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L'explication surprit le policier. Ainsi, ce qu'il avait cru être un assassinat se révélait un simple accident de forêt. Une banale piqûre de guêpe.

Restait cependant la pyramide. Même s'il ne s'agissait que d'une simple coïncidence, il n'était pas normal de décéder d'une piqûre de guêpe au pied d'une pyramide construite sans autorisation en plein milieu d'une forêt protégée.

Le policier remercia le médecin légiste de sa diligence et s'en fut par la ville, le front plissé par la réflexion.

– Bonjour, monsieur!

Trois jeunes gens s'avançaient vers lui. Maximilien reconnut parmi eux Gonzague, le neveu du préfet. Son visage était marqué de bleus et d'ecchymoses, et il y avait une trace de morsure sur sa joue.

– Tu t'es battu? interrogea le policier.

– Un peu! s'exclama Gonzague. On a cassé la figure à toute une bande d'anars.

– Tu t'intéresses toujours à la politique?

– Nous faisons partie des Rats noirs, l'avant-garde du mouvement de jeunesse de la nouvelle extrême droite, précisa un autre garçon en lui tendant un tract.

«Dehors, les étrangers!», lut le policier qui marmonna:

– Je vois, je vois.

– Notre problème, c'est que nous manquons d'armement, confia le troisième acolyte. Si on avait un revolver chromé, comme le vôtre, monsieur, les choses seraient «politiquement» beaucoup plus faciles pour nous.

Maximilien Linart constata que son baudrier dépassait de sa veste ouverte et s'empressa de la boutonner.

– Tu sais, un revolver, ce n'est rien, remarqua-t-il. Ce n'est qu'un outil. Ce qui compte, c'est le cerveau qui contrôle le nerf au bout du doigt qui appuie sur la détente. C'est un très long nerf…

– Pas le plus long, s'esclaffa l'un des trois.

– Eh bien bonsoir, conclut le policier en pensant que ce devait être de l'«humour jeune».

Gonzague le retint.

– Monsieur, vous savez, nous, nous sommes pour l'ordre, insista-t-il. Si vous avez un jour besoin d'un coup de main, n'hésitez pas, faites-nous signe.

Il tendit une carte de visite que Maximilien glissa poliment dans sa poche en poursuivant son chemin.

– Nous sommes toujours prêts à aider la police, lui cria encore le lycéen.

Le commissaire haussa les épaules. Les temps changeaient. Dans sa jeunesse, lui ne se serait jamais permis d'interpeller un policier, tant cette fonction l'impressionnait. Et voilà que, sans la moindre formation, des jeunes se proposaient pour jouer les flics bénévoles! Il hâta le pas, pressé de retrouver son épouse et sa fille.

Dans les artères principales de Fontainebleau, les gens s'affairaient. Des mères poussaient des landaus, des mendiants exigeaient une pièce, des femmes tiraient un Caddie, des enfants sautaient à cloche-pied, des hommes fatigués par leur journée de travail se hâtaient de retrouver leur logis, des gens fouillaient les poubelles malodorantes entassées à cause des grèves.

Cette odeur de pourriture…

Maximilien accéléra le pas. Il était vrai que l'ordre manquait dans ce pays. Les humains se répandaient dans tous les sens, sans la moindre organisation, sans le moindre objectif commun.

Tout comme les forêts envahissaient les champs, le chaos gagnait les villes. Il se dit que son métier de policier était un beau métier puisqu'il consistait à couper les mauvaises herbes, protéger les grands arbres, aligner les futaies. En fait, c'était un métier de jardinier. Entretenir un espace vivant pour qu'il soit le plus propre et le plus sain possible.

Arrivé chez lui, il nourrit les poissons et remarqua qu'une femelle guppy avait accouché et poursuivait ses alevins pour les dévorer. Il n'y a pas de morale dans les aquariums. Il contempla un instant le grand feu de bois dans la cheminée avant que sa femme ne l'appelle pour le dîner.

Menu du jour: tête de porc sauce ravigote et salade d'endives. À table, on parla de la météo jamais favorable, des nouvelles toujours mauvaises, on se félicita cependant des bonnes notes de Marguerite à l'école et de l'excellence de la cuisine de Mme Linart.

