En vérité, celui-ci me tente encore! Ce serait un mariage bien avantageux, que celui qui me donnerait quarante mille livres de rentes, et qui m’en laisserait douze, si je venais à perdre mon mari! Cependant j’ai suivi à son égard la même conduite qu’avec les autres, afin d’avoir un second billet, qui n’a pas manqué:
Deuxième billet du financier.
Je crains, mademoiselle, que mon billet d’avant-hier ne soit pas tombé entre vos mains: c’est ce qui fait que je vous en fais remettre un second, où je vais vous renouveler les propositions que renferme le premier. (Elles étaient les mêmes.) Mais comme je me suis informé de vous, et que je n’en ai reçu que de bons témoignages, j’ajouterai quelque chose à ce que je viens de vous marquer: on m’a dit que vous n’aviez encore eu personne, cela mérite quelque considération; car je vous préfère ainsi, quoique j’aie dit au contraire dans ma première (supposé que vous l’ayez reçue); les hommes s’expriment toujours de cette manière, quand ils croient avoir affaire à une femme usagée, afin de ne paraître pas trop exiger; mais au fond, ils sont charmés de n’être pas pris au mot, et d’avoir l’étrenne d’un jeune cœur. Je vous ferai cinquante mille livres par an, et quinze perpétuelles. Je suis un galant homme, qui n’aurait que les procédés les plus honnêtes, et qui ne serai jamais votre tyran, mais
Votre ami.
En recevant ce billet, je déchirai le premier, suivant ma petite politique. Dès le lendemain, j’en reçus un troisième: mais il était écrit d’une manière différente des deux autres.
Troisième billet du financier.
Mademoiselle,
De meilleures informations, depuis que vous avez déchiré ma lettre, m’ont appris au juste ce que vous étiez: je vous demande pardon de mes propositions, dans le cas où vous auriez lu ma première et ma seconde lettre: je ferai en sorte que vous lisiez celle-ci. Je sais que vous êtes une jeune personne honnête, qui êtes à Paris avec Mme votre tante et Mlle votre sœur, ou votre cousine. Je ne voudrais pas qu’on pût me reprocher d’avoir cherché à séduire une fille honnête; je me retire; vous priant, au cas où il se présenterait un parti sortable pour vous épouser, de songer qu’il y a d’excellents emplois à la disposition de
Votre serviteur **, rue ****, hôtel de ***.
J’ai lu cette lettre en présence de la dame qui me l’a remise, parce qu’elle m’en a priée: je n’y conçois pas grand-chose; si ce n’est qu’apparemment les financiers n’épousent que les filles qu’ils n’estiment pas. Cela n’est guère flatteur!
Mais ce qu’il y a de risible, c’est un vieux, vieux seigneur, car il est décoré, qui m’a parlé à l’église, le jour que j’y ai vu le financier et mon page: (le marquis n’est pas dévot apparemment; il n’y vient jamais!) je me suis un peu prêtée, en paraissant vouloir éviter mon page et mon financier, qui cherchaient à me glisser une lettre. J’ai favorisé le nouveau venu, parce que m’apercevant bien qu’il avait envie de me parler, j’ai été curieuse de savoir ce qu’un homme de cet âge pouvait avoir à dire à une fille du mien: je me suis mise un peu en arrière de Mme Canon et de Mme Parangon, afin de n’être pas vue. Il s’est approché de mon oreille, et m’a parlé un langage comme celui des opérateurs des places publiques; et ce qui m’a surprise, c’est que c’était de l’amour: «Voi siete bella come oun Ange.» J’ai manqué deux fois de lui rire au nez: mais le respect pour le lieu où j’étais m’en a empêchée. J’ai même changé de place, et j’ai été me mettre entre Fanchette et sa sœur; ce qui a fait plaisir à mon page. En sortant, le vieillard m’a glissé un billet, que je n’ai pas fait semblant de sentir:
Billet doux d’un Seigneur Italien.
