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Lettre 103. Réponse.

[La marquise accepte la honteuse et ridicule proposition de partager les dépouilles de son mari.].

le lendemain.

Pour un pirate, ma belle fille, c’est avoir une probité que j’admire. J’accepte: envoyez-moi, quand il vous plaira, ma part des dépouilles; et puisse notre accord, jusqu’à ce moment inouï, épouvantera les maris infidèles et dissipateurs!

Adieu.

(sans signature.).

M. de Crébillon fils ne pouvait croire que ces Réponses de la marquise fussent réelles. Je lui montrai les originaux, de la main d’une femme de qualité. Le vrai, me répondit-il, n’est souvent pas vraisemblable.

Lettre 104. Ursule, à la Marquise.

[Elle effectue ses promesses.].

le lendemain de la précédente.

Madame,

J’agis en conscience, et vous avez la meilleure part. Que dites-vous de la galanterie de M. le marquis? Pour moi, je ne crois pas qu’il puisse y en avoir d’aussi bien entendue. Tout est parfait: les dentelles, les étoffes, les diamants, les bijoux; c’est d’un choix exquis! je serais tentée de croire qu’il connaissait là destination de toutes ces belles choses car en vérité, madame, d’après ce que dit mon frère de votre ravissante beauté, il n’y a que vous au monde qui soyez digne d’une parure aussi brillante qu’elle est riche. Je n’ai qu’un regret: c’est de ne pas avoir le bonheur de vous voir sous cette parure, que vous embellirez. Mais je n’ose ni le demander, ni l’espérer.

Je suis, etc.

Lettre 105. Réponse.

[La marquise lui donne un rendez-vous.].

le lendemain.

De tout mon cœur, je vous verrai, charmante fille. Nous irons au bois de Boulogne, sans domestiques, qu’une de mes femmes, et votre laquais; nous prendrons une remise et nous ferons partie carrée, vous, mon mari, votre frère et moi. Tenez-vous prête pour demain. J’amènerai M. le marquis, et vous amènerez votre frère. Surtout le secret! nous les surprendrons. Je serai parée; vous aussi: mais sous un costume un peu coquet outré; nous nous donnerons l’air d’être les maîtresses de ces messieurs, qui seront mis sans éclat, mais dont les dentelles et les bijoux indiqueront des gens distingués. Cette partie me promet la plus agréable journée de ma vie.

Adieu, ma belle fille; au plaisir de vous voir.

P.-S. – je change d’avis; j’amènerai votre frère, et vous, le marquis. Ma voiture me conduira chez lui: j’y descendrai, je la renverrai, et il nous aura une remise; cela sera plus piquant à la rencontre au bois de Boulogne: ma voiture, outre les autres inconvénients, aurait celui d’ôter toute la surprise à M- le marquis; puisqu’il fait, si bien les choses, n’est-il pas juste qu’il. ait un peu sa part du plaisir?

Lettre 106. Ursule, à Gaudet.

[Elle lui fait confidence de toute sa coupable conduite.].

15 avril.

Il ne faut plus compter sur vous, l’ami! Vous n’arrivez pas, et des mois entiers s’écoulent! Vous mériteriez qu’on vous laissât tout ignorer. Mais non; vous êtes un ami trop essentiel, et vos sages avis sont trop nécessaires, pour qu’on s’en passe volontiers. J’ai fait usage des vôtres à la lettre, au moins dans tout ce que j’ai pu, et je m’en suis très bien trouvée. Je vais vous donner à présent quelques détails sur ce qui se passe ici. Je pense que mon frère vous a écrit; mais il ne saurait vous apprendre ce qu’il ignore.

Comme je vous le disais, en finissant ma dernière, j’ai accepté les propositions du marquis; une première raison, c’est que j’en ai eu un fils, et qu’il est plus naturel que je sois à lui qu’à un autre. Il m’a logée somptueusement, et m’a mise à même de faire une très belle dépense: j’ai tous les jours du monde, et nous vivons assez bien ensemble. Mais je lui ai fait entendre qu’il ne fallait pas qu’aux yeux du monde, ni de mon frère, notre intimité fût si parfaite; que le plus sûr était que j’affectasse des dégoûts, de l’ennui; que je saurais l’en dédommager dans le particulier. Il a consenti à tout, et je lui ai tenu parole. Il s’est trouvé trop heureux. Je ne m’en suis pas tenue là; je lui ai proposé de mettre son épouse dans mes intérêts par mes procédés à son égard. Il a paru surpris. Je lui ai détaillé mon projet, à peu près de la manière suivante:

«La marquise est votre femme; elle appartient à une famille puissante; vous la négligez: elle peut s’en plaindre avec justice, et troubler par là mon bonheur et le vôtre. Que vous alliez lui dire que vous m’aimez, et que vous la priez de le souffrir, c’est un rôle fou et plus que ridicule; mais que moi, après ce qui s’est passé entre nous, avant votre mariage, je la recherche, que je lui offre de ménager ses droits, de modérer votre dépense, de vous préserver de la prodigalité, c’est une démarche qui pourra lui plaire, à ce que j’imagine, à juger d’après mon cœur?» Le marquis m’a fort approuvée; il m’a juré qu’une liaison avec son épouse serait ce qui le flatterait davantage; que j’en étais absolument la maîtresse, et qu’il me seconderait à sa manière, en se plaignant de mes rigueurs. Je n’ai rien dit d’Edmond, sur qui je fonde le succès de ma démarche, et que je veux tâcher de servir auprès de la marquise. Ils sont du dernier mieux: mais je ne sais si la glace est brisée. En tout cas, j’y fais mes efforts, de toute manière; et s’il le faut, je donnerai de la jalousie à la marquise. J’ignore si c’est discrétion de la part de mon frère, ou si elle lui tient encore rigueur, mais il me tait sa bonne fortune. Peut-être me croit-il capable de quelque indiscrétion? je lui pardonne; jamais je ne ferai un crime à un homme de manquer de confiance en pareille occasion; c’est un si beau défaut, et si rare, d’être assez défiant, pour taire à ses plus intimes les faveurs d’une femme, que je ne m’en sentirais que plus attachée à Edmond. En conséquence des dispositions que je viens de vous montrer, j’ai écrit à la marquise, après avoir tâché de faire expliquer mon frère sur ce qu’elle pensait de moi. J’en ai été assez contente, pour risquer une lettre, où je lui donne mille témoignages de reconnaissance pour Edmond, et de mon respect personnel. Je mets ensuite à sa disposition la conduite qu’elle juge à propos que je tienne avec son mari, et je l’en fais l’arbitre absolue. Sa réponse (car, elle m’en a fait une dès le lendemain) a, été celle d’une femme d’esprit. Après s’être récriée sur le phénomène d’un commerce de lettres entre nous, qu’elle trouve une chose trop singulière et trop piquante pour s’y refuser, elle me dit que, quoiqu’elle ne soit pas jalouse, elle accepte mes offres; elle m’engage avec beaucoup de gaieté à tourmenter son mari, à le mettre aux abois. Elle m’assure qu’il est jaloux de moi à la rage, et qu’ainsi, je dois le tourmenter par la coquetterie la plus décidée; elle m’invite même à aller plus loin, s’il le faut. Quelques jours se sont écoulés, pendant lesquels j’ai appris, par une lettre qu’Edmond vous écrivait, et que j’ai surprise, en allant chez lui, tandis qu’il était chez moi, que la marquise l’avait favorisé, d’une manière aussi spirituelle que prudente. Cette découverte m’a encouragée; dès que j’ai été de retour, j’ai remis la main à la plume, pour écrire à l’aimable marquise toute la conduite que j’avais tenue avec son mari. Ma lettre était assez libre: mais j’étais sûre qu’elle serait bien reçue. Je ne me suis pas trompée; une réponse courte et décisive, en a été la suite. Je l’ai montrée au marquis: «Voyez ce que vous voulez faire? C’est à vous de cimenter une secrète liaison entre la marquise et moi?» Il a ri de mon idée, qu’il a trouvée charmante, et il a lui-même préparé le cadeau que je devais envoyer à sa femme, avec une lettre. «Le trait est unique, disait-il, et bien plus extraordinaire que ne le croit la marquise! Oh! j’en rirai quelque jour avec elle, supposé que les choses s’arrangent comme je l’espère…» Je ne sais ce qu’il entend par cet arrangement: peut-être le découvrirez-vous durant votre séjour ici?

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