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Julie aida Arthur à procéder aux ultimes réglages. Après son bricolage au lycée, elle était devenue une excellente assistante en utilisation de «Pierre de Rosette».

Tout était en place. La cour, les jurés, les journalistes et même les policiers étaient très curieux de voir si tout ce bric-à-brac fonctionnait et si on allait vraiment assister à un dialogue entre humains et fourmis.

Le président demanda qu'on procède à une première audition. Arthur fit baisser les lumières dans le prétoire et illuminer sa machine, nouvelle vedette de ce procès à rebondissements.

Un huissier saisit une fourmi au hasard dans le bocal et Arthur la déposa dans une éprouvette puis y introduisit la sonde avec ses deux antennes. Il tourna encore quelques manettes et fit signe que tout était au point.

Aussitôt, une voix synthétique et grésillante résonna dans le haut-parleur. C'était la fourmi qui parlait.

AU SECOURS!!!!!

Arthur fît encore quelques réglages.

Au secours! Sortez-moi d'ici! J'étouffe! répétait la fourmi.

Julie déposa près d'elle une miette de pain que la fourmi grignota d'autant plus avidement qu'elle était terrorisée. Arthur lui envoya un message lui demandant si elle était prête à répondre à des questions.

Qu 'est-ce qu 'il se passe? demanda la fourmi à travers la machine.

– On fait votre procès, indiqua Arthur.

C'est quoi procès?

– C'est de la justice.

C'est quoi justice?

– C'est le fait d'estimer si on a raison ou tort.

C'est quoi raison-ou-tort?

– Raison c'est quand on agit bien. Tort c'est le contraire.

C'est quoi agir-bien?

Arthur soupira. Déjà, dans la pyramide, il était très difficile de dialoguer avec les fourmis sans redéfinir sans cesse les mots.

– Le problème, dit Julie, c'est que les fourmis, n'ayant pas de sens moral, ignorent ce qu'est le bien, le mal et jusqu'à la notion de justice. Dépourvues de sens moral, les fourmis ne peuvent donc pas être considérées comme responsables de leurs actes. Il faut donc les relâcher dans la nature.

Chuchotements entre le juge et ses assesseurs. La responsabilité animale était de toute évidence au centre de leur débat. Ils étaient assez tentés de se débarrasser de ces créatures en les renvoyant dans la forêt mais, d'un autre côté, ils n'avaient pas tant de distractions dans la vie et il était rare que les journalistes fassent état des audiences et des protagonistes des procès se déroulant au tribunal de Fontainebleau. Pour une fois que leurs noms seraient cités dans la presse…

L'avocat général se leva:

– Tous les animaux ne sont pas aussi immoraux que vous le proclamez, déclara-t-il. Par exemple, on sait que chez les lions, il y a un interdit: ne pas manger de singe. Un lion qui mange du singe est exclu de la horde, comment expliquer ce comportement sinon par le fait qu'il y a «une morale des lions»?

Maximilien se souvint qu'il avait vu dans son aquarium les mères de ses poissons guppys accoucher de petits et les poursuivre aussitôt pour les manger. De même, il se souvenait d'avoir observé des chiots essayer de forniquer avec leur mère. Cannibalisme, inceste, assassinat de ses propres enfants… «Pour une fois Julie a raison et l'avocat général a tort, pensa-t-il. Chez les animaux, il n'y a pas de morale. Ils ne sont ni moraux ni immoraux, ils sont amoraux. Ils ne perçoivent pas qu'ils font des choses mauvaises. C'est d'ailleurs pour cela qu'ils doivent être détruits.»

La machine «Pierre de Rosette» se remit à grésiller.

Au secours!

L'avocat général s'approcha de l'éprouvette. La fourmi dut percevoir une silhouette car aussitôt, elle émit:

Au secours. Qui que vous soyez, sortez-nous d'ici, le coin est infesté de Doigts!

La salle se mit à rire.

