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Nous sommes revenus le soir, comme nous étions partis, en changeant un peu l’ordre: au sortir des Tuileries, tout à la brune, le marquis est entré dans la même voiture avec sa femme, et Edmond m’a ramenée; mais au bout d’une demi-heure, le marquis était chez moi; et Edmond chez la marquise.

je vais maintenant passer à des choses d’un autre genre, Le marquis m’a trouvé des talents si marqués pour la danse, qu’il m’a engagée à les cultiver: j’y ai réussi au-delà de ses espérances, à l’aide des leçons du célèbre Dupré. Dans son premier enthousiasme, le marquis voulait que je débutasse à l’Opéra: j’y ai consenti assez légèrement, enivrée moi-même des talents qu’on me trouve. Il a obtenu un début, et vendredi dernier je devais doubler Mlle Lionnais, dans le ballet charmant qui termine l’intermède du Citoyen, de Genève. J’ai fait la répétition avec un applaudissement général. Quelle voluptueuse ivresse donne cet encens flatteur!… Mais le marquis, témoin des hommages qui m’ont été rendus, les a trouvés trop forts, sans doute: d’ailleurs, depuis la répétition, j’ai reçu au moins dix messages, entre autres de mon vieux Italien, qui s’est trouvé là comme, à point nommé: c’est l’ambassadeur, dont j’ai dit un mot dans une de mes lettres, à la marquise; ma porte a été fermée à tous ces gens-là; et vendredi dès le matin, le marquis a fait dire que de puissants motifs m’empêchaient de paraître sur la scène. Je sens qu’il a raison. Pour m’en dédommager, il a fait dresser un joli théâtre dans mon jardin, et j’y ai dansé avec l’applaudissement universel le rôle de Mlle Lanni, dans le ballet des Champs-Élysées de Castor et Pollux. Un autre rôle, qu’on a trouvé que je rendais supérieurement, tant pour la danse que pour la naïveté du chant, c’est celui de Mlle Dervieux, dans l’acte de Pygmalion: on dit que j’y surpassé Mlle Puvigné, qui le joua il y a dix ans. Vous voyez par tout cela que je ne manque pas d’amusements extérieurs.

Quant à mon cœur, il est parfaitement tranquille. Lagouache est guéri. Il a prié Marie de lui procurer un moment d’entretien particulier avec moi, avant son départ de Paris: j’y ai consenti; mais j’en avais averti M. le marquis, et j’ai voulu qu’il en fût témoin secret. Lagouache est entré humblement. «Mademoiselle, j’ai bien des pardons à vous demander, des excuses à vous faire, d’avoir… – Rien du tout, monsieur: vous m’avez rendu service, par toutes ces choses-là que vous me priez d’oublier. Je ne m’en souviens, que pour vous en avoir obligation: et si vous voulez faire le voyage de Rome, je m’offre de vous recommander à M. le marquis? – Ah! mademoiselle! le voyage de Rome!… – Il faut que vous quittiez Paris, et à votre place, je profiterais de cette nécessité, pour faire un voyage utile à mes progrès: j’aurai soin que M. le marquis fournisse à votre entretien. – Quoi! vous m’abandonnez! – Vous le mériteriez; mais je ne vous abandonne pas.» J’étais convenue avec le marquis, qu’il paraîtrait à un signal: je l’ai fait, dans la crainte qu’il n’échappât quelque indiscrétion à Lagouache. Le marquis est entré sur-le-champ, comme s’il fût arrivé, et m’a demandé sèchement, ce que je voulais à ce garçon. «Je lui promettais que vous vous intéresserez, pour lui, et que vous lui donnerez les moyens de faire le voyage de Rome. – J’y consens, à votre considération, madame, pourvu qu’il parte demain.» Il l’a congédié, en achevant ces mots, et j’en suis débarrassée.

Voilà, je crois, toutes mes affaires jusqu’à présent, l’ami. Vous devez vous apercevoir que je suis assez fidèlement vos conseils, du moins, autant que me le permet l’humaine fragilité. Pardonnez les fautes; et si vous trouvez que vos élèves ne vont pas aussi bien que vous le voudriez, venez nous mettre de bouche dans, la bonne voie.

P.-S. – Mme Canon ignore les arrangements actuels; elle m’a fait témoigner son étonnement de ne pas me revoir. Je n’oublie pas Laure; mais je ne voulais en parler qu’en hors-d’œuvre: je ne suis pas contente d’elle. Je désire beaucoup votre arrivée par cette seconde raison.

Lettre 107. Réponse.

[Il éteint la délicatesse de l’amour, et parle bien contre les spectacles, qu’il tourne en ridicule, l’inconcevable homme!].

25 avril.