Après le repas, tandis que sa femme rangeait les assiettes sales dans le lave-vaisselle, Maximilien demanda à Marguerite de lui expliquer comment jouer à ce jeu informatique bizarre qu'elle lui avait offert pour son anniversaire: Évolution. Elle répondit qu'elle avait ses devoirs à finir. Le plus simple, c'était encore qu'elle installe un autre programme sur son ordinateur: Personne.

Personne était, précisa-t-elle, un logiciel capable d'aligner des phrases comme s'il entretenait une conversation. Les phrases étaient ensuite prononcées au moyen d'un synthétiseur vocal et émises au travers de deux haut-parleurs, placés de chaque côté de l'écran. Marguerite expliqua à son père comment lancer le programme et s'en fut.

Le policier s'assit face à l'ordinateur qui bourdonnait. Un grand œil apparut sur l'écran.

– Mon nom est Personne mais vous pouvez m'appeler comme il vous plaira, annonça l'ordinateur par les petits haut-parleurs. Souhaitez-vous changer mon nom?

Amusé, le policier s'approcha du micro interne.

– Je vais te donner un nom écossais: Mac Yavel.

– Désormais, je suis Mac Yavel, annonça l'ordinateur. Que voulez-vous de moi?

L'œil cyclopéen battit des paupières.

– Que tu m'apprennes à jouer au jeu Évolution. Le connais-tu?

– Non, mais je peux me brancher sur sa notice d'emploi, répondit l'œil unique.

Après avoir déclenché différents fichiers, probablement pour lire les règles, l'œil de Mac Yavel se réduisit à une petite icône dans un coin de l'écran et lança le jeu.

– Il faut commencer par créer une tribu.

Le programme Mac Yavel était plus qu'un mode d'emploi du programme du jeu Évolution. C'était une véritable assistance. Il lui indiqua où placer sa tribu virtuelle, de préférence près d'une rivière virtuelle, afin qu'elle dispose d'eau douce virtuelle. Le village ne devait pas être trop proche d'une côte, afin d'éviter les attaques des pirates. Il ne devait pas non plus être situé trop en hauteur pour que les caravanes de commerçants puissent y accéder facilement.

Maximilien l'écouta et bientôt apparut sur l'écran, représenté en perspective et en volume, un petit village d'où s'échappaient des fumées sorties tout droit des toits de chaume. Des petits personnages bien dessinés entraient et sortaient par les portes, vaquant probablement de manière aléatoire à des activités aléatoires. C'était assez réaliste.

Mac Yavel lui montra comment indiquer à sa tribu l'intérêt de fabriquer des murs en torchis, des briques en glaise et des épieux aux pointes durcies par le feu. Il ne s'agissait évidemment que de simulation sur un écran, mais, à chaque intervention de Maximilien, le village représenté sur l'écran devenait plus fonctionnel, du foin s'entassait dans les granges, des pionniers partaient fonder des bourgades voisines et la population s'accroissait, signe de réussite.

Dans ce jeu, après chaque choix politique, militaire, agricole ou industriel, il suffisait d'appuyer sur la touche «espace» pour que dix ans s'écoulent. Il pouvait ainsi constater immédiatement l'effet de ses décisions à moyen et long terme. Il surveillait son niveau de réussite en haut à gauche de son écran dans une sorte de tableau de bord qui lui indiquait le nombre d'habitants, leur richesse, leur réserve de nourriture, leurs découvertes scientifiques acquises et leurs recherches en cours.

Maximilien réussit à lancer une petite civilisation qu'il orienta de façon à la doter d'un art de type égyptien. Il parvint même à lui faire construire des pyramides. D'ailleurs, ce jeu était en train de lui prouver tout l'intérêt qu'il y avait à construire des monuments, ouvrages qu'il estimait jusque-là être des gaspillages d'argent et d'énergie. Les monuments créent l'identité culturelle du peuple. De plus, ils attirent les élites culturelles des peuples voisins et ils assurent la cohésion des membres de la communauté autour du monument en tant que symbole.

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