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– Ouf, cette fois-ci j'ai bien cru que j'y passais, dit Julie.

– Impossible. Tu ne risquais rien.

– Ah bon et pourquoi, donc?

– Parce que tu es l'héroïne. Et dans les romans les héroïnes ne meurent pas, plaisanta-t-il.

Ce raisonnement étrange surprit la jeune fille; elle se pencha sur le chien.

– Pauvre Achille, il croyait que les hommes sont les meilleurs amis des chiens.

Elle creusa rapidement un trou et l'enterra. En guise d'épitaphe elle prononça simplement:

– Ci-gît un chien qui n'a pas vraiment participé à l'amélioration de son espèce… Bon voyage, Achille.

La fourmi volante continuait à voleter autour d'eux, bourdonnant avec un rien d'impatience. Cependant Julie voulait un peu reprendre ses esprits; elle se blottit contre David. Puis, s'apercevant de ce qu'elle faisait, elle se reprit et se dégagea.

– Il faut y aller, la fourmi volante semble s'énerver, remarqua le jeune homme.

Guidés par l'insecte, ils s'enfoncèrent encore plus profondément dans la sombre forêt.

182. ENCYCLOPEDIE

QUESTION D'ÉCHELLE: Les choses n'existent que de la façon dont on les perçoit à une certaine échelle. Le mathématicien Benoît Mandelbrot a fait plus qu'inventer les si merveilleuses images fractales, il a démontré que nous ne recevions que des visions parcellaires du monde qui nous entoure. Ainsi, si on mesure un chou-fleur, on obtiendra, par exemple, un diamètre de trente centimètres. Mais si on entreprend d'en suivre chaque circonvolution, la mesure sera multipliée par dix.

Même une table lisse, si on l'examine au microscope, se révélera une suite de montagnes qui, si l'on suit leurs dénivellations, en multiplieront la taille jusqu'à l'infini. Tout dépendra de l'échelle choisie pour examiner cette table. Vue à une certaine échelle, elle fera telle taille, et le double à une autre. Benoît Mandelbrot nous permet d'affirmer qu'il n'est pas, dans l'absolu, une seule information scientifique certaine, que l'attitude la plus juste, chez un honnête homme moderne, consiste à accepter en tout savoir une part énorme d'inexactitude, laquelle sera réduite par la génération suivante mais jamais complètement éliminée.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

183. LA GRANDE MARCHE

Dès l'aube, les préparatifs de départ accaparent la Nou-velle -Bel-o-kan tout entière. Partout dans la Cité, on ne parle que de la grande marche pacifique vers les Doigts.

Cette fois, ce n'est plus une seule fourmi mais toute une foule qui s'en va à la rencontre de la dimension supérieure, à la rencontre des Doigts… à la rencontre des dieux peut-être.

Dans la salle des soldates, chacune remplit sa poche à acide formique.

Tu crois vraiment que les Doigts existent?

Une guerrière secoue la tête, perplexe. Elle reconnaît n'être pas totalement convaincue mais elle émet que le seul moyen de le savoir, c'est précisément d'aller jusqu'au bout de cette marche. Si les Doigts n'existent pas, elles reviendront tout bonnement à la Nouvelle-Bel -o-kan continuer ce qu'elles ont commencé.

Plus loin, d'autres fourmis discutent avec encore plus d'acharnement.

Tu crois que les Doigts accepteront de nous considérer comme leurs égales?

L'autre se gratte la racine des antennes.

S'ils n'acceptent pas, ce sera la guerre et nous nous défendrons jusqu 'au bout.

À la surface, on prépare les escargots au voyage. Ces énormes pachydermes baveux sont décidément les meilleurs caravaniers possible. Ils sont peut-être lents mais ils sont tout terrain et si jamais les fourmis connaissent une période de disette, un seul d'entre eux suffira à en nourrir une multitude. Alors qu'on les couvre de bagages, ils bâillent, déployant leur vingt-cinq mille six cents petites dents.

