Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Et d’abord notre vénérable père lève de sur vous toutes les malédictions qu’il vous avait données, comme je compte de vous le dire par ci après; et il me recommande de vous marquer qu’il est toujours votre père, et qu’on vous recevra ici comme l’enfant prodigue, en célébrant votre retour comme une fête, sans pas plus parler du passé, que s’il était non avenu. Et notre bonne mère m’en charge de vous écrire de sa part qu’elle vous porte dans son cœur, comme sa fille, tout ainsi qu’elle vous a portée dans son flanc, avant que vous vissiez le jour; et qu’elle pleurera de joie en vous revoyant, comme elle a pleuré de douleur aux tristes nouvelles. Et notre bon père et notre bonne mère se réunissent en ce moment (car ils me regardent écrire), pour me dire et dicter ces propres paroles: «Et à qui donc pardonnerons-nous, si ce n’est à nos enfants?» Et quant à ce qui est de mon mari, Pierre votre aîné, voici ses paroles: «Ma pauvre chère sœur, image de notre mère dans sa jeunesse, et par ce, si aimable et chère à nos yeux, revenez, je vous en prie, vers votre pauvre famille, qui verra en vous, non une coupable, puisque par votre belle pénitence et vos beaux sentiments, vous êtes plutôt une sainte à ce jourd’hui, mais le jouet du sort et de la méchanceté d’autrui… Quant à mon égard, ma chère Ursule (dit-il), je ne te reverrai qu’avec respect, contemplant en toi une fille malheureuse, illustrée par son malheur, et que Dieu a rappelée à lui, peut-être plus sûrement, que si, sans aucun écart, il t’eût fait marquise, et la protectrice de notre famille. Par ainsi, chère sœur, laisse entrer dans ton pauvre cœur le baume de la consolation. Et sur ce, je t’embrasse.» Pour à l’égard de nos autres frères et sœurs, un chacun d’eux et d’elles m’en chargent de vous dire qu’ils adoptent en tout le discours de leur aîné, comme exprimant leurs véritables sentiments. Et pour à mon égard à moi, ma chère Ursule, je ne saurais que je ne sente se fondre mon pauvre cœur, quand je me rappelle notre tendre amitié de jeunesse, toujours entretenue; si bien que de toutes vos sœurs et belles-sœurs, toutes méritantes, c’est moi que vous avez choisie pour votre confidente et correspondante ici. Aussi tel est mon vœu, qu’il n’y a pas de minute dans le jour où je ne vous aie désirée depuis un si long temps: et quand j’entendais me parler de vous, je ne le pouvais croire, et bouchais mes oreilles, pour ne pas entendre le mal: et je ne crois aujourd’hui que votre lettre. Mais aussi, loin de vous honnir et mépriser, quand je viens à songer à toutes vos perfections, je me jette à genoux, et me récrie à Dieu: «Ô mon Seigneur! grâces vous sont dues si je ne suis pas pire; car je ne valais pas Ursule, et tout ce que je vaux, je le dois à la faveur que vous m’avez faite de me donner un bon mari, et de me garder au village! à la ville, ô mon Dieu! que serais-je devenue!» Voilà pour la réponse, chère sœur: nous vous attendons; et s’il vous plaît nous marquer vos besoins, et même que mon mari courre vous chercher, il y courra: veuillez seulement nous donner vos ordres, à tous tant que nous sommes de frères et sœurs, et mettre votre entière confiance dans le tendre et bon cœur de vos père et mère. Et pourtant vous faut-il faire le récit de tout ce qui s’est passé ici à votre sujet, depuis votre cessation de lettres, de tous les discours qui se sont tenus par des étrangers, ainsi que des lettres qui nous ont été écrites à votre encontre et du très cher Edmond: et ce que vous venez de lire, sera un bon préservatif.

