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Lettre 64. Laure, à Ursule.

[Elle continue à servir les desseins de Gaudet.].

Écrite avant les deux précédentes.

Tu touches, si tu le veux, chère cousine, au moment désiré de te montrer sous le jour le plus favorable à la famille du marquis. On est sur le point de te demander solennellement: c’est l’instant de la fierté, ton mariage ne s’en fera pas moins, il est immanquable, à cause de ton fils; mais il sera beaucoup plus heureux. Je te préviens qu’un de ces jours, tu auras la visite de M. le comte, et que le marquis doit employer devant lui les raisons les plus fortes pour te déterminer. C’est à toi d’arranger tes refus de manière qu’ils te donnent un nouveau relief, sans décourager ton futur. Cette occasion est unique; il ne faut pas la laisser échapper. Je crois que M. Gaudet te verra cet après-midi: tâche de savoir son sentiment, sans lui dire le tien.

Lettre 65. Ursule, à Mme Parangon.

[Elle se doute de la supercherie.].

30 juillet.

Voilà, très chère amie, une lettre que Laure m’écrivit il y a trois jours: je vais ensuite vous faire part de la conversation que j’ai eue avec M. Gaudet. Mais lisez d’abord la lettre de Laure. L’ami de mon frère est venu sur les quatre heures.» À quand le mariage? – Je l’ignore; on n’en dit mot. – Si, l’on en parle fort chez M. le comte de***: tout le monde le désire, et vous en êtes la maîtresse. – Je ne vous cacherai pas que j’en suis ravie. – Cela est fort naturel! Comment vous proposez-vous de vous conduire? – Mais d’accepter tout uniment. – C’est un parti sage: ce mariage devrait être fait! – je le pense! J’accepterai le marquis; je le dois à présent. – Certainement, c’est un devoir, à cause de votre fils, et vous devez vous sacrifier. – C’est bien un sacrifice, je vous assure! C’est aussi, je crois, ce qu’il faudra faire sentir vivement! – je n’y manquerai pas. – Il serait délicieux de désespérer le marquis, en le refusant… au moins d’abord? – C’est ce que je me propose. – À votre place, je n’accepterais qu’avec M. le comte en particulier? – Cette idée est excellente, et je veux en profiter. – je lui ferais entendre, que c’est autant par le respect qu’il m’inspire, et la haute considération que j’ai pour lui, que pour l’intérêt de mon fils? – C’est justement ce que j’avais pensé. – Nous sommes d’accord; parce qu’en effet la raison dicte cette conduite, dans la position où vous êtes», etc. Mon amie, ne se pourrait-il pas que M. Gaudet et Laure eussent des vues particulières, pour faire échouer le projet de mon mariage? je leur trouve un air en dessous depuis quelque temps. J’ai résolu de les attraper (si tant est qu’ils me trompent), et d’accepter, après quelques difficultés assez vives. Votre avis là-dessus, je vous prie?

P.-S. – je crois cependant que je les soupçonne à tort. Quel serait le motif de M. Gaudet, par exemple? Pour Laure, peut-être un peu d’envie… Encore, elle est ma cousine, et mon mariage lui fera plus de bien que de mal. Je crois que je suis soupçonneuse? J’en serais fâchée; cela marquerait que je suis méchante, et que je juge les autres d’après moi.

Lettre 66. Réponse.

[Mme Parangon donne le seul conseil à suivre.].

Même jour.

Accepte, ma chère Ursule, sans faire même ces difficultés auxquelles tu parais tenir: voilà mon avis. Ce n’est pas que je soupçonne M. Gaudet de te trahir: mais cet homme a une manière de faire le bien de ses meilleurs amis, qui souvent est fort mauvaise! Il se pourrait qu’il eût quelque dessein secret, tel qu’il ne lui est pas avantageux qui soit connu. Comporte-toi en cette occasion, d’après mes avis; car il n’y a qu’une chose de certain ici, c’est que tu as un fils, auquel il faut donner un état, une famille, un titre en un mot, et qu’un fils est tout pour sa mère. Elle doit lui tout immoler, hors l’honneur; mais la vie et le bonheur sont au nombre des sacrifices à lui faire; sans cela, elle n’est pas mère, elle est marâtre.

Lettre 67. Laure, à Gaudet.

[Jalousie de femme contre Ursule.].

31 juillet.

Tes projets sont renversés, l’ami, si tu n’y mets ordre Ursule vient d’accepter. Tout allait bien d’abord; elle a dit au marquis les choses les plus dures; entre autres, qu’elle avait de la répugnance pour lui. J’aurais cru qu’il allait se cabrer à un mot si dur; point du tout! il a répondu avec une modération, dont un homme de son âge, de son rang (je pourrais ajouter, de son caractère) ne me, paraissait guère susceptible; Mademoiselle, en avez-vous pour votre fils?… Il est certain que la famille du comte n’est point pour ce mariage; il faut les aider, dans cette circonstance, et faire en sorte que cette petite tête refuse absolument: à moins que tu n’aimes mieux laisser terminer. Voici néanmoins l’occasion de développer les ressources de ton génie. Edmond sera négligé, si l’on n’a plus rien à attendre de son crédit sur l’esprit de sa sœur, pour l’éloigner du mariage. J’aurais bien encore un autre motif, pour t’engager à agir: c’est que Mlle ma cousine est naturellement un peu fière; si elle devient marquise, je ne pourrai plus la regarder. Je la connais, cela en viendra là:

A chi fa legger nella fronte il mostro.

Mets ordre à cela, je t’en prie, n’importe par quel motif; car je sais que tu es au-dessus de mes idées, que tu nommes des femmillages.

Je soupçonne Mme Parangon d’être son guide en cette occasion; car Ursule pensait comme nous.

Lettre 68. Réponse.

5 août.

J’ai depuis longtemps en main un mauvais sujet, presque aussi beau qu’Edmond, mais qui en est tout l’opposé par le caractère et les sentiments: c’est une âme basse, crapuleuse, que j’ai maintenue basse et crapuleuse avec autant de soin, que je cherche à élever celle d’Edmond. Cela n’est bon qu’à faire du mal, et je l’y emploierai, pour que cette âme nulle soit bonne à quelque chose. Tu inviteras ce vil personnage, que j’ai donné pour élève lors de mon départ, au maître d’Ursule, à un bal chez Coulon, faubourg Saint-Germain: la salle est assez bien, pour que tu y conduises ta cousine et son frère; car j’imagine qu’elle n’irait pas seule. Tu diras à Lagouache (c’est le nom de mon vil instrument), qu’il s’agit de plaire à Ursule: le sot danse bien; tâche qu’il ne parle pas; excite en lui la lubricité, le bas intérêt; fais luire l’espoir d’un succès facile, et ne lui cache pas qu’Ursule a fait un enfant; cela enhardit les sots, et quelquefois les gens d’esprit. Tu auras soin de faire remarquer à ta cousine les grâces du fat, de vanter son mérite; tu lui apprendras qu’il est élève de son maître, et tu lui feras naître l’envie d’en faire son émule. Une fois prise, quand la sottise paraîtrait, elle n’éteindrait pas l’amour; cette passion métamorphose la bêtise en aimable simplicité. Tu vois, ma chère Laure, que je ne suis jamais en défaut, et que j’ai une pièce pour tous les trous. Je finis par cette jolie phrase, qui t’appartient.

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