Je n’oublie pas Laure…, je ne suis pas contente d’elle. Je désire beaucoup votre arrivée, par cette seconde raison. Ma belle, est-ce que vous me croyez jaloux? Quoi! l’homme qui sacrifierait à son ami, son bien, son honneur, tout l’agrément de sa vie (parce que l’amitié satisfaite le lui rendrait au centuple), cet homme ne lui céderait pas une femme!… Vous avez encore bien des préjugés, belle Ursule, même après être montée sur le théâtre, le moins scrupuleux de tous, l’Opéra! Tranquillisez-vous, ma belle! si c’est mon plaisir à moi qu’on me trompe, il ne faut pas disputer des goûts. L’égoïsme est un vice partout, même en amour; C’est lui, lui seul qui traite de débauche l’aimable liberté de la nature, et qui, par la contrariété, le plus souvent la rend débauche, de liberté naturelle qu’elle était. Détichez-vous de ce malheureux égoïsme, belle Ursule, et sans donner dans la débauche, qui est toujours un mal, mettez à la mode une aimable communité. Quoi! vous si parfaite, vous seriez le partage d’un seul! mais par quel motif? pour mettre tous les autres au désespoir sans doute, et jouir en despote féroce de leurs tourments. Non, non; plus belle que Gaussin, vous serez en même temps plus humaine encore. Mais (et c’est ce que je ne cesserai de vous répéter), prêtresse du plaisir, de Vénus, ou de la beauté, de l’amour enfin, vous sentirez l’importance de votre ministère, vous ne l’avilirez, vous ne le profanerez pas. Mon avis serait que vous vous acquissiez le respect des hommes, par la manière dont vous les rendrez heureux; que vous leur élevassiez l’âme, au lieu de l’abrutir en cela bien différente de la Circé de la mythologie, qui n’était autre chose qu’une belle Abéléré, dont l’amusement fut de dégrader par la plus crapuleuse débauche ceux qu’elle avait enivrés de ses faveurs. J’abhorre cette espèce de femmes. Je ne trouve pas même Ninon assez délicate: elle avait, dans l’exercice du sacerdoce amoureux, des légèretés choquantes. Je ne vous parlerai pas des actrices dont vous avez presque été la compagne: le trait des noyaux de cerise excite mon indignation à un point que je souffletterais la nymphe, si elle était là.

Par cette transition naturelle, je vais vous dire mon avis sur votre début.

Je méprise acteurs, actrices, danseurs, danseuses, figurants, figurantes, les chœurs masculins, les chœurs féminins, baladins, baladines, sauteurs, sauteuses, danseurs et danseuses de corde voltigeurs, voltigeuses, paradeurs, paradeuses; je mets tout cela dans le même sac, en dépit de la morgue de nos demoiselles des Français et des Italiens. Je suis absolument du sentiment de M. le marquis: vous ne devez pas vous mêler dans cette tourbe; vous êtes au-dessus de ces femmes-là. Songez donc à ce qu’est une actrice! Pour vous en former une idée, je voudrais que vous eussiez, comme moi, entendu siffler la sainval pendant plus de cinq longues années, à dater de son début, et de l’Épître très bien rimée, que lui adressa M. du Rosoi. Vous auriez vu alors ce qu’est une actrice, même avec du mérite, lorsqu’elle n’est pas aimée! je sais que votre charmante figure, et le genre où vous auriez donné, la danse voluptueuse, vous auraient mise à l’abri de ce revers. Mais encore vous presque marquise, ou approchant, quelque chose qui arrive, qu’auriez-vous été sur les planches? La petite Ursule: on aurait applaudi la petite Ursule quand elle aurait bien sauté, bien minaudé et au bout d’un certain temps, dès qu’elle aurait paru. Trois faquins, six petits maîtres, quatre abbés et deux crapuleux du parterre auraient dit: «Elle est ma foi gentille! je voudrais l’avoir ce soir! – je l’ai eu, moi. – Touchez là, nous sommes frères. – C’est une pauvre jouissance. – Vous l’avez dit! Voyez?…» Et certaine partie de son ajustement arrangée d’une certaine manière, aurait peint hiéroglyphiquement contre vous la plus grosse injure qu’on puisse dire d’une femme. «A-t-elle quelqu’un? – Non: depuis un temps, elle vit sur le commun. – On prétend qu’on est reçu à un louis. – Bon! (dit alors un des crapuleux); pardieu, je suis charmé de le savoir. – Elle a sa sœur avec elle (on fera cet honneur à Laure, avec qui on vous aura vue quelquefois), qui est encore plus humaine; elle est à douze francs. Oh! j’aime mieux celle-ci à un louis; c’est une fille à talents. – Elle est jolie! Mais si libertine! croiriez-vous qu’elle a presque tué six chanteurs des chœurs, douze figurants, et la. moitié de l’orchestre? – C’est une Messaline! – Autant vaut. – Oh! parbleu! je lui porterai mon louis!» reprend le crapuleux… Et voilà ce que j’ai vingt fois entendu dire de nos actrices, de nos grandes actrices!

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