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Ta cousine Laurette.

Lettre 79. Ursule, à Lagouache.

[La voilà qui se montre folle et sans retenue.].

15 novembre.

Tout le monde est ici contre vous; je vous reste seule; mais je tiendrai bon contre tout le monde et surtout contre mon frère, quoique je l’aime tendrement. Je viens d’avoir avec lui une prise très violente à votre sujet. Tâchez de le gagner par les moyens les plus convenables: il est bon, et si vous lui montrez les bonnes qualités que je vous crois, vous vous en ferez un ami. Quant à mon cœur, soyez-en sûr; il est à vous pour jamais; et je ne vous en aurais pas accordé la plus forte preuve, si je n’avais une ferme résolution de devenir votre femme. C’est ma première faiblesse; mais je ne m’en repentirai jamais puisqu’elle est une faveur de l’amour le plus tendre. Je dois écrire à mes parents, non pour avoir leur aveu, que peut-être ils refuseraient, mais je leur parlerai, dans ma lettre d’un établissement qui se présente pour moi. Nous nous servirons de leur consentement déjà donné dès qu’ils m’auront fait une réponse à peu près selon mes vues. Si tout s’oppose à mes désirs, vous savez ce que je vous ai promis; je le tiendrai. Adieu, mon cher amour; je n’aimerai jamais que toi.

P.-S. – Viens ce soir à minuit.

Lettre 80. Ursule, à Fanchon.

[Elle tâche de gagner ma femme par des discours trompeurs.].

20 novembre.

Grâces au ciel, ma chère sœur, après toutes mes peines, je respire enfin, puisque le marquis et le conseiller sont mariés tous deux! je n’y pense plus. Il n’y avait pas que ces partis-là dans le monde; peut-être n’est-ce pas en épousant des gens qui se croient au-dessus de nous qu’on peut espérer vivre heureux en ménage; j’ai toujours ouï-dire que la douce égalité assortissait bien mieux. C’est le cas où je me trouve, et je t’avouerai que je préfère un mari auprès duquel je n’aurai pas toujours le rôle d’une obligée: il me semble qu’il n’y a rien de si fatigant, à la longue, que ce rôle-là, et, qu’il suffit seul pour rendre une femme très malheureuse. Je trouve ici un jeune peintre, ami de mon frère, estimable, rempli de belles qualités et de talents, auquel je désirerais de m’unir, si c’est, comme je le pense, le bon plaisir de nos chers père et mère. Il se nomme M. Lagouache, et il est de très bonne famille. Je te dirai que ma rupture avec le marquis ne les a pas brouillés, mon frère et lui; loin de là, ils se voient tous les jours; et comme mon frère demeure à l’étage au-dessus de moi, il ne s’en passe guère que je n’aie leur visite. Je me conforme à l’usage du grand monde, avec le marquis, et je lui parle comme s’il n’était rien arrivé entre nous. De son côté, il me débite des galanteries d’usage, et qui ne signifient rien; je les reçois avec des expressions de la même valeur: mais comme il est le plus riche et le plus puissant, il s’avance quelquefois davantage, et il me disait un de ces jours: «Croyez, mademoiselle, que s’il avait dépendu de moi, vous seriez mon épouse, et que sans la tromperie qu’on m’a faite, en me persuadant la mort de mon fils, jamais je n’aurais eu la complaisance de me conformer aux vues de ma famille. Dans le fond, je sais tout ce que je vous dois: la moitié de ma fortune ne m’acquitterait pas avec vous, aussi, brûlé-je d’envie de faire pour vous tout ce qui dépendra de moi. Je voudrais que vous eussiez un carrosse, un domestique, une maison. Je puis, sans déranger mes, affaires, mettre à cet objet soixante mille francs par an, et vous m’obligeriez de prendre ce train de vie, qui vous convient, comme à la mère de mon fils. Car certainement, si je n’en ai pas d’autre, ou que mon épouse ne me donne que, des filles, il sera mon héritier, et j’aurai pour cet effet recours à la bonté, du prince. Il n’y aura aucun obstacle à craindre du côté de ma famille; car mon père et mes deux oncles sont dans les mêmes sentiments; je suis le dernier mâle de ma maison. Ainsi, je voudrais que vous prissiez dès à présent un ton, qui indiquât que la mère de mon fils est une femme du premier mérite. Votre beauté ne vous donnera que des admirateurs, et aucun détracteur, après vous avoir vue, n’osera ouvrir la bouche; vous êtes si parfaite en appas et en grâces, que sans avoir les puissantes raisons que j’allègue, sans amour pour vous, sans désirer de retour de votre part, je vous offrirais encore les mêmes choses, pour mettre dans un jour digne d’elle une femme propre à faire l’ornement de la société, lorsqu’elle voudra s’y montrer.» Il fait plus: il me presse, il presse mon frère d’accepter ces propositions. Mais je ne vois pas que je doive le faire; du moins jusqu’à ce qu’il y ait, lieu, de croire que le marquis n’aura pas d’autre fils. Car pour lors, comme il le dit, ce ne serait pas de lui que je ni pour lui que je brillerais tout, cela n’aurait, que mon fils pour objet. Un enfant de ce rang-là, s’il obtenait celui de son père, mériterait, exigerait même que sa mère eût un train convenable, et qu’elle ne demeurât pas dans une obscurité dont il aurait à rougir. Tout cela me met dans un furieux embarras! D’un côté mon cœur me sollicite pour un établissement où je serai tranquille, mais privée de mon fils; de l’autre, je vois l’aisance, une vie dissipée, bruyante même, qui n’est pas sans attrait, mais qui pourrait offrir un côté désavantageux aux yeux des critiques sévères. Je crois que pour éviter les dangers de toute espèce que je prévois, il vaudrait mieux me marier. Je te prie, chère sœur, d’en toucher un mot à nos bons père et mère, et de les engager à m’envoyer leur aveu, pour m’en servir, en cas d’un avantage réel à mon égard, et de l’avis de mes amis.

