Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Lettre 43. Gaudet, à Edmond.

[Il l’empêche de songer à un honnête mariage par des motifs adroits.].

25 décembre.

Si tu désires d’être encore père, tu le seras, et tu le seras, par la belle Parangon: tu peux y compter; elle se conserve, sa conscience timorée lui ferait un crime d’exposer, ce qui lui vient d’une part trop chère, pour qu’elle ne l’aime pas au-delà de toute expression. Quant à certain mariage, dont j’ai découvert qu’on te parle d’ici, dans une lettre furtive, mon avis est négatif. J’ai d’autres vues: et la belle Parangon elle-même ne s’y prêterait que par complaisance. Voudrais-tu lui ravir tout espoir, dans la situation où elle est? Il y aurait de la cruauté! Attends mon retour: ne te rends à aucune sollicitation. Les femmes ne t’ont pas assez bien conduit jusqu’à présent pour que tu les écoutes. surtout ne dérange pas mes projets au sujet du marquis, par ta bravoure enfantine, comme toutes tes autres vertus. Car en vérité, tu n’es qu’un grand enfant. Ce qui ne veut pas dire que tu manques d’esprit; au contraire, tu en as beaucoup; mais il te manque du génie, pour embrasser l’ensemble d’un projet. Celui que j’ai formé est le plus vaste que tête humaine ait jamais conçu, et le plus scabreux. La réussite en serait certaine, si j’avais un second; mais il ne faut pas encore te l’exposer. Lorsque je paraîtrai rétrograder, tu croiras tout perdu, et tu te tromperas; il me faudrait un génie comme le mien, pour me seconder, ou un automate: tu n’es ni l’un ni l’autre, et tu es entêté comme le sont les sots, quoique que tu ne sois pas sot. En effet, qu’est-ce qu’un sot? C’est un homme d’un esprit borné, dont les vues sont courtes et qui se les croit fort longues, prévenu en sa faveur, assez bouché pour croire tout connaître, tout savoir, et qui ne sait rien: n’ayant pas assez de lumières pour voir ses défauts et son incapacité, hardi par ignorance, jusqu’à l’effronterie; ne rougissant jamais, parce qu’il manque de sentir, et que son orgueil stupide l’empêche de s’apercevoir qu’il fait mal; méchant, parce qu’il manque d’entrailles et que la sensibilité est en lui aussi obtuse que les lumières de son esprit sont obscures: dans mille choses, n’en saisissant qu’une comme les animaux, et ne voyant qu’elle, y tendant en dépit des obstacles, même insurmontables; réussissant par là quelquefois, et n’en devenant que plus sot, la vanité étant le comble de la sottise. Edmond au contraire, est sensible à l’excès, et ne ressemble quelquefois au sot, que par le trop de ce que ce dernier n’a pas: mon ami est pénétrant; il a l’esprit juste, un discernement exquis; il voit le vrai but, pourvu que les choses ne soient pas trop compliquées; son impatience naturelle l’offusquerait; il ne faut pas non plus que les choses à faire, quelques avantageuses qu’elles soient, blessent les préjugés de son éducation; il se cabre alors, et il ressemble dans cette situation au sot, comme deux gouttes d’eau. Par exemple, si je lui découvrais mon plan dans son entier, je suis sûr qu’il y apporterait le plus grand obstacle: non par sottise, mais par une sorte de magnanimité qui lui est naturelle. Mais il faut savoir distinguer les vertus, et les employer à propos, Turenne, sous Louis XIV, avait besoin de cette magnanimité, qui ne veut rien que de noble: elle allait à merveille à ce vaillant guerrier. Mais donnons cette vertu, dans le même genre, à Louvois, elle aurait perdu l’État; c’était pourtant deux grands hommes: mais il fallait que le ministre eût des vertus bien différentes du guerrier, des vertus qu’un préjugiste eût regardé comme des vices, et qui n’en étaient que plus sublimes, parce qu’il fallait une âme forte pour les avoir à ce degré… Laisse-moi donc agir, Edmond. Ta sœur est ce qu’il faut qu’elle soit. Si cela se confirme, je la remmène, ainsi que la belle Parangon, qui doit se cacher, comme tu penses! Et je n’aurai ni repos ni trêve, que je n’aie réussi, ou fait quelque chose de mieux. Car, que m’importe comment ta sœur et toi vous soyez heureux? L’unum necessarium est de l’être. Adieu. Je me dépêche, pour profiter d’une occasion.