D’abord, tout de suite que M. le marquis et M. le conseiller furent mariés, notre père dit: «Il faut qu’Ursule s’en revienne; elle n’a plus que faire là.» Mais il ne dit pas qu’on vous l’écrivît. Bien du temps par après, on entendit comme un bruit, que vous étiez la maîtresse du marquis. Mais ce bruit tomba, par la vérité qui se sut, on ne sait comment, qu’il vous traitait avec considération à cause de votre fils, et nous n’en baissions pas la tête. Tout ça alla un peu de temps assez bien; si ce n’est qu’il passa par V***, un monsieur qui dit qu’il y avait une jolie fille de S** bien pimpante à Paris, qui avait plus de diamants qu’une duchesse, et que tout le monde admirait. Il n’en dit pas davantage, et on ne savait ici si c’était louange ou blâme. Mais cependant notre père se mit fort en colère, disant que vous aviez donc les pompes de Satan, auxquelles vous aviez renoncé au baptême, et que bientôt vous auriez ses œuvres, si vous ne les aviez déjà. Et il en chargea mon mari de vous écrire de revenir aussitôt la lettre vue. Et mon mari vous écrivit à l’adresse de la bonne dame Canon, laquelle renvoya la lettre à mon mari, disant que vous étiez une fille perdue, et qu’elle ne savait où vous trouver; que vous vous étiez fait mettre au Catalogue d’Opéra; ce qui ôtait sur vous tout pouvoir à père et à mère. Cette nouvelle fit entrer notre père dans la colère la plus terrible, et il disait: «Qu’est-ce que c’est que le Catalogue d’Opéra qui ôte tout pouvoir à père et à mère? Ça ne peut être en pays chrétien, et je me moque d’Opéra, à qui je répondrai comme il faut, quand il serait le diable: ce qu’il doit être, si ça est vrai.» Et ayant fait lui-même un voyage à Au**, pour y voir Mme Parangon, conduit pourtant par mon mari, cette dame ne sut bonnement que dire, si ce n’est que vous ne lui aviez pas fait réponse; et deux larmes qu’elle tâchait de cacher, l’ayant trahie, notre père voulut s’en revenir tout de suite. Et arrivé qu’il fut à la maison, devant nous tous il prononça ces terribles paroles: «Maudite soit la fille qui fait baisser les yeux à sa mère, et fait montrer au doigt son père, en disant: – Voilà le père et la mère d’une catin. Je lui donne ma malédiction, et le Ciel la punisse comme elle le mérite. Exaucez, ô mon Dieu, un père dont le cœur est navré de douleur, par une fille dénaturée, et que le nom d’Ursule devienne une honte à jamais pour celle qui l’a profané!» Et notre pauvre mère tremblante, est tombée à ses genoux, en lui disant: Mon mari et mon seigneur, est-il bien possible que vous maudissiez le fruit de mes entrailles, que j’ai porté dans mon flanc! et suis-je donc maudite aussi? – Non! non! Relevez-vous, femme; je ne maudis pas ce que Dieu a béni, et nous l’avons été ensemble au jour de notre mariage, encore heureux, puisqu’il me reste de bons enfants!» Et il a tendu les bras à ses autres enfants, en leur disant: «Consolez votre mère; car la voilà navrée, et la malheureuse, qui m’a navré, la navre aussi, pour qu’elle soit doublement parricide… Ma femme, votre fille est perdue: voulez-vous que je soutienne le vice? je la retranche de votre sein et de notre famille, afin qu’en la vouant à la céleste vengeance qu’elle a provoquée, je garantisse des têtes innocentes, nos bons enfants d’ici, nos petits-enfants, encore vêtus de la robe blanche… – Oh! oh! a dit notre pauvre mère, est-ce avec mon sang qu’il faut apaiser colère du Ciel, et devez-vous sacrifier ma pauvre fille!… Pauvre Ursule! te voilà immolée à tes frères et sœurs; mais pas un ne voudra de l’immolation!