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C’est que tout aussitôt que nous avons eu ces nouvelles, par votre lettre, mon mari, avec la permission de notre père, a bien vite été les porter à la chère dame Parangon; car il était dit, entre cette bonne dame et nous, que le premier qui aurait des nouvelles, les ferait savoir à l’autre. Si bien que mon mari y a été. Et en entrant, il l’a trouvée avec une petite fille jolie comme la mère, à laquelle elle montrait à lire. Et en voyant mon mari, elle a dit à l’enfant: «Allez embrasser cet honnête et digne homme, car vous l’aimerez bien un jour.» Et la jolie enfant est venue embrasser et faire ses petites caresses à mon pauvre homme, avant qu’il ouvrît la bouche. Puis il a dit: «Madame, il y a des nouvelles. – Il y a des nouvelles! ô bon Pierre! – Mais je ne sais, madame, vu votre bonne et belle âme à notre égard, si je vous les dois montrer? – Montrez, montrez, mon cher Pierre!… Et de qui sont-elles? – De tous deux, madame. – De tous deux!…» Et la bonne dame, demi renversée sur sa chaise, et les yeux fermés, a semblé se trouver mal; elle a pourtant dit: «Ils vivent? – Ils vivent, chère madame. – Ce mot me rassure: donnez, je vous en prie?» Et il lui a donné votre lettre. Et elle l’a lue, mais par pauses, fondante en larmes, et n’y pouvant quasi voir. Et quand elle a eu lu Edmond me vient voir quelquefois, elle s’est écriée: «Ô! les cruels! ils m’ont oubliée! tous deux! tous deux!… Mais cette infortunée Ursule!… Mon cher Pierre! il ne faut pas montrer cet objet de douleur à vos pauvres père et mère: c’est moi qui l’irai chercher. Je sais donc où elle est enfin!… Allons, dînons, et je vais tout préparer pour mon départ.» Et c’est elle, très chère sœur, qui vous remettra cette lettre; car mon mari retourne aujourd’hui lui porter le plein pouvoir de nos père et mère.

Je suis, etc.

FANCHON BERTHIER, femme PIERRE R**.

Lettre 151. Mme Parangon, à Fanchon.

[Mme Parangon raconte comment elle a repris Ursule.].

1er avril.

Nous sommes arrivées ici d’avant-hier, ma chère Fanchon, Ursule et moi: je l’ai; je ne la quitterai plus. Elle est rétablie: sa difformité s’efface; un sourire est déjà revenu, depuis que nous sommes ensemble. Elle a des sentiments qui me pénètrent d’estime, et j’ose dire de vénération pour elle. Je commence par le plus pressé, comme vous avez fait quelquefois, mais je ne me dispenserai pas des détails, dont vous et toute votre estimable famille devez être très avides.

Vous savez que dès que j’ai su où était Ursule, je me suis préparée au départ. Le lendemain avec le jour, j’étais en route, et je croyais que la chaise qui me conduisait était immobile, tant mon impatience la gagnait de vitesse. J’arrivai le soir même à dix heures. Je descendis à la porte de la maison: mais tout était fermé; il aurait fallu des ordres du roi pour me faire ouvrir. Cependant je m’y obstinai, et l’on m’ouvrit. Sans m’expliquer, je demandai la Supérieure, une des plus respectables femmes que j’aie vues. Heureusement elle était encore debout, occupée à régler des comptes. Elle me reçut d’un air riant, et voyant mon air ardent et empressé, elle eut la bonté de me demander pour qui je m’intéressais? je répondis: «Pour Ursule R**. Je m’en doutais madame. Vous lui tenez, apparemment? – Ah! si je lui tiens! Oui, oui, madame!… Je vous en prie, donnez-la-moi ce soir! – C’est bien prompt!… On va l’avertir. Vous permettez que je sois témoin de votre entrevue, afin de connaître parfaitement quels sentiments elle a pour vous par son abord? C’est une fille que, nous estimons beaucoup ici! (Elle avait envoyé chercher Ursule). Sa conduite que rien ne nécessite, puisqu’elle est libre, et qu’elle reste volontairement, est un si beau modèle, que c’est une perte irréparable pour la maison qu’elle en sorte. Je ne sais si elle a été bien coupable; mais sa pénitence a été excessive je l’ai forcée à l’adoucir, tout en l’admirant, et elle m’a obéi, avec cette douceur et cette soumission qui caractérisent la vraie piété. Ces viles créatures, que nous avons ici, précieuses cependant, puisqu’elles ont une âme, ces créatures, qui ne respectent rien, honorent Ursule, et dans leur grossier vocabulaire, elles la louent, et lui donnent des marques de respect. La plus perdue de toutes, celle qui, renfermée ici pour la sixième fois, semblait pour les autres un levain de corruption et d’infamie, s’agenouille devant elle, et hier, lui demanda ses prières: de sorte que cette infortunée va peut-être devoir son salut à Ursule. Il en est sorti beaucoup de cette maison qui, instruites par elle, ont promis de quitter le vice; j’en connais plus de douze qui l’ont quitté, et à qui je fais passer les secours et les encouragements au bien que des personnes pieuses me confient… Mais voici Ursule: elle porte ici le nom de sœur Marie.» Ursule est entrée modestement, et ses yeux s’étant d’abord portés vers la supérieure, elle l’a saluée: puis se retournant vivement de mon côté, elle a paru me considérer sous mon habit de deuil avec une méditation profonde, dont elle est sortie par un cri, en se précipitant à mes genoux. J’étais si émue que je ne pouvais parler.

