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Puis, ce fut au tour de Léopold de présenter son projet.

– Mon idée est de fonder une agence d'architecture afin de fabriquer des maisons insérées dans des collines.

– Quel en est l'intérêt?

– La terre protège idéalement du chaud, du froid mais aussi des radiations, des champs magnétiques et de la poussière, expliqua-t-il. La colline résiste au vent, à la pluie et à la neige. La terre est le meilleur matériau de vie.

– En fait, tu veux construire des maisons troglodytes. Elles ne risquent pas d'être un peu sombres? demanda Julie.

– Pas du tout. Il suffit de creuser au sud une baie vitrée en guise de solarium et, au sommet, une baie zénithale qui permette de voir en permanence la succession des jours et des nuits. Ainsi, les habitants de ce type de maisons vivront pleinement au milieu de la nature. Le jour, ils profiteront du soleil. Ils pourront bronzer à la fenêtre. La nuit, ils s'endormiront en regardant les étoiles.

– Et à l'extérieur? questionna Francine.

– Il y aura de la pelouse, des fleurs, des arbres sur les murs extérieurs. L'air embaumera la verdure. C'est une maison fondée sur la vie, pas comme celles en béton! Les murs respireront. Les murs feront leur photosynthèse. Les murs seront recouverts de vie végétale et animale.

– Pas bête. En plus, tes constructions ne dépareront pas le paysage, remarqua David.

– Et pour les sources d'énergie? demanda Zoé.

– Des capteurs solaires installés au sommet de la colline fourniront l'électricité. Il est possible de bien vivre dans une maison incluse dans une colline sans renoncer au confort et à la modernité, souligna Léopold.

Il leur présenta les plans de sa maison idéale. Elle était en forme de dôme et semblait en effet confortable et spacieuse.

C'était donc ça que concoctait Léopold depuis le temps qu'il dessinait des habitations utopiques! Tous savaient que, comme la plupart des Indiens, il cherchait à sortir du concept de maison carrée pour intégrer des formes rondes. Une maison-colline, ce n'était en fait qu'un très grand tipi, si ce n'est que les murs en étaient plus épais.

Ils étaient enthousiastes et Ji-woong s'empressa d'ajouter sur son ordinateur cette nouvelle filiale architecturale. Il demanda simplement à Léopold de dessiner et de mettre en volume avec des images de synthèse sa maison idéale afin que les gens puissent la visiter et en apprécier les avantages. Cette seconde filiale fut baptisée «Société la Fourmilière».

Au tour de Paul d'entrer dans le cercle.

– Mon idée est de créer une ligne de produits alimentaires à base de productions d'insectes: miels, miellats, champignons, mais aussi propolis, gelée royale… Je pense pouvoir inventer des goûts inconnus et des saveurs nouvelles en puisant dans le monde des insectes. Les fourmis fabriquent à partir du miel de puceron un alcool qui ressemble beaucoup à notre hydromel, d'où mon idée de varier aussi les hydromels pour en découvrir de nouvelles nuances.

Il sortit un flacon et leur fit goûter un peu de sa boisson; tous reconnurent qu'elle était bien meilleure que la bière ou le cidre.

– Elle est parfumée au miellat de puceron, précisa Paul. J'en ai trouvé dans les rosiers du lycée et je l'ai fait fermenter cette nuit avec de la levure dans les cornues de la salle de chimie.

– Commençons par déposer une marque d'hydromel, dit Ji-woong en s'activant sur l'ordinateur. Ensuite, nous le vendrons par correspondance.

La société et sa ligne d'aliments furent donc baptisées «Hydromel».

À Zoé.

– Dans l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, Edmond Wells prétend que les fourmis parviennent à des C.A., des Communications Absolues, en joignant leurs antennes et en branchant ainsi directement leurs cerveaux l'un sur l'autre. Ça m'a fait rêver. Si les fourmis y parviennent, pourquoi pas les humains? Edmond Wells suggère de fabriquer des prothèses nasales adaptées au système olfactif humain.

– Tu veux instaurer un dialogue phéromonal humain?

