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S'il avait eu un estomac, il l'aurait déjà digérée.

S'il avait eu des dents, il l'aurait déjà mâchée.

Mais l'ordinateur n'était qu'une machine inerte, constituée de composants d'origine minérale. Reine 103e était en lui et se remémorait le plan du circuit imprimé que lui avait indiqué Francine quand, soudain, avec sa vision infrarouge, elle discerna à travers la grille d'aération l'œil immense de son ennemi humain.

Maximilien reconnut la marque jaune sur son front et lui envoya un nuage d'insecticide. Les ouvertures respiratoires de la fourmi étaient encore béantes et elle toussotait quand un second nuage vint transformer complètement l'intérieur de l'ordinateur en un port anglais dans la brume. De l'air acide lui rongeait l'intérieur. C'était insupportable.

De l'air, vite.

Elle sortit par la trappe du lecteur de disquettes et fut accueillie par de nouveaux coups de feu. Elle zigzagua entre les balles qui étaient pour elle comme autant de fusées. La lampe de poche ne la quittait pas et elle galopait dans un rond de lumière.

Afin d'échapper au projecteur, elle galopa sous la porte du bureau pour regagner le salon et s'enfoncer sous le pli d'un tapis. Le tapis fut soulevé. Elle se blottit sous un fauteuil. Le fauteuil fut renversé.

La fourmi courut entre des chaussures, affolée. Il y avait de plus en plus de Doigts à sa recherche. Au moins une dizaine. Elle se réfugia dans la jungle de nylon d'un rebord de moquette épaisse.

Et maintenant?

Elle agita les antennes et repéra un courant d'air charbonneux. Elle quitta à toute vitesse la moquette et fonça vers le tunnel vertical, en face d'elle. Excellent abri. Oui, mais le projecteur avait suivi sa progression.

– Tu es dans la cheminée, 103e, cette fois je te tiens, maudite fourmi! clama Maximilien en balayant l'intérieur de sa cheminée du faisceau de sa lampe de poche.

La fourmi s'éleva dans l'immense tunnel vertical, foulant au passage de la suie.

Maximilien voulut encore lancer sur elle un nuage d'insecticide mais sa bombe était vide. La cheminée étant suffisamment large dans sa partie inférieure pour laisser passer un corps humain adulte, il décida de l'escalader pour aller aplatir 103e. Tant qu'il ne verrait pas le corps de ce fichu insecte réduit en miettes, il ne serait sûr de rien.

L'humain s'agrippa aux vieilles pierres, ses deux troupeaux de cinq doigts s'informant mutuellement de leur progression par l'entremise du central de communication cérébral. Derrière, encore plus maladroits dans la prison des chaussures, ses pieds cherchaient des appuis.

Cependant, plus le conduit se rétrécissait, plus il était facile d'y grimper. En se calant avec ses coudes et ses genoux, Maximilien avançait sans problème, tel un bon alpiniste.

Reine 103e ne s'était pas attendue qu'il la suive. Elle monta plus haut. Il monta aussi. La fourmi percevait l'odeur huileuse des Doigts à sa poursuite. Pour les fourmis, les Doigts sentent l'huile de marron.

Maximilien haletait. Grimper à quatre pattes dans une cheminée verticale, ce n'était vraiment plus de son âge. Il éclaira le haut du conduit et crut discerner deux minuscules antennes qui semblaient le narguer. Il s'éleva encore de quelques centimètres. La cheminée se rétrécissait de plus en plus et il avait du mal à y enfoncer tout son corps à la fois. D'abord il envoya son flanc droit, puis, quand celui-ci fut bloqué, son épaule droite et, son épaule à son tour coincée, il lança son bras droit en hauteur.

Reine 103e se calfeutra au creux d'une brique que Maximilien aussitôt éclaira. L'abri était difficile d'accès mais il n'allait pas laisser 103e s'échapper après s'être donné tout ce mal. Son bras ne pouvant plus avancer, il envoya son poignet à l'attaque.

La fourmi recula. Un Doigt approchait et elle était dans un cul-de-sac.

– Je te tiens, maintenant, marmonna Maximilien en serrant les mâchoires.

Il avait l'impression d'avoir frôlé la fourmi et regrettait de n'avoir pas frappé plus fort. Il enfonça son index dans la cavité mais Reine 103e effectua un petit saut de côté et mordit le doigt jusqu'au sang avec ses mandibules.