Cependant Ursule était prosternée, sans articuler une parole. Je l’ai voulu soulever: «Ah! Dieu! s’est-elle écriée, est-ce vous, madame, qui venez à moi! – Oui, ma chère fille. Je sus hier par ton frère aîné où tu étais, et me voilà; je n’ai pas perdu un seul instant! – Ô bonté!… que je ne mérite plus!… – Si, tu la mérites, puisque tu es nécessaire à mon cœur; puisque je t’aime, et que tu vas faire couler dans la paix le reste de mes jours… – Infortunée… – Je t’emmène, à l’instant: viens avec moi chez ma tante; ma sœur, ta tendre et constante amie, malgré ton oubli de tant d’années! ma sœur va te revoir avec autant de plaisir que j’en ai moi-même. – Non, non; je reste ici. – Et moi, je veux t’emmener; je l’ai promis à ta famille, et de ne te jamais quitter qu’à la mort; j’ai son aveu; c’est l’ordre de ton respectable père… – Arrêtez, madame: à ce mot je n’ai rien à répliquer: que voulez-vous que le fasse? Te préparer à sortir avec moi; Mme la supérieure le veut bien. – L’obéissance, madame, dit-elle à la supérieure passe le sacrifice: mon père a parlé, j’obéis, et je vais suivre la plus digne et la plus parfaite des femmes qui vivent dans le monde.» Elle a fait une révérence, en disant: J’emmènerai ma compagne, madame? – Vous le pouvez, a dit la supérieure: son temps de force est écoulé depuis longtemps; elle est libre…» Et s’adressant à moi, quand Ursule a été partie, elle m’a dit: «Cette entrevue me décide à vous laisser emmener votre amie dès ce soir: je ne vous demande pas qui vous êtes; la conversation que je viens d’entendre, m’en apprend assez. – Madame, je suis celle qui ai tiré cette infortunée du sein de sa famille et de sous les yeux de ses vertueux parents, pour lui faire trouver à la ville un sort plus doux. Et vous voyez à quoi j’ai réussi!».

Ursule est rentrée aussitôt avec une fille, qui a été sa femme de chambre et que l’abominable homme qui…, avait fait renfermer à l’hôpital pour trois ans. Nous sommes sorties toutes trois à onze heures, et nous nous sommes arrangées comme nous avons pu dans la chaise.

À notre arrivée chez Mme Canon, qui était au lit, et que j’ai défendu qu’on éveillât, j’ai mis Ursule dans la même chambre qu’elle avait autrefois occupée: elle n’a pu s’y revoir sans attendrissement, et elle est restée immobile, à repasser dans son esprit, à ce qu’il m’a paru, ce qui était arrivé depuis qu’elle avait quitté cet asile. Elle s’est mise à genoux, fondante en larmes, et priant, jusqu’au moment où ma sœur Fanchette, qui se levait pour nous recevoir, est entrée vers nous. Elle s’est jetée à mon cou sans voir Ursule, que je lui ai enfin montrée. «Ursule! Elle vit!… Ah! ma chère Ursule!…» Elle a voulu l’embrasser; Ursule l’en a empêchée de la main, en lui disant: «Fille aimable et pure, ne vous souillez pas!» Ma sœur interdite m’a regardée. Je lui ai dit qu’Ursule avait aussi refusé mon embrassement (j’avais oublié de vous le dire); mais Fanchette ayant voulu absolument l’embrasser, il a fallu qu’Ursule cédât; et je l’ai aussi embrassée à mon tour.

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