Lettre 81. Réponse.

[Ma femme expose les pressentiments de nos parents sur les malheurs qui menacent Ursule et Edmond.].

1er décembre.

Vos deux dernières lettres, chère sœur dont une m’est venue par renvoi de Mme Parangon, ont été vues de mon mari quoique ce ne fût pas mon intention. Je ne saurais que vous témoigner le plus grand chagrin de tout ce qui vous arrive ma très chère sœur, et de la tournure de vos affaires; et il est certain que si ça venait à la connaissance de nos chers père et mère, ils en seraient bien marris! mais nous comptons bien de le leur cacher, en leur lisant nous-mêmes les lettres, et passant tout ce qu’il y aurait de plus chagrinant: espérant qu’avant que tout ça se découvre à leurs yeux, il y aura quelque bonne nouvelle températive du mal par le bien. Et d’abord ils n’approuvent pas. votre inclination pour M. Lagouache, et ils en chargent mon mari de le marquer au cher frère Edmond, auquel ils enjoignent de s’y opposer en leur nom. Par ainsi, ma très chère bonne amie sœur, c’est une chose à quoi vous ne pouvez plus bonnement penser. Quant à l’égard de ce que vous me marquez de M. le marquis, ce sont là choses à quoi nous ne nous entendons aucunement mon mari ni moi; si ce n’est que ça ne nous paraît pas bon; et votre frère aîné a là-dessus des doutes qui le tourmentent jour et nuit, sans pourtant oser juger que ça soit mal. C’est ce qui fait qu’il écrit en grand attendrissement de cœur au cher frère Edmond; car il l’a serré, et moi aussi, chère sœur; et nous sommes comme en crainte tous deux de quelque grand malheur qui vous pourrait bien arriver à l’un ou à l’autre, ou à tous deux. Et je vous prie donc, chère bonne amie sœur, ainsi que le très cher frère Edmond, par la révérence que tous tant que nous sommes devons à la vieillesse de nos bons père et mère, de prendre bien garde à ne pas leur donner des chagrins qui deviendraient mortels à leur âge; et tout au contraire, de ne chercher que ce qui peut les flatter et leur faire plaisir. Hier, chère sœur, notre bon père était debout sur la porte du jardin, rêveur et pensif; et notre bonne mère le regardait. Et elle me dit: «Fanchon, votre père me paraît rêveur et pensif; et si crois-je que je viens de voir une larme couler de ses yeux?» Mon mari était là. À ce mot, il se lève et court à son père; et le voyant ne se pas remuer, quoiqu’il s’approchât tout près, et que la larme coulait, il s’est tenu arrêté, attendant que son père lui parlât, allant, revenant et rôdant autour de lui. À la fin, il l’a vu, et il lui a dit: «Mon fils, en cette même place, je viens d’avoir en pensée qu’un malheur menaçait mes enfants qui sont à Paris. C’est un mot des lettres d’Ursule qui me l’a fait venir. Tu m’as lu qu’on lui offre soixante mille livres par année!