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Chaîne 345. Divertissement. Émission «La Blague du jour». Et voici notre petite histoire drôle quotidienne que vous pourrez raconter à votre tour pour amuser vos amis: C'est un scientifique qui étudie le vol des mouches. Il coupe une patte et dit à la mouche: «Envole-toi.» Et il s'aperçoit que même sans cette patte la mouche vole toujours. Il coupe deux pattes et dit: «Envole-toi.» Là encore, la mouche vole. Il coupe une aile et il répète: «Envole-toi.» Il s'aperçoit que la mouche ne vole plus. Alors, il inscrit dans son calepin: «Lorsqu'on coupe une aile à une mouche, elle devient sourde.»

Marguerite nota mentalement l'histoire. Mais comme tout le monde avait dû l'entendre au même moment, Marguerite savait déjà qu'elle ne pourrait la placer nulle part.

Chaîne 201. Musique. Nouveau clip de la chanteuse Alexandrine: «…le monde est amour, amour toujours, amoooour, je t'aime, tout n'est que…»

Chaîne 622. Jeu.

Marguerite s'avança et reposa sa télécommande. Elle aimait bien ce jeu télévisé, «Piège à réflexion» où il fallait résoudre une énigme de pure logique. Elle estimait qu'à la télévision, c'était sans doute ce qui se faisait de plus décent. L'animateur salua la foule qui l'ovationnait et s'effaça devant une femme plutôt ronde, assez âgée et engoncée dans une robe de nylon à fleurs. Elle semblait perdue derrière d'épaisses lunettes d'écaille.

L'animateur exhiba une denture d'un blanc éblouissant. Il s'empara du micro:

– Eh bien, madame Ramirez, je vais vous énoncer notre nouvelle énigme: en conservant toujours six allumettes, sauriez-vous construire non plus quatre, ni six, mais HUIT triangles équilatéraux de taille égale?

– Il me semble que nous atteignons à chaque fois une dimension supplémentaire, soupira Juliette Ramirez. D'abord, il a fallu découvrir la troisième dimension, puis la fusion des complémentaires et à présent…

– Le troisième pas, intervint l'animateur. Il vous faut trouver le troisième pas. Mais nous vous faisons confiance, madame Ramirez. Vous êtes la championne des championnes de «Piège à…

– … Réflexion», compléta l'assistance à l'unisson.

Mme Ramirez réclama qu'on lui apporte les six allumettes en question. On lui remit aussitôt six fins et très longs morceaux de bois ourlés de rouge, afin que spectateurs et téléspectateurs ne perdent pas une miette de ses manipulations comme cela aurait été le cas avec de simples allumettes suédoises.

Elle réclama une phrase de secours. L'animateur décacheta une enveloppe et lut:

– La première phrase qui va vous aider est: «Il faut agrandir son champ de conscience.»

Le commissaire Maximilien Linart écoutait d'une oreille quand son regard s'arrêta sur son aquarium. Des poissons morts flottaient, ventre en l'air, à la surface.

Ses poissons, les nourrissait-il trop? À moins qu'ils ne soient décimés par des guerres intestines. Les forts exterminaient les faibles. Les rapides exterminaient les lents. Dans le monde clos de la cage de verre régnait un darwinisme particulier: seuls survivaient les plus méchants et les plus agressifs.

Il profita de ce que sa main était déjà plongée dans l'eau pour redresser, au fond de l'aquarium, le bateau de pirates en stuc et quelques plantes marines en plastique. Après tout, peut-être les poissons tenaient-ils pour vrai ce décor d'opérette.

Le policier remarqua que la pompe du filtre ne fonctionnait plus. Il nettoya avec ses doigts les éponges gorgées d'excréments. «Vingt-cinq guppys, qu'est-ce que ça produit comme déchets!» Pendant qu'il y était, il rajouta de l'eau du robinet.

Il distribua un peu de nourriture aux survivants, vérifia la température du bac et salua sa population.

Dans l'aquarium, les poissons se moquaient tout à fait des efforts de leur maître. Ils ne comprenaient pas pourquoi des doigts avaient retiré les cadavres des guppys qu'ils avaient dûment placés à l'endroit précis où ils fermenteraient le mieux jusqu'à ce que leurs chairs amollies soient plus faciles à découper. Ils n'avaient même pas le droit de se manger mutuellement leurs crottes puisqu'elles étaient aussitôt aspirées par la pompe. Les plus intelligents parmi les occupants de l'aquarium réfléchissaient depuis longtemps au sens de leur vie sans parvenir à comprendre pourquoi de la nourriture apparaissait tous les jours par miracle à la surface des flots, ni pourquoi cette nourriture était toujours inerte.

Deux mains fraîches se posèrent sur les yeux de Maximilien.

– Joyeux anniversaire papa!

– J'avais complètement oublié que c'était aujourd'hui, fit-il en embrassant femme et fille.

– Nous pas! Nous t'avons préparé quelque chose qui te plaira, annonça Marguerite.

Elle brandit un gâteau au chocolat et aux cerneaux de noix sur lequel était plantée une forêt de bougies en feu.

– On a fouillé dans tous les tiroirs mais on n'en a trouvé que quarante-deux, fit-elle remarquer.

D'un souffle, il éteignit toutes les bougies puis se servit une part de gâteau.

– Et nous t'avons aussi acheté un cadeau!

Sa femme lui tendit une boîte. Il avala une dernière bouchée au chocolat, découpa le carton qui révéla un ordinateur portable de la dernière génération.

– Quelle excellente idée! s'émerveilla-t-il.

– J'ai choisi un modèle léger, rapide et doté d'une très grande capacité de mémoire, souligna sa femme. Je pense que tu t'amuseras bien avec.

– Sûrement. Merci, mes amours.

Jusqu'ici, il s'était contenté du volumineux ordinateur de son bureau qu'il utilisait comme machine à traitement de textes et instrument comptable. Avec ce petit portable à la maison, il allait enfin pouvoir explorer toutes les possibilités de l'informatique. Sa femme avait le chic pour dénicher le cadeau idéal.

Sa fille prétendait avoir, elle aussi, un cadeau. Elle avait adjoint à l'ordinateur un logiciel de jeu qui s'intitulait Évolution. «Recréez artificiellement une civilisation et comprenez votre monde comme si vous en étiez le dieu», annonçait la publicité.

– Tu passes tellement de temps à t'occuper de ton aquarium à guppys, déclara Marguerite, que j'ai pensé que cela t'amuserait d'avoir tout un monde virtuel à ta disposition, avec des gens, des villes, des guerres, tout ça, quoi!

– Oh, moi, les jeux…, dit-il en embrassant quand même la donatrice pour ne pas la décevoir.

Marguerite introduisit le disque C.D.-Rom et se donna beaucoup de mal pour lui expliquer les règles de ce dernier-né, et très à la mode, produit de l'informatique. Il s'ouvrait sur une vaste plaine où, en 5000 av. J.-C, le joueur avait mission d'installer sa tribu. Ensuite, à lui de créer un village, de le protéger par une palissade puis d'agrandir son territoire de chasse, construire d'autres villages, maîtriser les guerres avec les tribus avoisinantes, développer les recherches scientifiques et artistiques, construire des routes, dessiner des champs, mettre en route une agriculture, transformer les villages en villes pour que la tribu forme une nation, survive et évolue le plus rapidement possible.

– Au lieu de t'amuser avec vingt-cinq poissons, tu disposeras de centaines de milliers d'hommes virtuels. Ça te plaît?

– Bien sûr, dit le policier, pas encore convaincu mais soucieux de ne pas désappointer sa fille.

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