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La magie du feu et les résultats surprenants qu'on peut en obtenir en tant qu'énergie à usage civil font mieux comprendre à toutes les fourmis l'avance prise par les Doigts qui le maîtrisent, eux, depuis plus de dix mille ans.

Les Doigts.

Maintenant, toutes les cités fédérées savent que les Doigts ne sont ni des monstres ni des dieux et que Princesse 103e est en quête d'un moyen pour sceller une alliance avec eux. Dans son roman, 24e explique le problème en deux phrases lapidaires:

Deux mondes se regardent, celui de l'infiniment petit et celui de l'infiniment grand. Sauront-ils se comprendre?

Certaines fourmis approuvent le projet, d'autres le désapprouvent, mais toutes réfléchissent au moyen de susciter cette alliance et aux dangers et aux avantages qu'elle pourrait représenter. Peut-être qu'en plus du feu, du levier et de la roue, les Doigts connaissent d'autres secrets que les fourmis ne sont pas capables d'imaginer.

Seules les naines et certaines de leurs alliées s'entêtent encore à vouloir détruire la fédération et les idées malsaines qu'elle répand dans la nature. Après la terrible défaite subie la nuit de la bataille des Lampions, elles n'osent plus s'attaquer pour l'instant à la Nouvelle-Bel o-kan. Ce n'est que partie remise. Leurs reines pondeuses – les naines en possèdent plusieurs centaines – s'activent à mettre au monde une nouvelle génération de soldates qui, dès qu'elles seront en âge de combattre, c'est-à-dire dans une semaine, reviendront à la charge pour anéantir la fédération des rousses.

Il n'est pas dit que les technologies doigtesques soient éternellement plus efficaces que quelques ventres fertiles capables de produire de la soldatesque à profusion.

À la Nouvelle-Bel -o-kan, on est au courant de cette menace. On sait qu'il y aura de nombreuses guerres entre celles qui veulent changer le monde et celles qui veulent que tout reste comme avant.

Dans sa loge, Princesse 103e décide qu'il faut hâter le cours de l'Histoire. Sans instauration d'une vraie coopération entre les deux principales espèces terriennes, il n'y aura pas d'évolution durable. Elle convoque Prince 24e, les douze jeunes exploratrices et autant de représentantes d'espèces étrangères ralliées. Tout le monde joint ses antennes en ronde pour une C.A. collective.

La princesse dit qu'il faut tenter le tout pour le tout. Puisque les Doigts ne parviennent pas à entrer en contact avec les fourmis, aux fourmis de s'adresser à eux les premières. Elle pense que le seul moyen d'impressionner les Doigts afin qu'ils les considèrent comme des partenaires à part entière est de les approcher en nombre.

Les insectes conviés à la conférence comprennent où la sexuée veut en venir: une nouvelle grande croisade. Princesse 103e s'explique. Elle ne propose pas une croisade; elle ne veut plus de guerre inutile, elle préfère une grande marche pacifique des fourmis. La princesse est convaincue que les Doigts seront intimidés en prenant conscience de la masse énorme des insectes qui vivent à leurs côtés. Elle espère que d'autres cités se joindront à elles durant la marche et que toutes ensemble, elles s'imposeront comme un interlocuteur indispensable pour les Doigts.

Viendras-tu? demande Prince 24e.

Évidemment.

103e entend prendre elle-même la tête de cette grande marche.

Les espèces étrangères sont inquiètes. Elles veulent savoir qui va rester pendant ce temps à la Nouvelle-Bel -o-kan pour veiller à la sécurité de la Cité et faire fructifier leur travail.

Un quart de la population, propose 103e.

Les insectes branchés estiment que c'est là prendre un grand risque. Les naines seront bientôt à l'affût et il reste encore des déistes dans les environs. Les forces réactionnaires sont considérables. Il ne faut pas les sous-estimer.

