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Des bruits de bottes résonnèrent dans le couloir. Les policiers se rapprochaient.

Francine manipula les commandes pour que le modem téléphonique expédie non plus 56 000 bits, mais, en allure turbo forcée, 112 000 bits par seconde.

Des poings frappèrent péremptoirement contre la porte.

Francine courait d'un ordinateur à l'autre pour veiller au bon voyage de l'esprit de la Révolution des fourmis. David et Julie déplacèrent des meubles pour bloquer l'entrée du laboratoire d'informatique et les policiers entreprirent d'y donner des coups d'épaule pour la défoncer. Les meubles offraient cependant une bonne résistance.

Julie redoutait que quelqu'un n'ait l'idée de couper l'arrivée de l'électricité des plaques solaires ou la ligne téléphonique reliée à un simple portable sur le toit avant qu'ils n'en aient terminé mais, pour l'instant, les CRS n'étaient préoccupés que de lutter contre la porte qui les empêchait de faire irruption dans la salle.

– Ça y est, annonça Francine. Tous les fichiers ont été transmis à San Francisco. Notre mémoire se trouve à dix mille kilomètres d'ici. Quoi qu'il nous arrive, d'autres pourront faire fructifier nos découvertes, tirer parti de nos expériences et faire avancer notre travail même si, pour nous, tout est fichu.

Julie se sentit soulagée. Elle jeta un coup d'œil par la fenêtre et constata qu'un dernier carré d'amazones particulièrement coriaces tenait encore tête aux policiers.

– Je ne crois pas que nous soyons fichus. Tant qu'il y a de la résistance, il y a de l'espoir. Nos travaux ne sont pas perdus et la Révolution des fourmis est toujours vivante.

Francine récupéra les rideaux pour faire une corde qu'elle accrocha au balcon. Elle descendit la première et tomba dans la cour.

Les assaillants étaient enfin parvenus à écarter une planche. Par l'interstice, ils lancèrent une bombe lacrymogène dans la pièce.

Julie et David toussèrent mais, à travers ses larmes, le jeune homme indiqua qu'il y avait encore quelque chose à faire: détruire les fichiers dans les disques durs, sinon les policiers allaient s'en emparer. Il se précipita pour lancer partout la commande de formatage des disques durs. En un instant, tout leur ouvrage disparut des appa reils. Désormais, il n'y avait plus rien ici. Pourvu qu'à San Francisco la réception se soit bien passée!

Une deuxième grenade lacrymogène explosa sur le sol. Il n'y avait pas à réfléchir. Le trou de la porte s'agrandissait. A leur tour, ils s'élancèrent après les rideaux.

Julie regretta de ne pas s'être montrée plus assidue aux cours de gymnastique mais, dans l'urgence, la peur était le meilleur des professeurs. Elle glissa sans problème jusqu'à la cour. Là, elle se rendit compte qu'il lui manquait quelque chose. L'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu. Un frisson la parcourut. L'aurait-elle oubliée en haut, dans le laboratoire d'informatique maintenant envahi de policiers? Lui fallait-il renoncer à son ami le livre?

Une fraction de seconde, Julie demeura hésitante, prête à remonter. Et puis, le soulagement succéda à l'angoisse. Elle l'avait laissé dans le local du club de musique, Léo-pold ayant souhaité le consulter.

Cette hésitation lui avait fait perdre de vue Francine et David, noyés dans le brouillard de fumerolles. Autour d'elle, il n'y avait plus que des jeunes gens et des jeunes filles courant dans tous les sens.

Les forces de l'ordre étaient partout. De gros microbes noirs, armés de matraques et de boucliers, s'engouffraient par la plaie béante de la porte d'entrée. Maximilien dirigeait la manœuvre avec prudence. Il ne tenait pas à avoir cinq cents prisonniers sur les bras, il ne tenait qu'à capturer les meneurs pour l'exemple.

Il éleva son porte-voix:

– Rendez-vous! Il ne vous sera fait aucun mal.

Elisabeth, la meneuse des filles du club de aïkido, se saisit d'une lance d'incendie. Elle avait constaté que l'eau avait été rebranchée et, à présent, elle fauchait à tour de bras les policiers qui l'entouraient. Son acte d'héroïsme fut de courte durée. Des CRS lui arrachèrent la lance des mains et tentèrent de la menotter. Elle ne dut son salut qu'à sa science des arts martiaux.

