Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Julie savait que, se conformant à la grande mode, sa mère consultait un psychanalyste rebirth. Non seulement ces praticiens remontaient à l'enfance afin d'y déceler et d'y dénouer les traumatismes oubliés mais ils faisaient revenir leurs patients au lointain stade fœtal. Julie se demanda si sa mère, qui veillait toujours à assortir son âge spirituel à son âge vestimentaire, ne finirait pas par se vêtir d'une grenouillère garnie d'une couche-culotte ou même par se lover dans un cordon ombilical en plastique.

Encore heureux que sa mère n'ait pas opté pour un psychanalyste «réincarnation». Ceux-là poursuivaient la marche arrière plus loin que le fœtus, plus loin que l'ovule, jusqu'à la vie précédente. Julie aurait alors vu sa mère revêtir la défroque de la personne qu'elle était avant sa renaissance.

– Julie, allons, ne fais pas l'enfant! Lève-toi!

Julie ne fut plus qu'une petite boule pelotonnée au fond de son lit et s'enfonça les doigts dans les oreilles. Ne plus voir, ne plus entendre, ne plus sentir.

Mais la main de la réalité vint soulever les draps et le visage maternel lui apparut au fond de son terrier.

– Julie, je suis sérieuse. Il faut que nous parlions franchement, face à face.

– Laisse-moi dormir, maman.

La mère hésitait quand son regard fut attiré par un livre ouvert, sur la table de chevet.

Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu par le Pr Edmond Wells, tome III.

L'ouvrage avait été mis en cause par le psychothérapeute. Sa fille étant toujours sous les draps, sans un bruit, elle s'en saisit.

– D'accord, tu peux dormir encore une heure mais, ensuite, on parle.

La mère ramena le livre dans la cuisine et le feuilleta. Il y était question de révolution, de fourmis, de remise en question de la société, de stratégies de combat, de techniques de manipulation des foules. Il y avait même des recettes permettant de confectionner des cocktails Molotov.

Le psychothérapeute avait raison. Il avait bien fait de lui téléphoner pour la mettre en garde contre cette prétendue encyclopédie qui pervertissait sa fille. Ce livre était un manuel subversif, elle en était sûre.

Elle le dissimula au fond du placard, sur l'étagère la plus haute.

– Où est mon livre?

La mère de Julie se félicita. Elle avait découvert la clé du problème. Supprimez la drogue et l'intoxiqué entre en manque. Sa fille était toujours en quête d'un maître, ou d'un père. Il y avait eu d'abord ce professeur de chant, maintenant cette mystérieuse encyclopédie. Elle se promit de détruire un par un ces tigres de papier jusqu'à ce que sa fille reconnaisse qu'elle n'avait qu'un seul recours: sa mère.

– Je l'ai caché et c'est pour ton bien. Un jour, tu m'en remercieras.

– Rends-moi mon livre, gronda Julie.

– Inutile d'insister.

Julie avança vers le placard; sa mère y rangeait toujours tout. Elle répéta, détachant soigneusement les mots:

– Rends-le-moi, immédiatement.

– Les livres peuvent être dangereux, plaida la mère. Avec le Capital, on a eu soixante-dix ans de communisme.

– Oui, et à cause du Nouveau Testament, on a eu cinq cents ans d'Inquisition. Dont tu es issue.

Julie découvrit l'Encyclopédie et la tira du placard où elle était prisonnière. Ce livre avait tout autant besoin d'elle qu'elle avait besoin de lui.

Sa mère resta les bras ballants à la regarder le serrer contre elle. Julie tourna les talons. À une patère, dans le couloir, elle décrocha le long imperméable noir qui lui tombait aux chevilles, en recouvrit sa chemise de nuit, prit son petit sac à dos, fourra le livre dedans et sortit en courant.

Achille la suivit, assez satisfait qu'ont ait enfin compris qu'il préférait faire sa promenade le matin et au pas de course.

– Waf, waf, waf! émit le chien, galopant de bonne humeur.