On charge les escargots de très lourds fardeaux, de braises chaudes, de réserves de nourriture.

Autour de la Nouvelle-Bel -o-kan les pèlerins s'alignent.

Sur certains, on charge des œufs creux qui font office d'amphores pleines à ras bord d'hydromel. Les fourmis se sont en effet aperçues que, consommé à petites doses, cet alcool de miel permet de mieux résister au froid de la nuit et donne du courage dans les duels.

Sur d'autres escargots encore, on charge des fourmis-citernes, ces fameux insectes immobiles gavés de miellat au point que leur abdomen est cinquante fois plus volumineux que le reste de leur corps et distendu comme un ballon.

Il y a là suffisamment de nourriture pour tenir deux hibernations, s'exclame Prince 24e.

Princesse 103e répond qu'ayant traversé le désert, elle sait que manquer de nourriture peut suffire à anéantir la plus efficiente des expéditions et, comme elle n'est pas sûre que le trajet soit giboyeux sur tout son long, elle préfère prendre ses précautions.

Au-dessus des fourmis affairées aux préparatifs, de nouvelles escadrilles de guêpes et d'abeilles veillent à ce que nulle espèce ne profite des circonstances pour les attaquer.

7e installe sur son escargot-de-Part une longue feuille de chanvre avec laquelle elle a l'intention de réaliser une tapisserie qui racontera leur longue marche vers le pays des Doigts. Elle entrepose aussi quelques pigments pour colorier sa fresque: du pollen, du sang de coléoptère et de la poudre de sciure.

Le plus grand désordre règne devant la troisième entrée de la Nouvelle-Bel -o-kan où toute une foule s'organise et se regroupe par peuple, par caste, par laboratoire d'étude ou par escargot.

Les ouvrières de la caste des ingénieurs consolident les harnachements herbeux qui serviront à maintenir les cailloux remplis de braises. Ce n'est pas tellement qu'elles craignent de provoquer un incendie, elles ont surtout peur de perdre leurs braises. D'ailleurs, elles emportent aussi du petit bois sec pour les nourrir. Elles savent que le feu est un animal vorace.

Enfin, tout le monde est prêt et la température suffisamment chaude pour se mettre en marche. Une antenne se dresse.

En avant.

L'immense caravane d'au moins sept cent mille individus s'ébranle. Les fourmis éclaireuses sont aux premiers rangs, disposées en triangle. Elles se relaient à l'avant de la procession pour rester toujours l'antenne fraîche. C'est comme si la truffe de ce long animal était sans cesse renouvelée.

Derrière les éclaireuses se trouvent des soldates fourmis rousses de la caste des artilleuses. Si les éclaireuses donnent l'alerte, ces dernières se mettront automatiquement en position de tir. Vient ensuite le premier escargot. C'est un escargot de guerre avec son chargement de braise fumante. Plusieurs artilleuses sont prêtes à tirer du haut de ce promontoire mobile.

Puis viennent les troupes de soldates d'infanterie, prêtes à charger au pas de course. Ces soldates vont aussi chasser dans les alentours pour nourrir l'ensemble de la procession.

Derrière on trouve le deuxième escargot. Lui aussi est recouvert de braises fumantes et d'artilleuses.

Puis marchent plusieurs légions étrangères. Fourmis rouges, noires et jaunes pour l'essentiel.

Ce n'est que vers le centre de la procession qu'on trouve les ouvrières ingénieurs et les ouvrières artistes.

Princesse 103e et Prince 24e ont leur propre escargot de voyage, ce qui leur permet de ne pas trop s'épuiser en marchant.

Enfin, en queue de procession, on retrouve une légion d'artilleuses, et deux escargots de guerre prêts à défendre l'arrière de la troupe.

Des soldates courent sur les flancs, encourageant les marcheuses, contrôlant les zones suspectes, maintenant la cohésion de la marche. 5e et ses comparses surveillent les surveillants, guident les guides. Elles sont les véritables promoteurs de cette marche.

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