– Oui. Mon idée est de tenter de fabriquer cette machine. En se dotant d'antennes, les humains se comprendraient mieux.

Elle emprunta l'Encyclopédie de Julie et montra à tous les plans de l'étrange appareil dessiné par Edmond Wells: deux cônes soudés d'où partaient deux antennes fines et recourbées.

– Dans l'atelier de travaux pratiques des brevets d'études techniques, il y a tout ce qu'il faut pour fabriquer ça: des moules, des résines de synthèse, des composants électroniques… Heureusement que le lycée comprend cette section technique, nous avons ainsi à notre portée un vrai atelier équipé d'outils de haute technologie.

Ji-woong se montra sceptique. À court terme, il ne voyait pas quelle activité économique pouvait en découler. Comme l'idée de Zoé amusait le reste du groupe, il fut décidé de lui allouer un budget dit de «recherche théorique en communication» afin qu'elle commence à bricoler ses «antennes humaines».

– Mon projet n'est pas rentable non plus, indiqua Julie en se plaçant au centre du cercle. Lui aussi est lié à une invention bizarre décrite dans l'Encyclopédie.

Elle tourna les pages et leur présenta un schéma, un plan parcouru d'indications fléchées.

– Edmond Wells appelle cette machine une «Pierre de Rosette», probablement en hommage à Champollion qui a ainsi baptisé le fragment de stèle qui lui a permis de déchiffrer les hiéroglyphes de l'Egypte antique. La machine d'Edmond Wells décompose les molécules odorantes des phéromones fourmis de façon à les transformer en mots intelligibles par les humains. De même, en sens inverse, elle décompose nos mots pour les traduire en phéromones fourmis. Mon idée est de tenter de construire cette machine.

– Tu plaisantes?

– Mais non! Il y a longtemps que, techniquement, il est possible de décomposer et de recomposer des phéro-mones fourmis; seulement, personne n'en a saisi l'intérêt. Le problème, c'est que toutes les études scientifiques concernant les fourmis ont toujours eu pour but de les exterminer pour en débarrasser nos cuisines. C'est comme si on avait confié l'étude du dialogue avec les extraterrestres à des entreprises de boucherie.

De quoi as-tu besoin comme matériel? interrogea Ji-woong.

– Un spectromètre de masse, un chromatographe, un ordinateur et, bien sûr, une fourmilière. Les deux premiers engins, je les ai déjà dénichés dans la section de préparation au B.E.P. de parfumeur. Quant à la fourmilière, j'en ai vu une dans le jardin du lycée.

Le groupe ne semblait pas enthousiaste.

– Il est normal qu'une Révolution des fourmis s'intéresse aux fourmis, insista Julie, face aux mines sceptiques de ses amis.

Ji-woong estimait qu'il valait mieux que leur chanteuse conserve son rôle de figure de proue de leur révolution et ne se disperse pas en se lançant dans des recherches ésotériques. Elle tenta un suprême argument:

– Peut-être que l'observation et la communication avec les fourmis nous aideront à mieux gérer notre révolution.

Ils s'y plièrent et Ji-woong lui alloua un deuxième budget «recherche théorique».

Puis ce fut au tour de David.

– J'espère que ton projet sera plus rentable dans l'immédiat que ceux de Zoé et Julie, lança le Coréen.

– Après l'esthétique fourmi, après les saveurs fourmis, après l'architecture fourmi, après le dialogue anten-naire, après le contact direct avec les fourmis, mon idée est de créer un bouillonnement de communications semblable à celui d'une fourmilière.

– Explique-toi.

– Imaginez un carrefour où, quel qu'en soit le domaine, toutes les informations se rejoignent et se confrontent les unes aux autres. Pour l'instant, j’ai appelé ça le «Centre des questions». En fait, c'est tout simplement un serveur informatique qui se propose de répondre à toutes les questions qu'un humain peut se poser. C'est le concept même de l’Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu: rassembler le savoir d'une époque et le redistribuer pour que tous puissent en profiter. C'est aussi ce qu'ont souhaité réaliser Rabelais, Léonard de Vinci et les encyclopédistes du dix-huitième siècle.

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