Ma belle mignonne: voilà doux semaines que je vous souis partout, sans pouvoir vous faire connaître mes sentiments, et la boune voulonté que je me sens pour vous: car je désire de faire votre fortoune, sans qu’il vous en coûte rien dou vôtre, que quelques bontés pour moi. Si je savais come vous êtes, si c’est votre mère ou votre tante qui vous condouit partout avec elle, et qu’elle espèce de femme qu’elle est, je me serais adressé à elle come il convient, c’est-à-dire la bourse d’oune main, et oun contrat de l’altre, pour loui assourer plous encore: mais cette femme ne veut rien entendre. Dans le cas où vous auriez quelqu’oun, engagez-la, je vous prie, à me le faire savoir, ou écrivez-le-moi vous-même; on pourrait s’arranger: car vous valez votre pesant d’or, Mignonne, et il n’est pas oune chose que vous n’oussiez de moi: je souis en attendant votre réponse,
Tout à vous, le S***
Celui-là ne m’a pas tentée, et un pareil mari, fût-il prince, me paraîtrait plutôt un malheur qu’un avantage: mais comme tout le monde n’a pas mon goût, et que le bien vaut toujours son prix, je voudrais avoir ici une ou deux de mes sœurs, les plus jolies, persuadées qu’elles feraient bientôt un bon mariage. Parles-en chez nous, ma chère sœur: de mon côté, je sonderai Mme Parangon, et je t’écrirai ce qui sera décidé.
Tu dois avancer, chère amie: j’ai, à ton sujet, les meilleures espérances; grande et bien faite comme tu l’es, ce ne sera qu’un jeu; car les grandes femmes ont bien moins de peine, dit-on, et de risques à courir que les petites. Je te souhaite un fils, mais si c’est une fille, ton mari n’aura pas à se plaindre; car il aura le double d’une excellente femme.
je joins à cette lettre les souhaits de la nouvelle année, pour nos chers parents et pour toi: présente-leur mes vœux avec mes respects, et mes tendresses à nos frères et sœurs.
J’apprends que M. le conseiller est ici.
Lettre 18. Réponse.
[Fanchon lui donne de bons avis; naissance de mon fils, et ce qui s’est passé de la part de mon respectable père.].
10 février.
Voilà huit jours que je suis mère d’un fils, ma très chère sœur, et c’est à vous que je donne le premier moment, où je puis tenir une plume avec quelque assurance. Je me suis très bien portée pour ma situation, mais on m’a rendu autant de soins que si j’avais été à l’agonie: cela m’aurait impatientée, sans le motif, qui était si agréable et obligeant, que j’ai eu autant de plaisir à me voir soignée, que si j’en avais eu besoin; à la fin, on me laisse un peu sur ma bonne foi, et je vous écris, ma chère Ursule; car votre dernière lettre me tient sur le cœur du depuis que je l’ai reçue, et j’espère qu’une réponse me soulagera, en vous ouvrant ma pensée.
D’abord, ma très chère sœur, j’ai bien relu vingt fois le petit écrit de Mme Parangon: et je trouve ça bien dit, bien tourné! Oh! la chère dame! comme elle épanche ses sentiments! Il paraît qu’elle a écrit ça comme notre père dit que le Roi David faisait ses psaumes, où il exhalait tous ses sentiments, ses repentirs et ses combats: il me semble à moi, d’après mon petit jugement, que la chère dame n’a rien à se reprocher; car il n’est pas crime d’être tentée, mais de succomber à la tentation, et c’est ce qui n’arrivera jamais, s’il plaît à Dieu: mais, chère sœur, encore que j’aie eu bien du plaisir à lire et relire ce débordement de son bon cœur, si est-ce pourtant que je ne sais trop si nous l’avons eu légitimement; car pour ça, il le faudrait tenir d’elle: ce que je ne dis pas pour vous blâmer, chère sœur, mais pour vous dire ma pensée. Quant à ce que vous dites de la manière dont vous mettez bien Edmond dans l’esprit de Mlle Fanchette, je n’y trouve qu’à louer, puisqu’elle sera sa petite femme, et qu’il l’aimera chèrement, j’en suis sûre, vu qu’il aime déjà si respectueusement sa sœur; et que ce mariage innocentera bien des sentiments, qui vont et viennent à travers champ. Pour quant à ce qui est du conseiller, tout ça est bel et bon, et je crois que ça réussira, vu sa lettre; ce qui me donne une grande joie, à