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L'arbre brûle très vite et, après la trop grande chaleur, c'est le froid subit. Leur plafond de sable s'est vitrifié et les exploratrices ne parviennent pas à le percer à la mandibule. Pour sortir, elles sont obligées de faire un grand détour souterrain.

La pluie s'est arrêtée aussi rapidement qu'elle est apparue. Tout n'est que désolation. La petite île n'avait pour seule richesse que cet acacia Cornigera maintenant réduit en cendres grises.

6e appelle tout le monde. Elle veut montrer quelque chose.

Les myrmécéennes accourent vers le trou de terre où palpite un animal rouge qui semble respirer amplement. Non, ce n'est pas un animal. Ce n'est pas non plus végétal, ni minéral. 103e reconnaît tout de suite de quoi il s'agit. C'est une braise encore ardente. Elle est tombée dans un trou et les autres braises l'ont protégée de la pluie.

6e approche une patte. Ses griffes touchent la matière rouge orangé et, horreur, ses griffes fondent. Vision affreuse: sa patte droite devient liquide et s'écoule. Là où il y avait une patte et deux griffes, il y a désormais un tronçon parfaitement arrondi et cautérisé.

L'exploratrice sèche son moignon à l'aide de sa salive désinfectante.

Ce pourrait être le moyen de vaincre les fourmis pyg-mées, émet la princesse.

L'escouade tout entière frémit de surprise et de peur.

Le feu?

103e leur dit qu'on redoute ce qu'on ignore. Elle insiste: on peut utiliser le feu. 5e répond que, de toute manière, il est impossible d'y toucher, 6e en a déjà fait les frais. 103e explique qu'il y a tout un cérémonial à respecter. Il est possible de recueillir cette braise mais il est interdit de la toucher directement, il faut la poser sur un caillou creux. Le feu ne peut rien contre les cailloux creux.

Justement, l'île en est entourée. Avec de longues tiges utilisées comme leviers, les treize fourmis arrivent à soulever la braise et à l'introduire dans un morceau de silex. Posée dans cet écrin de pierre, la braise ressemble maintenant à un rubis précieux.

Princesse 103e explique que le feu est puissant mais fragile. Paradoxe du feu: il a le pouvoir de détruire un arbre et même une forêt entière avec ses habitants; pourtant, un simple battement d'ailes de moucheron suffit parfois à l'éteindre.

Ce feu-ci semble bien malade, remarque la guerrière expérimentée en montrant les zones rouges qui noircissent, signe selon elle de mauvaise santé pour n'importe quelle flamme. Il faudrait lui redonner vie.

Comment? En le reproduisant. Le feu se reproduit par contact. On enflamme une feuille sèche, il n'y en a pas beaucoup aux alentours mais on en trouve sous terre, et les fourmis obtiennent un grand spectre jaune. L'enfant feu est plus impressionnant que sa mère braise.

La plupart des fourmis n'ont jamais vu de feu et les douze jeunes exploratrices reculent, effrayées.

Princesse 103e les conjure de ne pas reculer. Elle dresse haut les antennes et émet clairement la phrase phéromo-nale antique:

NOTRE SEUL VÉRITABLE ENNEMI EST LA PEUR.

Toutes les fourmis savent le sens et l'histoire de cette phrase. «Notre seul véritable ennemi est la peur» est la dernière phrase prononcée par la 234e reine Belo-kiu-kiuni de la dynastie Ni des fourmis rousses, il y a plus de huit mille ans. La malheureuse a émis cette phrase alors qu'elle était en train de se noyer en tentant de dompter des truites. 234e reine Belo-kiu-kiuni pensait faire une alliance entre les fourmis et les truites du fleuve. Depuis, on a renoncé à tout contact avec le peuple des poissons du fleuve, mais la phrase est restée comme un cri d'espoir dans les possibilités infinies des fourmis.

Notre seul véritable ennemi est la peur.

Comme pour les rassurer, après s'être élevée très haut, la flamme enfant rétrécit.

Il faut la transmettre à un matériau plus épais, propose 6e, peu rancunière envers l'élément feu.

