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À chacun des Sept Nains, elle rappelait un interprète différent. Paul trouva qu'elle faisait penser à Kate Bush, Ji-woong à Janis Joplin, Léopold à Pat Benatar avec sa sensualité hard rock, pour Zoé, elle présentait plutôt l'intensité de la chanteuse Noa.

La vérité, c'était que chacun discernait en Julie ce qui, dans une voix féminine, le saisissait le plus.

Elle interrompit son chant et David se lança dans un incroyable solo échevelé de harpe électrique. Léopold s'empara de sa flûte pour dialoguer avec lui. Julie sourit et entama un troisième couplet:

N!as-tu jamais rêvé d'un monde qui ne craindrait pas ce qui ne lui ressemble pas?

N'as-tu jamais rêvé d'un monde où chacun saurait trouver en lui sa perfection?

J'ai rêvé, pour changer nos vieilles habitudes, d'une Révolution.

Une Révolution des petits, une Révolution des fourmis.

Mieux qu'une révolution: une évolution.

J'ai rêvé, mais ce n 'est qu 'une utopie.

J'ai rêvé d'écrire un livre pour la raconter et que ce livre vivrait à travers le temps et l'espace bien au-delà de ma propre vie.

Si j'écris ce livre, il ne sera qu'un conte. Un conte de fées qui jamais ne se réalisera.

Ils se réunirent en une ronde et ce fut comme si un cercle magique qui aurait dû exister depuis longtemps venait enfin de se recomposer.

Julie ferma les paupières. Un charme s'empara d'elle. De lui-même, son corps se dandina au rythme de la basse de Zoé et de la batterie de Ji-woong. Elle qui n'aimait pas la danse était prise d'une irrésistible envie de se mouvoir.

Tous l'y encouragèrent. Elle ôta son pull de laine informe et, en étroit tee-shirt noir, s'agita harmonieusement, micro en main.

Narcisse y alla de son riff à la guitare électrique.

Zoé assura qu'une bonne chute était nécessaire pour équilibrer le tout.

Yeux toujours clos, Julie improvisa:

Nous sommes les nouveaux visionnaires,

Nous sommes les nouveaux inventeurs.

Voilà, ils avaient maintenant la chute. Francine fît un final à l'orgue et tous s'arrêtèrent ensemble.

– Super! s'exclama Zoé.

Ils discutèrent de ce qu'ils venaient d'accomplir. Tout semblait fonctionner sauf le solo de la troisième partie. David affirma qu'il fallait innover dans ce domaine aussi, chercher autre chose que le traditionnel riff à la guitare électrique.

C'était leur premier morceau original et ils se sentaient quand même assez fiers d'eux. Julie essuya son front en sueur. Embarrassée de se retrouver en tee-shirt, elle se rhabilla vite en marmonnant des excuses.

Pour faire diversion, elle leur dit que le chant pouvait être encore mieux contrôlé. Son maître de chant, Yankélévitch, lui avait appris à se soigner avec les sons.

– Comment ça? demanda Paul qui s'intéressait à tout ce qui concernait les sons. Montre-nous.

Julie expliqua que par exemple la sonorité «O» prononcée dans les tonalités graves agit sur le ventre.

– «OOO», cela fait vibrer les intestins. Si vous avez du mal à digérer, faites vibrer votre système digestif avec ce son. «OOOO.» C'est moins cher que des médicaments et toujours disponible. Juste une vibration. À la portée de toutes les bouches.

Sept Nains entonnèrent un bel «OOOO», en essayant de percevoir l'effet sur leur organisme.

– Le son «A» agit sur le cœur et les poumons. Si vous êtes essoufflés vous le faites naturellement.

Ils reprirent en chœur: «AAAAAA».

– Le son «E» agit sur la gorge. Le son «U» sur la bouche et le nez. Le son «I» sur le cerveau et le sommet du crâne. Prononcez profondément chaque son et faites vibrer vos organes.

Ils répétèrent chacune des voyelles et Paul proposa de mettre au point un morceau thérapeutique qui soulagerait les souffrances de ceux qui l'entendraient.

– Il a raison, soutint David, on pourrait mettre au point une chanson rien qu'avec des successions de OOO, de AAA et de UUU.

– Et passer en basse des infrasons qui calment, compléta Zoé. Ce serait l'idéal pour soigner les gens qui nous écoutent. «La musique qui guérit», ce pourrait être un bon slogan.

– Ce serait complètement inédit.

– Tu plaisantes? dit Léopold. C'est connu depuis l'Antiquité. Pourquoi crois-tu que nos chants indiens ne sont construits qu'à partir de voyelles simples répétées à l'infini?

Ji-woong confirma que la tradition coréenne contenait des chants uniquement composés de voyelles.

Ils décidèrent d'élaborer un morceau qui profiterait au corps de leurs auditeurs. Ils allaient s'y mettre quand un coup de batterie qui ne provenait pas des tambours de Ji-woong résonna dans le petit local.

Paul alla ouvrir la porte.

– Vous faites trop de bruit, se plaignit le proviseur.

Il était vingt heures. Ils avaient généralement le droit de jouer jusqu'à vingt et une heures trente mais ce jour-là, le proviseur s'était attardé dans son bureau pour finir sa comptabilité.

Il entra dans la pièce et dévisagea chacun des huit musiciens.

– Je n'ai pas pu m'empêcher de vous écouter. J'ignorais que vous aviez des morceaux originaux. C'est vraiment pas mal ce que vous faites. D'ailleurs, ça tombe peut-être bien.

Il s'assit en retournant le dossier d'une chaise.

– Mon frère inaugure un centre culturel dans le quartier François Ier et il est en quête d'un spectacle pour essuyer les plâtres, régler la sonorisation, installer la billetterie, mettre tout au point, quoi! Il avait retenu un quatuor à cordes mais deux des musiciens ont attrapé la grippe et un quatuor à deux, même dans un centre de quartier, ça ne fait pas sérieux. Depuis hier, il cherche quelqu'un capable de les remplacer au pied levé. S'il ne trouve rien, il va devoir repousser l'ouverture du centre. Ce qui ferait mauvais effet auprès de la mairie. Vous pouvez sans doute lui sauver la mise. Ça ne vous intéresserait pas de jouer là-bas pour l'ouverture?

Les huit s'entre-regardèrent, ne parvenant pas à croire à leur bonne fortune.

– Et comment! proféra Ji-woong.

– Bon, eh bien, préparez-vous vite, vous jouez samedi prochain.

– Ce samedi?

– Bien sûr, ce samedi.

Paul faillit dire que non, ce n'était pas possible, ils n'avaient pour l'instant qu'un seul morceau à leur répertoire, quand le regard de Ji-woong lui intima de se taire.

– Aucun problème, affirma Zoé.

Ils étaient inquiets et ravis à la fois.

Ils allaient enfin jouer devant un vrai public, terminées, les soirées minables et les fêtes de quartier.

– Parfait, dit le proviseur. Je compte sur vous pour mettre de l'ambiance.

Il leur adressa un clin d'œil complice.

De surprise, Francine, qui n'en revenait pas, glissa du coude sur le clavier de son orgue et produisit un arpège discordant qui sonna comme un coup de canon.

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