Julie, reviens tout de suite! cria la mère, depuis le seuil de la maison.

La jeune fille héla un taxi en maraude.

– Et où va-t-on, ma petite dame?

Elle lui donna l'adresse du lycée; elle devait rejoindre au plus vite l'un des Sept Nains.

72. EN CHEMIN

ARGENT:

L'argent est un concept abstrait unique inventé par les Doigts.

Les Doigts ont trouvé ce mécanisme astucieux pour ne pas avoir à échanger des objets encombrants.

Plutôt que de transporter un grand volume d'aliments, ils transportent des morceaux de papier peints et ces morceaux ont la même valeur que les aliments.

Vu que tout le monde est d'accord, cet argent peut être échangé contre de la nourriture.

Quand on parle d'argent avec les Doigts, tous vous disent qu 'ils n 'aiment pas l'argent et qu 'ils regrettent que leur société ne soit construite que sur l'importance de l'argent.

Pourtant, leurs documentaires historiques le montrent; avant l'argent, le seul moyen de faire circuler les richesses était… le pillage.

C'est-à-dire que les Doigts les plus violents arrivaient dans un endroit, tuaient les mâles, violaient les femelles et volaient tous leurs biens.

10e profite d'un instant de repos dû à un excès de fraîcheur pour interroger 103e. À l'abri d'une caverne, elle prend sous la dictée les précieuses informations sur la vie et les mœurs doigtesques pour en remplir sa phéromone-mémoire zoologique. Princesse 103e ne se fait pas prier.

Les autres fourmis s'approchent pour bénéficier elles aussi du récit. 103e parle ensuite de la rer réduction des Doigts.

Quand elle regardait leur télévision, 103 e aimait tout particulièrement voir ce qu'ils nommaient des «films pornographiques».

Les douze se rapprochent encore pour mieux humer ce nouveau trait des mœurs doigtesques.

C'est quoi des «films pornographiques»? demande 16e.

103e explique que les Doigts accordent beaucoup d'importance à leur copulation. Ils filment les meilleurs copu-lateurs pour les donner en exemple aux mauvais copulateurs.

Et qu 'est-ce qu 'on voit dans les films pornographiques?

103e n'a pas tout compris, mais, en général, il y a une femelle doigte qui arrive et qui mange le sexe du mâle. Puis ils s'emboîtent parfois à plusieurs comme les punaises des lits.

Ils ne copulent pas en planant, ailes déployées? demande 9e.

Non, 103e affirme que les Doigts copulent au sol, en se roulant comme des limaces. D'ailleurs, le plus souvent ils bavent comme des limaces.

Les fourmis sont très intéressées par cette forme de sexualité primitive. Toutes savent que les ancêtres des fourmis il y a plus de 120 millions d'années avaient une sexualité de ce type. Juste se traîner au sol et se frotter en s'emboîtant. Les fourmis se disent que, dans ce domaine-là, les Doigts sont bien en retard. L'amour en vol, en planant dans es trois dimensions, est bien plus exaltant que l'amour en deux dimensions, collés au sol.

Dehors le temps se réchauffe.

Les fourmis et leur princesse n'ont plus de temps à perdre en bavardages. Il faut faire vite si elles veulent sauver la Cité de la terrible menace de la pancarte blanche.

À l'avant, Princesse 103e n'en finit pas de s'enivrer du bonheur d'avor un sexe. Même son organe de Johnston, sensible aux champs magnétiques terrestres, fonctionne mieux.

C'est beau la vie. C'est beau le monde.

Grâce à cet organe particulier, la fourmi perçoit avec une étonnante acuité les ondes telluriques.

La Terre est, à sa surface, traversée d'ondes vibratoires. L'écorce terrestre est parcourue de veines d'énergie magnétique que 103e percevait à peine lorsqu'elle était asexuée mais qu'elle est maintenant presque à même de visualiser comme de longues racines.

Elle conseille aux douze de continuer à marcher sans plus quitter un de ces canaux vibratoires.

51
{"b":"102708","o":1}