Quant aux rosières, aux prix de vertu, que j’ai paru désapprouver, au lieu de revenir à ce sujet depuis ma lettre du 25 avril, je me suis au contraire confirmé dans mon opinion. Il ne doit point y avoir de prix d’émulation pour les mœurs: je m’explique, de prix unique; il faut autant de prix, qu’il y aurait d’individus: parce qu’il n’y aura jamais de mérite assez tranchant pour mériter un prix unique et que pour favoriser une fille, on humiliera toutes les autres. Au lieu qu’y ayant autant de prix que de filles, mais gradués par leur valeur, on verrait tout d’un coup ce qu’on estime la vertu de chacune d’elles. Il n’en est pas des mœurs, comme de l’excellence dans un art: les mœurs sont une chose délicate et sacrée, à laquelle on ne doit toucher que comme à l’œil, avec des précautions infinies: 1. Si vous mettez un prix unique pour les filles et qu’elles soient dix en âge égal, vous en découragez au moins six ou sept, qui n’y pourront aspirer durant la saison du mariage; 2. le prix unique est fondamentalement vicieux, en ce qu’il donne à la vertu un motif étranger à la vertu, essentiellement modeste, aimant substantiellement le secret, le retirement; 3. Les hommes ne sont pas infaillibles; ils peuvent donner le prix à la plus adroite et la moins digne; alors la véritable vertu est gratuitement humiliée; ce point seul devrait faire réprouver la séduisante institution des rosières; 4. une rosière élue éprouve un mouvement de vanité, d’orgueil; l’appareil de la fête fait qu’elle s’occupe trop d’elle-même pendant un temps. Jeune homme à marier, je ne voudrais pas d’une rosière; j’irais choisir dans l’obscurité celle à laquelle on aurait le moins pensé; j’en ferais ma douce et modeste compagne; et tout jeune homme de bon sens pensera de même. En voilà suffisamment pour justifier mon idée. Laissons nos poètes parisiens s’extasier; mettre aux Italiens une rosière, qui n’a pas le sens commun, et ne peut être applaudie que par des badauds; pour nous qui voyons en grand, qui savons approfondir, rions de la folie des hommes, qui croient créer la vertu. Oui, on peut la créer, mais il n’en est qu’un moyen, la liberté, l’égalité des fortunes, qui empêchera que le besoin ne porte la jeune fille à se vendre, et qu’il ne se trouve un corrompu assez riche pour l’acheter… Que de choses à dire encore! mais une lettre doit finir, sans quoi jamais elle n’arriverait à sa destination. N’imitons pas le bon évêque instituteur des rosières de Salenci; ses vues étaient pures; mais indépendamment de son institution la plus parfaite de toutes, les filles de son village en seraient encore meilleures. Adieu, ma rosière. Puissé-je vous voir la rose d. l. C. et l’. o. d. l’. e. d. t. l. C I.
(Ces mots sont ainsi abrégés dans l’original, et ils sont relatifs à des vues secrètes de Gaudet.).
P.-S. – J’ai oublié de répondre à l’article des lectures; je m’en aperçois ma lettre fermée. Mais il est trop important pour n’en rien dire: voici deux mots sur un papier séparé, que je glisse dans ma lettre.
Je ne vous ai conseillé que des lectures futiles et convenables à votre position. Aux femmes moins répandues que vous dans un certain monde, astreintes aux soins du ménage, il ne faut qu’un livre, la maison Rustique: si néanmoins elles sont des liseuses par goût, je leur accorderai la bibliothèque bleue, comme une très bonne lecture, à cause de la bonhomie qui y règne: surtout que leur Livre d’heures, soit en latin! il n’est pas nécessaire que les femmes entendent ce qu’elles demandent à Dieu: et voici tout ce qu’il leur convient de lui dire avec connaissance Mon Dieu! accordez-moi tout ce que désire mon mari!
Remarque. Que penser d’un pareil homme, qu’on va voir, dans la CXXIII ème lettre, élever des autels au saint législateur des chrétiens! M. Gaudet, pour le peindre d’une manière bien sentie, nous a paru avoir naturellement un bon cœur, une âme excellente; mais jeté malheureusement parmi des hommes sans mœurs, opprimé par un parent injuste, doué d’un tempérament ardent au plaisir, il a perdu de bonne heure toute estime pour les hommes, toute croyance; il a cherché à secouer toute espèce de frein, pour satisfaire ses passions. Cependant son âme, lorsqu’elle n’est pas courbée par l’orage, se redresse; elle se montre alors dans toute sa beauté; elle étonne. Dans les deux ouvrages dont il est l’âme, on doit remarquer que ce n’est pas un scélérat, quoiqu’il soit un corrupteur, caractère unique peut-être dans tous les ouvrages du genre de celui-ci: Gaudet est un véritable ami, et il perd la sœur et le frère; non par erreur, non par sottise, non par perfidie; il leur veut du bien; il veut les élever: mais n’étant pas retenu par la crainte salutaire d’un Dieu rémunérateur et vengeur, il vacille, il s’égare; il égare les autres: son âme forte prolonge son erreur; parce qu’il se croit toujours assez de moyens pour triompher des obstacles; il espère jusqu’au dernier moment, où surpris par un malheur imprévu, il se voit sans ressource: il succombe alors en héros païen, et fait regretter que ses grandes et belles qualités n’aient pas eu l’appui de la religion divine, faite pour le bonheur des hommes. Preuve évidente, sans réplique, sublime, qu’elle est nécessaire: c’est le fruit que le bon Pierre R** a prétendu que sa famille retirât de la lecture des lettres qui composent LE PAYSAN et LA PAYSANNE PERVERTIS.Je puis le dire, en qualité d’éditeur, et d’après quelques journalistes, ce double ouvrage est le plus frappant, dans son genre, le plus vaste, le plus fortement pensé, le plus naturel, qui ait encore paru.
L’Éditeur.
Lettre 116. Ursule à Laure.
[Chez une libertine, tout est libertin, et fait horreur.].
20 juillet.
On n’y saurait tenir. Edmond me fait tourner la tête! je crois qu’il se convertit, ou que désolé des infidélités de la marquise, il veut s’en venger sur moi! Il faudra que j’en vienne au moyen que je t’ai dit. Il m’a surprise ce matin avec mon page; tu sais bien? Dans la pièce d’à côté, Marie était avec le cocher, dans la même situation que sa pauvre maîtresse; et Trémoussée faisait le trio dans ma garde-robe avec le laquais. Il a vu tout cela, et il est venu m’en faire les plaintes les plus amères, dès que j’ai été libre. Il a pleuré: je me suis jetée à son cou; j’ai encore le défaut d’être sensible; et je l’ai adouci. Mais c’est toujours à recommencer. Je vais achever de secouer le scrupule.
Je désirerais que tu me prêtasses ton appartement pour une intrigue nouvelle, avec un homme qui n’est pas de mise dans ma société: c’est un gros Américain, bête, brutal, et fort laid; mais qui doit me valoir une tonne d’or. Il ne faut pas laisser échapper cela. C’est mon maître de musique qui me le procure. Tu devrais avoir aussi des maîtres? qu’en dis-tu?
Je crois que la visite du*****, dont je t’ai parlé, est pour dans trois jours. Je l’attends avec impatience: t’ai-je dit que c’est mon maître à danser qui me procure cet honneur.
J’écrirai à l’ami l’un de ces jours. Il vient de me faire une lettre!… tu la verras. Réponse.
Adieu.
P.-S. – J’apprends que mon frère vient d’écrire à la Parangon. C ’est quelque réminiscence.