Maximilien rongeait son frein. Cela tournait au cirque avec le pire des numéros: le dresseur de puces. Au lieu de mettre en lumière les dangers des systèmes sociaux fourmis appliqués aux sociétés humaines, on jouait avec une machine à faire parler les fourmis.

Julie, profitant de la bonne humeur réattaqua.

– Libérez-les. Il faut les libérer ou les tuer, mais on ne peut pas les laisser souffrir dans cet aquarium.

Le président détestait que ses accusés, même préposés au rôle d'avocat, lui ordonnent quoi que ce fût, mais l'avocat général songea pour sa part que c'était là une bonne occasion de se livrer à une petite surenchère. Il était furieux de s'être laissé damer le pion par Maximilien Linart et de n'avoir pas songé le premier à faire inculper les fourmis.

– Ces fourmis-là ne sont au fond que des lampistes, s'exclama-t-il, debout près de la «Pierre de Rosette». Si on veut châtier les vraies coupables, il faut frapper à la tête et donc juger leur meneuse: 103e, leur reine.

Dans le box des accusés, on s'étonna que l'avocat général fut au courant de l'existence de 103e et du rôle qu'elle avait joué dans la défense de la pyramide.

Le président déclara que si c'était pour parler sans se comprendre pendant des heures, autant y renoncer tout de suite.

– Je crois savoir que cette reine 103e sait bien parler notre langue! asséna l'avocat général en brandissant un gros livre relié.

C'était le deuxième volume de l'Encyclopédie du Savoir Relatif et absolu.

– L'Encyclopédie! s'étouffa Arthur.

– Mais oui! monsieur le président, sur les pages blanches, à la fin de cette encyclopédie, se trouve le journal que tenait quotidiennement Arthur Ramirez. Il a été retrouvé à l'occasion de la deuxième perquisition demandée par le juge d'instruction. Il raconte toute l'histoire des gens de la pyramide et nous informe de l'existence d'une fourmi particulièrement douée, 103e, familière de notre monde et de notre culture. Elle serait capable de dialoguer sans qu'on ait besoin de lui rabâcher chaque mot.

Dans son coin, Maximilien écumait. Il avait mis la main sur tant de trésors lors de sa première perquisition qu'il avait négligé les livres dans les tiroirs, qui ne lui avaient semblé contenir que de simples calculs mathématiques ou des formules chimiques destinés à l'aménagement des machines. Il avait oublié l'un des principes essentiels qu'il enseignait lui-même à l'école de police: tout observer autour de soi avec la même objectivité.

Maintenant, cet avocat général en savait plus que lui.

Le magistrat ouvrit le livre à la page qu'il avait cornée et lut en haussant la voix:

– 103e est arrivée aujourd'hui avec une immense armée pour nous sauver. Afin de prolonger son existence pour transmettre son expérience du monde des hommes, elle a acquis un sexe et est désormais une Reine. Elle semble avoir bonne mine malgré toutes ses pérégrinations et elle a conservé sa marque jaune sur le front. Nous avons discuté par le truchement de la machine, «Pierre de Rosette». 103e est vraiment la plus douée des fourmis. Elle a su convaincre des millions d'insectes de la suivre pour nous rencontrer.

Murmures dans le prétoire.

Le président se frotta les mains. Avec ces histoires de fourmis qui parlent, il comptait bien faire jurisprudence et même entrer dans les annales de la Faculté de droit comme ayant instruit le premier procès moderne impliquant des animaux. Avec assurance, griffonnant sur une feuille de papier, il décréta:

– Mandat d'amener contre cette…

– 103e, souffla l'avocat général.

– Ah oui! Mandat d'amener donc contre 103e, reine myrmécéenne. Policiers, veuillez vous en charger et la déférer devant la cour.

– Mais comment espérez-vous l'interpeller? demanda le premier assesseur. Une fourmi dans une forêt! Autant rechercher une aiguille dans une meule de foin.

Maximilien se leva.

– Laissez-moi faire. J'ai mon idée là-dessus.

Le président soupira:

– Je crains pourtant que l'assesseur n'ait raison. Une aiguille dans une meule de foin…

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