Ainsi, de feuille sèche en brindille sèche, de brindille sèche en morceau de bois, elles réussissent à façonner un petit foyer qu'elles entretiennent au fond d'une cuvette de pierre. Puis, sur les conseils de Princesse 103e, les fourmis jettent dans l'âtre des petits morceaux de brindilles que le feu s'empresse de mordre voracement.

La braise ainsi obtenue est ensuite déposée avec beaucoup de précautions dans des petites pierres creuses, elles aussi trouvées sous terre. C'est 6e qui, en dépit de sa patte carbonisée, s'avère le meilleur ingénieur du feu. Y ayant touché, elle sait s'en méfier. Sur ses recommandations, les autres constituent un trésor de braises.

Voilà avec quoi nous allons attaquer les naines! s'exclame Princesse 103e.

La nuit commence à tomber, mais la fabrication du feu les fascine. Elles embarquent sur leur vaisseau-tortue huit rochers creux forts chacun d'une braise rougeoyante. Princesse 103e dresse l'antenne et lance la phéromone piquante qui veut dire:

A l'attaque!

99. ENCYCLOPÉDIE

LA CROISADE DES ENFANTS: En Occident, la première croisade des enfants eut lieu en 1212. Des jeunes désœuvrés avaient tenu le raisonnement suivant: «Les adultes et les nobles ont échoué à libérer Jérusalem parce que leurs esprits sont impurs. Or nous, nous sommes des enfants, donc nous sommes purs.» L'élan toucha essentiellement le Saint Empire romain germanique. Un groupe d'enfants le quitta pour se répandre sur les routes en direction de la Terre sainte. Ils ne disposaient pas de cartes. Ils s'imaginaient aller vers l'est mais, en fait, ils se dirigeaient vers le sud. Ils descendirent la vallée du Rhône et, en chemin, leur foule s'accrut jusqu'à comprendre plusieurs milliers d'enfants. En chemin, ils pillaient et volaient les paysans. Plus loin, leur dirent des habitants, ils se heurteraient à la mer. Cela les rassura. Ils étaient convaincus que, comme pour Moïse, la mer s'ouvrirait pour laisser passer cette armée d'enfants et l'amener à pied sec jusqu'à Jérusalem.

Tous parvinrent à Marseille, où la mer ne s'ouvrit pas. Vainement ils attendirent sur le port, jusqu'à ce que deux Siciliens leur proposent de les conduire en bateau à Jérusalem. Les enfants crurent au miracle. Il n'y eut pas de miracle. Les deux Siciliens étaient liés à une bande de pirates tunisiens qui les menèrent non pas à Jérusalem mais à Tunis, où ils furent tous vendus comme esclaves, à bon prix, sur le marché.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

100. LE GRAND CARNAVAL

– N'attendons plus. Allons-y! lança une voix, parmi les spectateurs.

Julie ne savait pas où cet élan les mènerait, mais sa curiosité fut la plus forte.

– En avant! approuva-t-elle.

Le directeur du centre culturel pria tout le monde de rester sagement à sa place.

– Du calme, du calme, je vous en prie, ce n'est qu'un concert.

Quelqu'un lui coupa le micro.

Julie et les Sept Nains se retrouvèrent dans la rue, cernés par une petite foule enthousiaste. Il fallait vite donner un but, une direction, un sens à cette foule en marche.

– Au lycée, clama Julie. On va faire la fête!

– Au lycée, répétèrent les autres.

L'adrénaline montait toujours dans les veines de la chanteuse. Nulle cigarette de marijuana, nul alcool, nul stupéfiant n'était capable de produire un tel effet. Elle était véritablement dopée.

À présent qu'elle n'était plus séparée de son public par les feux de la rampe, Julie distinguait les visages. Il y avait là des gens de tout âge, autant d'hommes que de femmes, autant de très jeunes que de personnes mûres. Ils étaient peut-être cinq cents à se presser autour d'eux en une grande procession multicolore.

Julie entonna la «Révolution des Fourmis». Autour d'eux, on chanta et on se trémoussa tout au long de l'artère principale de Fontainebleau en une sarabande de carnaval.

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