– Ne perdez pas de temps avec les autres. Julie Pinson, il nous faut Julie Pinson! rappela le commissaire dans son porte-voix.

Les assaillants possédaient le signalement de la jeune fille aux yeux gris clair. Prise en chasse, elle fonça vers les lances d'incendie. Elle eut à peine le temps d'en saisir une et de libérer la goupille de sécurité.

Déjà, des policiers l'encerclaient.

Une giclée d'adrénaline monta si rapidement en elle qu'elle perçut tout ce qui se passait dans son corps. Elle était dans l'ici et le maintenant comme jamais auparavant. Elle ajusta son cœur pour l'accorder au rythme du combat et, spontanément, ses cordes vocales lancèrent leur cri de guerre:

– Tiaaaah!!!

Elle déclencha le jet d'eau et les noya au point de les forcer à se mettre à genoux. Mais ils continuaient à avancer.

Elle était une machine de combat, elle se sentait invincible. Elle était reine, elle contrôlait le dehors et le dedans, elle pouvait encore changer le monde.

Maximilien ne s'y trompa pas:

– Elle est là. Emparez-vous de cette furie! ordonna-t-il dans son porte-voix.

Une nouvelle giclée d'adrénaline donna à Julie la force de décocher un formidable coup de coude à l'homme qui tentait de l'attraper par-derrière. Un coup de pied bien ajusté fît plier un second assaillant.

Tous ses sens en alerte, elle reprit la lance d'incendie qui était tombée à terre, l'appuya contre son ventre telle une mitrailleuse, les abdominaux contractés. Elle faucha une ligne de policiers.

Quel miracle s'accomplissait en elle? Les mille cent quarante muscles qui constituaient son corps, les deux cent six os de son squelette, les douze milliards de cellules nerveuses de son cerveau, les huit millions de kilomètres de câblage nerveux, il n'y avait pas une parcelle de ses cellules qui ne se préoccupât de la voir gagner.

Une grenade lacrymogène éclata juste entre ses pieds et elle s'étonna que ses poumons ne s'autorisent pas une crise d'asthme pendant la bataille. Peut-être la graisse accumulée ces derniers temps lui avait-elle donné une réserve de forces pour mieux lutter.

Mais les CRS étaient sur elle. Avec leurs masques à gaz aux yeux ronds et leurs becs pointus prolongés d'un filtre ils ressemblaient à de noirs corbeaux.

Julie, qui donnait des coups de pied, perdit ses sandalettes. Une dizaine de bras se plaquèrent partout sur son corps, enserrant son cou et ses seins.

Une seconde grenade tomba tout près d'elle et un brouillard épais ajouta à la confusion. Les larmes ne suffisaient plus à protéger sa cornée.

Soudain tout s'inversa. Les bras ennemis s'éloignèrent, chassés par de petits coups de bâton précis et puissants. Au milieu des corbeaux, une main chercha la sienne et la saisit.

Dans la brume, ses yeux gris clair rétrécis identifièrent son sauveur: David.

Avec le peu d'énergie qui lui restait, elle voulut reprendre la lance à eau mais le garçon la tira en arrière:

– Viens.

Son oreille gauche capta les mots. Sa bouche articula:

– Je veux me battre jusqu'au bout.

C'était le désordre dans ses cellules, même ses deux hémisphères cérébraux n'étaient pas d'accord. Ses jambes décidèrent de détaler. David entraîna Julie vers le local du club de musique avec son débouché sur les caves.

– Si nous fuyons, ce sera pour moi un échec de plus, parvint-elle à émettre, le souffle haché.

– Fais comme les fourmis. Quand il y a danger, leurs reines fuient par les souterrains.

Elle scruta la bouche béante et sombre devant elle.

– L'Encyclopédie!

Paniquée, elle sonda les couvertures.

– Laisse tomber, les flics arrivent.

– Jamais!

Un policier apparut dans l'embrasure. David fit tournoyer sa canne pour gagner du temps. Il parvint à le repousser et même à fermer la porte avec les verrous.

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