Tu vois que c’est un riche parti! Mais je préférerais le conseiller, à cause du plaisir que cela ferait chez nous. Mme Canon est en effet rebutante, et je crois qu’un ministre d’État viendrait pour nous entretenir un moment, qu’elle ne le permettrait pas. Il croit que nous appartenons à quelqu’un de riche: effectivement, nous sommes très bien mises, surtout depuis que Mme Parangon est ici.
Deuxième billet doux.
On m’a fait entendre que vous ne receviez que des gens d’Église, et que l’on voit souvent un moine aux environs de votre demeure, quelquefois en habit de son ordre, et quelquefois mis en cavalier: à moins que l’habit de moine ne soit un déguisement? J’espère que votre réponse à mon premier billet me donnera quelques lumières; mais si je ne pouvais avoir cet avantage, répondez du moins à celui-ci: les diamants, les bijoux, un ameublement superbe, un carrosse du dernier goût, tout cela est prêt; un mot, et une bourse de mille louis va précéder.
Pour le coup, je commence à douter que cela soit sincère! car, en vérité, il faudrait y regarder à deux fois! Mais on ne jette pas ainsi l’argent par les fenêtres!…
En tout cas, je voudrais avoir ici Christine: elle est charmante; elle aurait quelqu’un des partis dont il n’est pas possible que je m’accommode: celui-ci est un jeune seigneur, assez agréable, quoiqu’un peu voûté. Un pareil mariage donnerait du relief à notre famille, qui fût autrefois plus relevée qu’elle n’est. Mais voici le.
Troisième billet doux.
Quoi! vous avez déchiré ma lettre! sans la lire! ma foi c’est m’ôter tout espoir, puisque c’est me fermer la bouche, et me condamner sans m’entendre: si celui-ci a le même sort, j’aurai recours à d’autres moyens, que je ne vous explique pas, et qui peut-être seront plus efficaces. Je n’en suis pas avec un attachement moins sincère,
Votre tout dévoué, etc.
J’ai encore déchiré le second, en recevant ce troisième billet, et ayant jeté un coup d’œil dans un beau carrosse, qui nous barrait le passage, j’y ai vu le jeune seigneur voûté, qui se mordait les doigts. Je savais que c’était lui: je me suis approchée sans affectation, et je l’ai entendu me dire: «Vous mettez au désespoir l’amant le plus tendre! Ne pourrai-je vous intéresser? Ah! daignez me lire!» Je l’ai regardé avec le plus de colère que j’ai pu: mais en vérité, j’étais presque attendrie: car un si beau parti causerait bien de la joie à nos chers père et mère! En ce moment, Mme Canon, m’ayant jointe, il n’a plus rien dit, et nous avons passé. Je suis dans l’attente de ces moyens auxquels il aura recours: nous verrons. En voici à présent d’un autre.
Premier billet doux du second amant.
Je suis jeune, mademoiselle, mais d’une famille relevée, et je puis faire mon chemin; mais je sens qu’il me faudrait tout le feu de vos beaux yeux pour m’animer: votre vue, et le peu d’espoir que j’ai de réussir auprès de vous, me plongent dans une langueur qui m’ôte tout le courage; vous pouvez être ma créatrice, et mettre dans mon cœur toute l’énergie que j’y ai quelquefois sentie. Je brûlais de l’amour de la gloire; je ne brûle plus que pour vous! Quels charmes touchants! Ah! si j’étais assez fortuné pour que vous me donnassiez un moment d’audience, je crois que vous seriez contente des choses que je vous dirais! Je suis encore page, mais j’ai les plus brillantes espérances. Je vous en prie, voyez-moi: si vous avez un vieux mari je vous consolerai, si c’est un vieil amant, je le tromperai, si vous n’avez personne, je suis bien sûr de vous faire un jour comtesse. Le malheur, c’est que je n’ai que seize ans! mais je suis orphelin, et les droits des tuteurs cessent plus tôt que ceux de pères. Je crains de vous ennuyer: je finis, en jurant de vous adorer jusqu’au tombeau, et si vous êtes cruelle, d’aller me faire tuer pour vous, à la première campagne que je ferai.
Le Comte de*******.
J’ai lu ce billet avec plaisir, et je t’avouerai, que le lendemain le jeune homme m’en ayant remis un autre, rue des Prouvaires, j’ai déchiré un papier que j’avais pris à cet effet, au lieu de celui de cet aimable page: car il est charmant, mais comme dit la chanson, C’est un enfant, c’est un enfant!
