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Je me suis peu à peu fortifiée pendant deux jours, sans voir mon cruel ravisseur. On me présenta une lettre de lui le second ou le troisième jour, et on me fit entendre qu’il fallait absolument la lire; j’obéis en tremblant: mais je ne pus trouver la force de faire une réponse qu’on exigeait. On me laissa tranquille; et moi-même je contribuais à me tranquilliser, en songeant que la maladie m’ôtant ce qui pouvait exciter la passion du marquis, je n’en avais plus rien à redouter! mais je me trompais. Dès qu’il crut lui-même ne plus avoir à craindre pour ma vie, il me fit donner un soir une potion calmante, disait-il, qui me procura un profond sommeil, dont il abusa: je m’éveillai dans ses bras, et s’il faut l’avouer, mes sens d’accord avec lui…

Cette circonstance ne fit qu’augmenter mon désespoir. Je l’accablai de reproches; je voulus attenter à ma vie, à la sienne; ses soumissions ne faisaient que m’irriter, et me mettre en fureur. Il s’éloigna; les femmes revinrent, me tinrent les propos les plus singuliers, par leur effronterie. Les infâmes me félicitaient. Je gardai un silence de mépris et d’indignation.

Enfin, le marquis voyant qu’après son nouvel attentat, il y avait deux jours que je n’avais pris de nourriture, il me fit offrir la liberté, si je voulais avaler quelque chose; je me laissai gagner: je pris avec indifférence ce qu’on me donna; j’aurais su que c’était du poison, que je l’aurais pris de même. Je fis sommer le marquis de me tenir sa promesse. Il vint lui-même me dire qu’il y consentait: qu’on allait m’habiller. Mais hélas! je n’eus pas la force de me remuer, et on me fit résoudre à me laisser fortifier durant quelques jours. Je demandai Mlle Fanchette, ou toi, ma cousine. Le marquis me représenta que ç’aurait été le perdre, que de divulguer un pareil secret. Il exigea en même temps de ma parole d’honneur que jamais je ne porterais de plainte contre lui. Je répondis qu’il m’avait ôté l’honneur. Il insista. Je promis tout ce qu’il voulut. Mais j’eus ensuite continuellement à me défendre de ses entreprises, et il me fit des trahisons de plus d’une espèce…

Je me rétablis enfin, assez pour me lever; et le marquis, au lieu de tenir sa parole, allait sans doute recommencer ses attentats, quand un soir, j’entendis beaucoup de bruit à la porte de ma chambre. Mes deux geôlières allèrent voir ce que c’était. Au même instant où elles ouvrirent la porte, je vis mon frère se précipiter dans la chambre, l’œil égaré. Il m’aperçut et vint se jeter dans mes bras. «Ah! mon cher Edmond!» je ne dis que ce mot, et je m’évanouis… En revenant à moi-même, je vis M. Gaudet et Mme Canon: on me donna tous les secours qu’exigeait mon état, et on attendit que je fusse remise de cet assaut pour me transporter. Je n’avouai mon malheur à mon frère, qu’à mon arrivée chez Mme Canon. Ô Dieu! quelle fureur! Il me repoussa de ses bras! un instant après, il vint sur moi fondant en larmes. La fureur recommençait bientôt. Il fit le serment de me venger, dût-il y périr… Ah! puisse-t-il ne me pas venger!

Voilà ma triste aventure! Elle ne fait pas honneur aux sentiments du marquis de ***! Adieu, ma cousine. Crains tous les hommes: j’aurais juré que le marquis était honnête.

Lettre 39. Gaudet, à Edmond.

[Il le veut calmer par le récit des arrangements avantageux qu’il a faits pour Ursule.].

20 octobre.

Du calme! de la tranquillité! Tu ne m’écoutes pas; tu me liras peut-être! À quoi servent les menaces, l’emportement, la fureur? je suis de sang-froid, je vois mieux les choses qu’un homme hors de lui-même. Cette aventure est malheureuse; mais l’issue en peut être ta fortune et celle de ta sœur, sans que l’honneur de cette dernière y perde rien; c’est à quoi je travaille: tout est conclu. J’ai droit d’exiger quelque complaisance de ta part: c’est moi seul qui ai découvert ta sœur, par mes soins infatigables, en faisant suivre en même temps les démarches de trois hommes que je soupçonnais, un financier, un vieux seigneur italien et le marquis. Que mon zèle au moins me donne quelque empire sur ton esprit, et que le succès de mes démarches t’inspire quelque reconnaissance!