Les avis sont partagés. Beaucoup se sont mises à apprécier la tranquillité et la réussite de la Nouvelle-Bel -o-kan. Elles ne comprennent pas pourquoi elles devraient prendre des risques. D'autres redoutent que la rencontre avec les Doigts ne se passe mal. Pour l'instant il n'y a eu que des échecs. À quoi cela sert-il d'investir autant d'énergie pour une marche pacifique au résultat somme toute plutôt aléatoire?

Comment les Doigts distingueront-ils la différence entre une marche pacifique et une croisade militaire?

Princesse 103e affirme qu'on n'a pas le choix: cette rencontre est cosmiquement indispensable. Si ce n'est pas elles qui organisent la marche, ce sera la tâche de la prochaine génération, ou encore de la suivante. Autant régler au plus tôt cette affaire et n'en pas laisser le fardeau à d'autres.

Les insectes discutent longtemps. Princesse 103e parvient à convaincre grâce, surtout, au charisme de ses phé-romones. Elle s'appuie sur des anecdotes de sa propre légende. Elle insiste: en cas d'échec cela apportera des informations précieuses pour ceux qui voudront recommencer.

Elle persuade ses contradictrices l'une après l'autre du bien-fondé de sa décision. Il y a tant d'espoirs de progrès à l'horizon de cette marche. Peut-être les Doigts leur enseigneront-ils d'autres merveilles encore plus impressionnantes que le feu, la roue et le levier.

Quoi, par exemple? interroge 24e.

L'humour, répond 103e.

Et comme aucune fourmi présente ne sait précisément de quoi il retourne, elles s'imaginent l'«humour» comme une invention typiquement doigtesque, conférant une puissance incroyable à qui sait le manier. 5e se dit que l'humour, ce doit être une catapulte dernier cri. 7e se dit que l'humour, ce doit être du feu en plus destructeur. Prince 24e se dit que l'humour, ce doit être une forme d'art. Les autres pensent que l'humour, ce doit être un nouveau matériau ou bien une technique inédite de stockage de nourriture.

Pour des raisons différentes, toutes sont attirées par ce Graal indéfini qu'est l'humour; à l'unanimité, elles se rangent donc à la proposition de Princesse 103e.

181. SEULE DANS LA FORÊT SOMBRE

Pas le moment de plaisanter. Il n'y avait que ce sapin pour seul salut. Julie était intimidée par sa verticalité mais la meute de chiens aboyant s'avéra le meilleur des entraîneurs.

Elle s'élança dans les branches. Dans l'urgence, elle retrouva au cœur de ses cellules la mémoire de son ancêtre lointain qui savait d'autant mieux se mouvoir dans les arbres qu'il y vivait en permanence. Si un singe subsiste encore au fond de chaque humain, que cela serve à l'occasion.

Les mains et les pieds de la jeune fille trouvèrent des appuis infimes mais suffisants. L'écorce lui écorcha les paumes. Elle progressait quand des crocs malveillants se refermèrent en claquant tout près de ses orteils. Un chien avait réussi à monter dans l'arbre. Julie était lasse de tant d'entêtement canin; dans un élan de fureur, elle montra ses canines et poussa un grognement agressif.

Le dogue la regarda, effrayé, comme s'il n'avait jamais cru un représentant de l'espèce humaine capable d'autant de bestialité. En bas, les autres chiens n'osaient plus trop approcher.

D'en haut, Julie jeta des pommes de pin sur les museaux tendus.

– Partez! Allez-vous-en! Fichez le camp d'ici, sales bêtes!

Si les chiens avaient renoncé à planter leurs crocs dans la jeune fille, ils n'en persistaient pas moins à avertir leurs maîtres que la fugitive était là. Ils aboyèrent de plus belle.

Quand un nouveau personnage surgit. De loin, on aurait dit un chien, mais sa démarche était plus calme, sa manière de se tenir plus fïère, son odeur plus forte. Ce n'était pas un chien mais un loup. Un vrai loup sauvage.

Les chiens regardèrent avancer cet être exceptionnel. Ils étaient une meute et le loup était seul, pourtant c'étaient les chiens qui étaient impressionnés. Le loup est en effet l'ancêtre de tous les chiens. Lui n'est pas dégénéré par le contact avec l'homme.

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