P.-S. – N’avoue rien à Laure de ce qui regarde Mme Parangon: je ne lui en parlerai de ma vie. Elle est un peu indiscrète; mais elle n’a que ce défaut-là.

Lettre 44. Ursule, à Edmond.

[La voilà qui s’ennuie du ton qui règne chez nos père et mère, et qui découvre des dispositions, que nous n’aurions pas soupçonnées!].

10 janvier.

On a reçu ta lettre et ta relation, cher ami. La dernière m’a plus fait de plaisir qu’on ne s’en doute chez nous; elle m’a fait espérer que tu étais tranquille, et que je n’avais plus de nouveaux malheurs à craindre. Nous sommes à Au** depuis deux jours: Mme Parangon s’y montre à présent, pour en disparaître ensuite avec plus de sûreté; je dois l’accompagner. Mais nous ne voyons qu’un certain monde, et nous passons les journées chez Mme Canon. Fanchette sort avec cette dernière, pour tout ce qu’il faut que nous ayons, avant notre départ. Nous avons eu à S** bien du lamentable; et je t’avoue que, moi, qui ne suis plus faite à ce ton, j’en ai par-dessus les yeux. J’ai été charmée de l’absence que nous procure notre petit voyage; et dans l’excès de mon ennui, je ne sais en vérité si je ne pardonnerais pas au marquis une situation qui m’oblige de retourner à Paris. La vertu est aimable, mais il faut un peu l’égayer, et chez nous, elle ne se montre que la larme à l’œil. Avec cela, si vous prenez le moindre soin de cette pauvre figure, vous vous attirez des apostrophes sans fin: Je ne m’étonne pas! Vous êtes coquette! Voilà ce que les coquettes s’attirent! On n’ose rien répondre: mais je songe à mes quinze mille livres, et je me console. Tu vois par le ton que je prends dans cette lettre qu’il ne faut pas que tu voies les choses au dernier tragique, et que tu ferrailles avec, le marquis, si, tu le rencontres.

Parlons un peu de tes affaires. L’aimable femme est grosse, c’est un point assuré: elle en est sans doute fâchée; mais ne crains rien de sa douleur; je suis bien sûre qu’elle ne voudrait pas qu’un pouvoir surnaturel lui en Ôtât la cause: ainsi, ton chagrin à toi-même doit s’éclaircir et devenir moins sombre; il ne te doit rester que la douleur de l’offense faite à Dieu: je te le répète, quant à l’aimable femme, tu lui as fourni une occasion d’exercer agréablement le reste de sa vie sa précieuse sensibilité.

Mais il est un autre point que je veux traiter. Ma charmante compagne est jeune, belle, innocente, héritière en totalité de Mme Canon qui me le dit encore hier, et qui désire ton mariage avec elle. Fanchette te rendra heureux, je puis t’en répondre, s’il est dans la nature de ton cœur qu’une femme puisse faire ta félicité. Donne-moi cette aimable sœur. Cela est jeune, tu la formeras à ta fantaisie; tu ne seras pas gêné, comme tu le serais avec Mme Parangon, si elle était veuve, et que tu l’épousasses; jamais tu ne serais que son humble esclave; à moins que tu n’imitasses ces brutaux qui humilient d’autant leur femme, qu’ils lui doivent davantage: viens ici. M. Gaudet nous a quittés; il est chez ses anciens confrères. C’est un cher ami, que j’aime de tout mon cœur; mais il faut nous cacher de lui pour ce mariage. Arrive à S**, sans t’arrêter ici; fais m’en dire un mot en passant; nous te suivrons le lendemain, nous conclurons, et tu reviendras marié embrasser ton ami! car il faut qu’il soit des fêtes; et tu verras qu’il en fera le plus agréable assaisonnement. Tout le monde ici désire ce mariage, et tu es sûr de causer une satisfaction générale: ce motif ne sera pas impuissant sur ton cœur, naturellement bon. Viens donc, mon cher ami frère: nous repartirons tous ensemble pour Paris, et j’y demeurerais chez vous jusqu’à l’événement, ou un mariage, avec un agrément infini.

43
{"b":"100939","o":1}