Hier, j’ai vu la famille du marquis, et muni d’une lettre assez longue d’Ursule à Laure, j’ai parlé comme peut le faire à des coupables un homme qui tient la preuve du crime, comme le doit l’ami des offensés. On l’a pris sur un ton de hauteur. Je me suis concentré; j’ai gardé deux minutes ce terrible silence qui précède l’éruption enflammée des passions, et comme un autre Flaminius, j’ai dit: «Je ne vous donne qu’un quart d’heure, tout-puissants que vous êtes, qu’un quart d’heure, pour m’accorder tout ce que je vais vous demander: après cet instant fatal expiré, je n’écoute plus rien, et vous verrez à quel homme vous avez à faire. (On a souri dédaigneusement…) C’est à celui qui s’est fait donner les ordres pour reprendre la demoiselle, qui pouvait les étendre jusqu’au marquis, et qui cependant lui a fait grâce… Je vous préviens d’avance que je n’exige pas un mariage; c’est à l’honneur à vous dire là-dessus ce que vous avez à faire.» Ces derniers mots ont réveillé l’attention. Le comte m’a dit: «Que demandez-vous donc? – Une fortune pour la demoiselle, qui la dédommage d’un mariage qu’on était prêt à faire, et dont j’ai toutes les preuves; le jeune magistrat de province qu’elle allait épouser, a cent mille écus au moins: il me faut un don pareil pour la demoiselle, afin qu’elle puisse vivre dans l’indépendance le reste de ses jours, si elle le veut, et que la connaissance de votre fils ne la retienne pas dans un état au-dessous de celui, qu’elle aurait eu. C’est bien assez qu’il l’empêche d’obtenir la qualité d’épouse d’un honnête homme, celle de mère de famille, sans que son action la condamne encore à vivre dans l’indigence, fille, et déshonorée…, peut-être enceinte: car, voici la conduite du marquis… Trois attentats commis…, et un dont on ne parle pas… La conduite d’un forcené… Parlez, ou j’imprime cette lettre, avec des notes de ma façon; je ne m’en tiens pas là; je fais agir des amis aussi puissants que vous et que les vôtres, auprès d’un prince protecteur des innocents et vengeur des crimes… Mais, je sens que je me suis peut-être trop vivement exprimé, en parlant à des gens d’honneur… Ma demande est juste: je préfère de vous avoir pour juges, à vous avoir pour parties. Je ne suis cependant autorisé par personne: ses parents sont au désespoir, un frère qui est ici, ne respire que le sang et la vengeance; mais terminons et mon meilleur moyen auprès de ces gens-là, sera notre traité: il le faut éblouissant pour la famille; il faut qu’il la détermine à intimer ses ordres au fils. Ce jeune homme, plein de cœur, de la plus heureuse figure, propre à tout, trouverait des protecteurs, et surtout des protectrices j’ose vous inviter à le prévenir. Il n’y a point ici de honte réparer un crime honore le réparateur, presque autant que les plus sublimes vertus…» «Monsieur, a dit le comte, après avoir lu la lettre d’Ursule, si j’avais deux fils, je sacrifierais celui-ci à la vengeance publique: mais je n’en ai qu’un.» La famille du comte, qui s’était assemblée pour m’entendre, a parlé le même langage: le marquis a essuyé les plus cruels reproches. On est ensuite convenu qu’on m’accorderait ma demande. Je te fais grâce de quelques discussions, pour en venir au fait. On m’a dicté un écrit, pour le faire signer à ta sœur. Je l’ai tracé de ma main, tel que le voici:

«Je soussigné, Ursule R **, fille mineure, âgée de dix-huit ans trois mois, de présent à Paris, où ma famille m’a envoyée, sous les auspices de Mme Parangon, amie de madite famille, et sous la conduite de la respectable dame Canon, sa tante, reconnais, qu’ayant été enlevée par des paysans, dans la rue des Billettes, à Paris, j’ai été heureusement rencontrée et délivrée par M. le marquis de ***, qui me trouvant évanouie et sans connaissance, m’a conduite dans une petite maison à lui appartenante, du côté de la Chausséed’Antin, où il m’a mise en sûreté. Qu’étant revenue à moi, ledit sieur marquis m’a parlé avec respect, soumission et tendresse. Que sur la demande que je lui ai faite, d’être ramenée chez Mme Canon, il s’est mis en devoir de me satisfaire; mais que ma faiblesse, causée par la frayeur, et par la fièvre qui s’était allumée, ne l’ayant pas permis, il a continué de me garder, en usant avec moi de la manière la plus obligeante. Qu’à la vérité, il m’a parlé d’amour, mais comme peut le faire un honnête homme. Que je l’ai paisiblement écouté; qu’un jour n’ayant pas bien compris ce qu’il me disait et, ayant donné une marque d’acquiescement, ledit sieur marquis trompé, pensa que je consentais à couronner sa tendresse, et se conduisit en conséquence, tandis que moi, encore effrayée de mon enlèvement, et croyant que l’action du marquis en était une suite, j’ai perdu l’usage de mes sens; situation dont le marquis ne s’est point aperçu… Qu’après l’injure involontaire qu’il m’avait faite, le marquis m’a exprimé ses regrets de la manière la plus vive et la plus vraie. Que pour réparer, autant qu’il est en lui, et qu’il convient à un fils de famille encore sous l’autorité de ses parents, le mal que j’avais souffert par son erreur, il a promis d’engager ses parents à me faire le capital de quinze mille livres de rentes; que j’ai promis d’accepter, en lui délivrant la présente reconnaissance, pour servir et valoir en toute occurrence où elle sera nécessaire. Fait à Paris, ce octobre 17… Approuvé l’écriture. URSULE R **.».

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