…» Et tous nous avons crié: «Non, non, ma mère, nous n’en voulons pas! et s’il faut qu’elle soit punie, partageons entre nous sa peine, et que la malédiction paternelle s’amoindrisse, en nous frappant tous, nous et nos enfants!» Et notre père, les larmes aux yeux a dit: «Elle vous frappera donc, car une voix secrète me le dit… Ô mes enfants! mes chers enfants! vous méritiez un meilleur sort! Et c’est moi qui ai voulu mettre à la ville Edmond et Ursule: que je sois frappé seul, s’il se peut!… Frappe, mon Seigneur, frappe le père coupable mais épargne les enfants!» Et tous à genoux, nous avons crié à la fois: «Eh! non, non! mon Dieu! frappez-nous, frappez-nous; mais épargnez votre image!» Cette affection de ses enfants les uns pour les autres et pour lui calma un peu notre bon père, et les larmes lui ruisselèrent des yeux, en lisant le chapitre de la Bible, où les Israélites pleurent la tribu de Benjamin qu’ils avaient massacrée, disant: «Hélas! hélas! il y a une tribu de moins en Israël!» et notre bon père s’arrêta là suffoqué, si bien qu’il interrompit la lecture, et ferma le saint livre. Et depuis ce moment, il parut toujours affligé. Mais ce fut bien pis quelque temps par après, quand nous reçûmes la malheureuse lettre, qui nous apprenait que vous étiez mariée à un porteur d’eau! Notre pauvre père en fut à son tour immobile comme une pierre; et il dit à notre bonne mère: Voilà que je l’ai maudite, et le Seigneur l’a ratifié. – Ô mon mari! vous l’aviez démaudie!» Notre père secoua la tête, et s’en alla se promener seul dans l’enclos soupirant; et on le voyait de temps en temps, porter vers le Ciel ses regards et ses mains. Et notre pauvre bonne mère, elle, était à genoux pleurant, et récitant des prières. Et notre père étant revenu, il dit à notre mère: «Ma femme, appelez votre fils aîné.» Lequel vint aussitôt qu’il entendit la faible voix de sa mère. Et notre père lui dit: «Écris à Edmond: car par aventure nous donnera-t-il quelque consolation.» Et mon mari écrivit à notre frère. Et voilà qu’Edmond répondit par deux si terribles lettres, que mon pauvre homme ne les osa montrer: mais il dit que vous étiez perdue de fait, et que notre frère ne savait où vous étiez. Notre père supporta mieux ça que le déshonneur, et il dit: «Je la pleurerai morte du moins!» Mais notre pauvre mère, pas si forte, tomba comme en langueur. Et mon mari, un jour, croyant que notre père pourrait soutenir la lecture des lettres d’Edmond, il la lui fit, avec sa réponse. Et notre père bondit (car vous savez qu’il est vif), en entendant le récit de la fureur d’Edmond; et au lieu de colère contre lui, il dit: «Il a bien fait! et j’aime son désespoir; c’est moi, c’est moi qu’Edmond!…» Et ayant lu quelle lettre son fils-aîné écrivait à son frère, il ajouta: «Mais voilà mon sage et respectable père. Dieu te bénisse, mon fils; car tu vaux mieux que moi, comme disait Saül à David, par lequel il avait été épargné dans la caverne. Et tu n’as pas été voir ton frère, comme tu le marquais? – Pardonnez, mon père. Car j’ai fait mes informations à Mme Parangon, laquelle en a fait à son ami dangereux, lequel le pleurait lui-même, ne sachant ce qu’il était devenu. Et j’allai en deux jours jusqu’à Paris, où je ne trouvai personne, à qui m’informer.» Et depuis ce moment notre père nous demandait souvent, à mon mari et à moi, si nous avions des nouvelles? Mais nous n’en avions pas à lui donner; car Edmond a été jusqu’à présent sans nous écrire depuis ces deux lettres, et nous n’en avons eu de nouvelles que par vous. Aussi votre dernière ligne d’Edmond a-t-elle causé une joie universelle, au milieu même des larmes de douleur. Et voilà encore un article de ma lettre terminé, très chère sœur. Il ne m’en reste plus qu’un.

105
{"b":"100939","o":1}