cause de nos chers père et mère; qui, encore qu’ils n’aient pour eux aucunes idées mondaines, ont pourtant envie que leurs enfants se poussent; ce qui n’est que l’effet de la grande amitié qu’ils leur portent, et non d’autre chose: mais je voudrais encore que nous évussions légitimement cette lettre-là, que je suis pourtant bien aise d’avoir; et je ne sais trop comment arranger tout ça. Pour à l’égard des admirateurs que vous fait votre gentillesse, ça est tout naturel, puisque dès ici, vous étiez trouvée si jolie, que plusieurs jeunes gens du bourg ont dit qu’ils passeraient par une forêt en feu, s’il le fallait, pour aller à Ursule R**, et pour l’avoir en mariage. Et vous vous souvenez bien de ce jour que nous revenions de fener au Vaudelannard, avec Edmond, vous, Madelon Polvé, Marie-Jeanne Lévêque, Marion Fouard, et moi, que des messieurs de Noyers à cheval nous rencontrèrent, et qu’ils s’arrêtèrent à nous examiner, quoique jeunettes. L’un dit: «Il y a de jolies fillettes dans ce pays-ci! – Corbleu! mon ami, dit l’autre (il me semble l’entendre encore), vois donc ce minois-là! (vous montrant). – Il est vrai, reprit l’autre, qu’elle est gentille! c’est un beau sang! – Gentille! dit un troisième, elle est belle!… Mademoiselle, qui êtes-vous? – Je suis Ursule R**, monsieur, à vous servir, que vous répondîtes en rougissant. – Ah! je ne m’étonne pas! c’est une petite cousine! – Et ils descendirent tous pour vous embrasser, et ils nous complimentèrent aussi toutes, jusqu’à moi, dont ils demandèrent le nom. Et sur ce que nous ne répondions pas, Marion, la plus hardie, le dit. «Ah! c’est la petite fille d’un honnête homme! dit un: je la croyais votre sœur, ma petite cousine? – Oh! non, monsieur; mais elle le sera, quand elle sera grande; car mon grand frère Pierre dit comme ça, qu’il ne voudra jamais en avoir d’autre que Fanchon Berthier, qui est d’honnêtes gens, et dont le grand-père est un saint homme.» Vous voyez, ma chère sœur, qu’il n’est pas surprenant, que vous soyez regardée et contemplée là que vous êtes aujourd’hui, où l’on se connaît mieux qu’en n’un lieu, en gentillesse de figure: mais je trouve un peu à redire (et pardon de ma sincère dictée) à la manière dont vous gardez et lisez les billets doux, et dont vous écoutez ce que disent leurs écrivains; car il me semble qu’il y aurait bien là quelque danger; et je vous prierais, sans vous déplaire, de vouloir en toucher deux mots à Mme Parangon; surtout, de ce vieux jargonneur italien, qui m’a fait frissonner sans que je sache pourquoi; je suis fâchée que vos gentilles oreilles l’aient écouté. Quant à ce qu’ils sont comme partis, je ne sais si l’on ferait son salut avec tous ces gens-là; pour moi, je suis pour M. le conseiller, ainsi que vous. Le richard M. de***, qu’est-ce que c’est? Ça écrit drôlement! Ce langage-là ne me revient pas, je ne sais non plus pourquoi. Le jeune page est hardi comme un page, en vérité! et il n’y a rien de solide là-dedans; ça est trop jeune, et ça n’a pas d’état; ça sera un freluquet, qui laisserait là une femme un jour, pour aller courir de garnison en garnison, comme les officiers des casernes de Joigny, et d’ailleurs. Je ne sais pas ce que vous veut dire celui que vous appelez le financier; un financier est sans doute un homme de la finance, ou de l’argent; cela est utile: mais la lettre de M. le conseiller est d’un honnête et digne homme; je suis de votre avis sur son compte. Quant à ce que vous ajoutez de quelqu’une de nos sœurs à mettre auprès de vous, j’en ai voulu toucher un mot d’abord à notre mère, qui m’a clos la bouche, et m’a bien priée de n’en rien dire à notre père; ainsi c’est une chose à ne plus penser. Voilà que je viens de répondre à toute votre lettre, chère petite sœur: il ne me reste qu’à vous recommander de faire usage de votre sagesse et prudence, que vous possédez à un aussi haut point que les agréments du corps; et c’est dire qu’il ne vous manque rien de ce côté-là: car je tremble toujours, en songeant à tout ce qui arrive, ou peut arriver de mal à Paris.