Deuxième billet doux du jeune page.
Je meurs d’inquiétude sur le sort de ma lettre; l’avez-vous lue? Hélas! peut-être que non! qui croirait que je suis tendre sous cet habit! Vous aurez pensé que c’était quelque polissonnerie, et vous l’aurez déchirée sans la lire!… Mon Dieu que je voudrais être homme, et tout au moins capitaine ou colonel! Je parlerais un autre langage que celui de promesses en l’air, qui, je le sens trop, ne peuvent faire aucune impression sur vous, dans tous les cas; si vous êtes raisonnable (ce que je crois), vous allez mépriser et mon cœur et mes offres; si vous êtes intéressée (ce que je ne crois pas), elles vous feront pitié: il faudrait que vous fussiez simple et naïve comme moi, pour que vous y fissiez attention: mais les femmes le sont-elles à Paris!… Daignez me faire un mot de réponse, dût-ce être un coup de foudre: je veux bien mourir; mais je ne veux pas languir: c’est votre intérêt, et quand on saura dans le monde que vous avez fait mourir un page d’amour, cela est capable de mettre à vos pieds et la ville et la cour. Ce sera ma consolation, en perdant la vie par vos rigueurs: car je vous aime plus que ma vie, et si c’était à vous-même que je la donnasse, je ne la regretterais pas.
Ce pauvre enfant! il me fait pitié: mais qu’y faire!… J’ai encore gardé ce billet, et déchiré un autre chiffon de papier.
Troisième billet doux du page.
Je devais m’y attendre, mademoiselle: un jeune homme tel que je suis, n’est pas fait pour être écouté dans ce siècle où tout est vénal, et le riche financier, qui vous a glissé un billet hier, est sûrement mieux reçu que moi… Ah, Dieu, aimer si tendrement, et ne pouvoir espérer!… Mais, hélas! que fais-je? Les expressions de ma douleur ne seront sues que de moi! Je m’arrête; je n’ai plus qu’à mourir.
Il m’a pourtant écrit encore, parce que je n’ai rien déchiré en prenant ce troisième billet, et que je lui ai jeté un coup d’œil, qui ne marquait pas de colère. J’ai en vérité eu peur qu’un si aimable jeune homme ne se fît du mal par désespoir. Il m’en remercie dans son quatrième billet, que je garde aussi.
Un autre adorateur de mes charmes appétissants (c’est le terme qu’il emploie), est le parfait opposé de celui-ci: j’avouerai que si son mérite était uni à celui du page, je serais toute déterminée. Figure-toi un gros homme rond, tout d’or des pieds à la tête; ayant une figure rouge et fraîche, malgré qu’elle date de cinquante ans, et un ventre comme une demi-tonne de bourgogne. Il m’a aussi envoyé de son style: Je ne sais comme les femmes de ce pays-ci le trouvent; mais pour moi, sans m’y connaître beaucoup, je présume qu’il doit leur paraître très persuasif.
Premier billet du financier.
Vous êtes adorable, mademoiselle; et quoique je le sache très bien, j’imagine que vous le savez encore mieux. Cependant, je le sais, pour ma partie, aussi bien qu’il est possible; et la preuve, c’est la manière dont je vais vous apprécier: je vous ferai douze mille livres de rentes, assurées pour toujours, et je vous en donnerai quarante par an, tant que vous voudrez vivre avec moi. Je ne sais qui vous êtes; mais votre mine est diablement éveillée! Cependant, je ne crois pas que vous ayez encore eu plus d’un amant ou deux; je vois cela au peu d’assurance de vos regards. Vous êtes ce qu’il me faut, je n’aime pas à briser la glace, pas plus qu’à avoir une femme si courue, qu’on ne puisse être sûr de la garder huit jours: je veux être constant; c’est ma manie à moi. Vous êtes charmante! Et je ne doute pas que vous ne fassiez de brillantes conquêtes: c’est ce qui me fait me dépêcher de vous prendre; la foule pourrait y venir, si vous étiez plus connue. Au premier signe de bienveillance de votre part, je suis à vos ordres. On ne doit rien ménager pour la beauté, dût-on, pour l’enrichir et satisfaire ses caprices, piller et voler tout le monde.