– Aïe!

Le sang perla sur la blessure minuscule. La fourmi savait qu'elle n'avait plus maintenant qu'à tirer de l'acide dans la plaie. Comme elle avait, spécialement pour cette occasion, gonflé sa glande abdominale d'acide concentré à 70 %, le jet pourrait être suffisamment corrosif pour provoquer une réaction.

Reine 103e se mit en position de tir et rata sa cible. Son venin s'écrasa contre l'ongle sans susciter le moindre dégât. Le doigt fouetta l'air. Coincée qu'elle était au fond de sa cachette, le combat était désormais presque égal.

Elle n'était plus qu'une petite fourmi fatiguée contre un index virulent. Les armes de la fourmi: sa poche de tir abdominal gorgée d'acide formique et le tranchant de ses minuscules mandibules.

Les armes du Doigt: le tranchant de son ongle, le plat de son ongle et la puissance de ses muscles.

Maximilien souffla sous l'effort. Il voulut envoyer d'autres doigts à la rescousse de son index. Il s'écorcha la main mais parvint à introduire quatre doigts dans le creux de la brique.

Duel. Comme une grosse pieuvre sortie du roman de Jules Verne Vingt mille lieues sous les mers, la main de Maximilien Linart cherchait à assommer son petit adversaire en fouettant l'air en tous sens.

La fourmi était à la fois admirative et apeurée face à cette redoutable main de combat. Vraiment, les Doigts ne mesuraient pas leur chance de posséder de tels appendices! Elle esquiva de son mieux les longs tentacules roses qui se déployaient pour l'écraser. Elle tira plusieurs salves, sans réussir à toucher sa cible rouge. Elle décida donc de multiplier les plaies. Elle entailla la chair rose d'autres infimes estafilades.

Les Doigts devenaient de plus en plus nerveux mais ne renonçaient pas. La fourmi avait sous-estimé leur acharnement. Elle reçut une tape en pleine face et fut projetée contre le fond de son refuge.

La main était déjà armée pour une nouvelle pichenette. Index complètement recourbé, il suffisait que le pouce le libère pour qu'il parte fort et droit.

Mon seul véritable ennemi est la peur.

Elle pensa à Prince 24e, son époux d'un jour. Il l'avait ensemencée. Bientôt, elle pondrait. Il était mort pour elle. Rien que pour lui, elle devait survivre.

Elle repéra l'entaille la plus large et, de toutes ses forces, elle y expédia son venin.

Sous la brûlure, l'homme eut un infime mouvement de recul, il perdit l'équilibre, chuta lourdement et s'effondra dans les cendres. Il resta là, les vertèbres cervicales brisées.

Fin du duel. Aucune caméra n'avait filmé l'exploit. Qui pourrait y croire un jour? Une fourmi, une toute petite fourmi, avait vaincu Goliath.

Elle lécha ses blessures. Puis, comme à son habitude après les combats, elle procéda à un rapide nettoyage: elle lécha ses antennes, elle en lissa les poils, elle lécha ses pattes et se remit de ses émotions.

Maintenant, il fallait terminer le travail. Si d'ici quelques minutes Mac Yavel ne recevait pas son code, il déclencherait les bombes incendiaires.

Tandis qu'elle courait, elle aperçut une ombre qui la poursuivait. Elle se retourna et vit un gigantesque monstre volant. Il était enveloppé d'ailes fines, longues et molles dont les couleurs carmin et noir ajoutaient à l'aspect effrayant. 103e sursauta de peur. Ce n'était pas un oiseau. L'animal était doté de gros yeux globuleux qui pivotèrent en tous sens pour finalement se fixer sur la fourmi. Il ouvrit la bouche et des bulles inodores s'élevèrent vers le ciel.

Un poisson.

Assez rêvassé.

Elle retourna à l'attaque de l'ordinateur. Il y avait encore des relents d'insecticide à l'intérieur mais c'était supportable.

Mac Yavel tenta de lui envoyer de petites décharges électriques afin de l'électrocuter mais la fourmi sautilla pour éviter ces pièges. Elle se concentra sur sa tâche prioritaire: couper les fils reliés à l'émetteur radio commandant les bombes.

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