… Ô mon fils! il y a un nuage entre ces deux enfants-là et moi, qui me cache leur malheur arrivé, ou prêt à arriver. – Non, non, mon père, a dit Pierre, il n’y a que ce que je vous ai lu de vrai. Mais tu ne le saurais pas, mon Pierre! – Si fait, mon père; ou l’un ou l’autre écrivent, tantôt à ma femme, tantôt à moi. – Mon fils, vois cette place, elle me tire souvent des larmes! c’est là où j’ai, il y a cinq ans, donné des instructions à ton frère, avant que de l’envoyer à la ville; et c’est en la même place, que j’ai parlé à Ursule, un an après, lui recommandant la sagesse et l’honneur, avec la sainte crainte de Dieu. 0 mon fils! ton frère et ta sœur ont-ils conservé l’honneur et la sagesse, avec la sainte crainte de Dieu!… Hélas! hélas! que je crains qu’en les voulant avancer, je ne les aie envoyés à leur perdition!…» Et ses larmes ont coulé. Mon mari l’a embrassé au milieu du corps, en lui disant: «Mon très honoré père, calmez vos paternelles douleurs! Edmond est bon fils et bon frère, et il conduira la jeunesse d’Ursule; et moi, de ma part, je vous promets de leur écrire tendrement, pour encore les y exhorter. Car vous savez, très cher père, que s’ils vous honorent, respectent et chérissent, comme auteur de leur vie, après Dieu, dont vous êtes le lieutenant à notre égard, ils m’aiment, moi, comme leur aîné, et votre lieutenant; et jamais ni l’un ni l’autre ne m’a volontairement contristé; car ils savent qu’ainsi que je respecte père et mère dans leurs saintes et respectables personnes, ainsi les aimé-je plus familièrement dans chacun et chacune de mes frères et sœurs, et surtout en eux deux, la paternelle et maternelle ressemblance. Par ainsi, très cher père! accoisez-vous, et vivez en liesse au milieu de vos respectueux enfants. Pierre, a dit le vieillard, mes jours s’avancent, et je suis déjà au nombre des anciens: je ne demande qu’à descendre en paix dans le tombeau de mes pères, mais il m’était avis tout à l’heure que j’y descendrais avec amertume! Dieu le détourne, mon père! a crié votre frère aîné; et ça ne sera ni par Edmond, ni par Ursule, ni par aucun de nous, très cher père!» Et ils n’ont plus rien dit; mais ils s’en sont venus à la maison, le fils soutenant son père, qui paraissait plus calme. Vous voyez par ce petit récit, ma très chère sœur, tout ce que vous pourriez donner de joie et de contentement à ce bon père, ainsi qu’à notre si bonne mère! qui, tous les jours parle de vous, comme si elle n’avait que vous de fille. C’est, dit-elle, qu’elle voit les autres, et que ses yeux nous parlent; mais qu’elle ne vous voit pas, et qu’il faut bien que sa langue fasse mention de vous, puisqu’elle ne vous voit, ni ne vous entend. Consultez-vous donc avec le cher frère Edmond, pour voir ce qui pourra être le mieux, afin de complaire aux chères personnes.

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