout était complet. Tout était à sa place.

«Bonjour, ma révolution vivante», murmura-t-elle.

Dans la cour, tout le monde discutait de ce concept.

– Nous allons maintenant tenir notre assemblée inventive dans le préau de gymnastique, annonça Julie. Vienne qui veut. Les meilleures idées seront ensuite transmises à l'assemblée pratique qui les transformera en filiale de notre SARL «La Révolution des fourmis».

Il y eut foule. Dans un grand chahut, les gens s'assirent par terre tandis que circulaient de la nourriture et des boissons.

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