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Vous verrez par la copie de la lettre ci-incluse, que Mme Parangon m’a fait l’honneur de m’écrire, les bonnes nouvelles que j’ai reçues de Paris. Est-il possible, cher père et chère mère, que je m’acquitte jamais de la reconnaissance que je dois à cette femme, digne d’un trône, par son penchant à bien faire, autant que par sa beauté? Non, cela n’est pas possible, et tout ce que je pourrai, c’est de mettre ses bontés sur la même ligne que les vôtres: car elle m’oblige d’autant plus, que ce n’est pas tant dans ma personne, que dans celle d’Ursule, l’image de ma bonne mère; ce qui me lie bien plus que si tout se faisait pour moi. Cependant, combien ne fait-elle pas pour moi-même?… Aussi, loin de désirer de m’acquitter, je veux au contraire lui toujours devoir, afin que ma reconnaissance soit pour moi un plaisir continuel, qui dure autant que ma vie, car il est des personnes dont nous aimons à être les obligés, parce que nous savons qu’elles ont trouvé tant de plaisir à nous faire du bien, que nous leur en sommes plus chers: tels vous êtes, cher père et chère mère, à l’égard de vos enfants, et telle est Mme Parangon, pour ma sœur et pour moi.

J’apprends que le cher frère aîné va bientôt vous faire renaître dans la postérité du plus vertueux de vos enfants: permettez que je vous félicite, et que je répande mon cœur devant vous, dans une circonstance aussi heureuse. Que vous aurez de plaisir, et que je m’en promets à voir votre satisfaction! Voilà le plus beau bouquet dont vos enfants puissent vous orner, et il était juste que ce fût de votre aîné que vous le reçussiez; puisqu’il a toutes vos vertus, et que nous le regardons comme votre lieutenant à notre égard. J’ose, dans cette lettre, qui vous est adressée, lui faire mes félicitations, et je le prie d’être persuadé que ma joie ne cédera qu’à la sienne, et à celle de la chère sœur, son épouse. C’est elle qui sera contente dans quelques jours! sensible comme elle est, chérissant son mari, vous respectant, comme elle le fait, jamais on n’aura vu de mère plus tendre, pas même la mienne, qui l’est infiniment. En attendant le bonheur de vous voir, cher père et chère mère, ainsi que mes frères et sœurs, je les embrasse tous, et je fais mille souhaits pour leur bonheur.

Je suis et serai toute ma vie, avec le plus profond respect et la plus vive tendresse, etc.

Lettre 17. Ursule, à Fanchon.

[Ma sœur copie un papier secret de Mme Parangon, et montre qu’elle commence à n’être pas aussi bonne et naïve qu’on la croyait: ce qu’on voit par les confidences qu’elle fait à ma femme.].

26 décembre.

Elle est ici, chère sœur: je la vois, mais elle ne me voit pas; car je t’écris en cachette d’elle, et de tout le monde: j’ai fait en sorte d’occuper Fanchette, et je suis seule. Cette lettre-ci est bien importante, et pour Edmond et pour moi! je commence par lui. Il est trop heureux; car je sais qu’il aime bien Mme Parangon: or il en est aimé pour le moins autant, et c’est parce qu’elle l’aime trop, qu’elle l’a fui; c’est son expression. Mais elle ne me l’a pas dit: je l’ai vu par un brouillon de lettre qu’elle a déchiré et jeté dans la cheminée. Pour toute autre chose, je n’aurais pas été curieuse: mais un morceau où j’ai vu le nom d’Edmond et le mien m’a donné de la curiosité; j’ai ramassé le papier, je l’ai lu et je l’ai copié, très heureusement! car un instant après, elle est venue elle-même le brûler; voici ce que c’est:

«INFORTUNÉE! je cherche partout, non le bonheur, mais le repos; et le repos me fuit! À Au**, je disais, le repos m’attend à Paris, dans les bras de ma chère Ursule: à Paris, je regrette le temps où je voyais Edmond tous les jours, à toutes les heures! Qui me rendra l’innocence? Tout ce qui m’environne a le cœur pur: moi, moi seule, je nourris un feu coupable, qui me consume, qui me dévore… Pardon, ma chère Ursule! je ne suis pas une Safo…, ou si je la suis, c’est Faon, et non Lesbie qui cause mes soupirs… Où m’égaré-je quelquefois? Infortunée où m’égaré-je?… Hélas! je veux tromper la nature et l’amour; je veux que du moins mon corps soit chaste, puisque mon cœur ne l’est plus… Je l’ai fui; j’ai fui le cher ennemi de mon repos, de mon innocence; lui seul m’a fait fuir; et je le porte dans mon cœur, cet ennemi que je fuis! Pourquoi le fuir!… Pourquoi, infortunée! pour que tu sois la seule coupable, et qu’il ne devienne pas ton complice… Quelquefois, je me surprends à être jalouse de ma sœur, je m’efforce à le destiner pour elle, et peut-être serais-je aujourd’hui au désespoir qu’il fût son mari! Que n’ai-je pas souffert, quand arriva l’aventure de Laure!… Mais elle était sans intérêt pour moi, quand elle éclata; il était le mari d’une autre; que m’importait sa constance pour elle?… Oui, j’ai senti une sorte de joie coupable… Mais, grand Dieu, que n’avais-je pas souffert, quand j’avais appris son mariage avec Manon! Et si je n’eusse pas vu, qu’au fond, c’était encore moi qui étais la souveraine de ses pensées, aurais-je pu y survivre?… Je me suis vaincue; j’ai feint d’aimer Manon… Que dis-je? ne l’ai-je donc pas aimée?… Non, non, je ne l’ai pas aimée, non! je le sens, à ce que me fait éprouver Fanchette: mon cœur l’a repoussée, quand, à mes pressantes sollicitations, elle m’a dit, qu’elle aimerait bien son petit mari. Eh! pourquoi lui en parler? Pourquoi mettre sitôt dans son cœur des idées… Je me la sacrifie!… Non, non, je surmonterai ma faiblesse; elle aura Edmond; elle l’aura: je ne veux plus le voir; je me le promets, mon Dieu, devant vous, punissez-moi, si je lui parle, si je lui écris: je tâcherai de le bannir de ma pensée… Il est des rencontres fatales!… Il vient chez mon père, jeune encore: hélas, j’avais son âge! il apportait une lettre: sa naïveté, son innocence, m’intéressèrent dès ce moment, je sentis qu’il était aimable; ma pensée s’occupa de lui; je ne séparai pas, devenue plus grande, l’idée de l’amour de celle d’Edmond… On me maria: je crus que ce devait être un Edmond pour moi, qu’un mari; je me livrai tête baissée, comme la victime conduite à l’autel… Ah! quelle différence!… Pour mon malheur, je passais un jour sur un grand chemin; je le revois conduisant au lavoir les brebis de son père: comme mon cœur fût touché de ses grâces naïves en me saluant; de son empressement à raccommoder la sangle de mon cheval!… (Mais j’étais mariée alors!) Mon cœur fût touché d’une sorte de compassion: tant de charmes et de grâces seront-ils perdus? c’est le fils de l’ami de mon père; il faut le prendre chez nous; il faut lui donner un état plus doux… Je fis parler à ses parents; je l’obtins pour le temps où finissent les travaux de la campagne… Dieu me punit dès le premier pas: j’étais absente quand on me l’envoya; sa beauté, son innocence, sa noble sécurité, tentèrent des âmes vicieuses, et on voulut le tromper! On s’était hâté de le faire venir, pour le tromper!… Moi, qui espérais le recevoir, lui adoucir les commencements d’un séjour étranger; l’instruire, le former, m’en faire aimer comme bienfaitrice, je l’exposai, à tout ce qu’ont de dur et d’amer les façons des gens des villes, à l’égard d’un jeune campagnard qui vaut mieux qu’eux!… Que n’a-t-il pas souffert!… Cher Edmond!… va, je t’en dédommagerai: ma sœur sera ton épouse; la tienne sera ma compagne, mon amie à jamais; je ferai tout pour elle; et surtout elle aura un mari qu’elle aimera… Cette chère Ursule!… Elle est aimée déjà, elle est adorée; les vicieux la désirent; les vertueux l’adorent! mais elle les ignore tous! Le frère et la sœur sont également aimables… Au fond, mes sentiments pour Edmond sont peut-être un bonheur: que d’hommages intéressés ne m’offre-t-on pas! que d’hommes adroits m’eussent peut-être entraînée dans des chutes honteuses! Edmond m’a soutenue; il m’a fait dédaigner tous les hommes; ils ne sont que des monstres, comparés à lui, et je suis sans mérite dans ma vertu à leur égard; je la lui dois. (…) ne l’a-t-il pas inutilement attaquée? (…), plus poli, plus aimable, ayant toutes les grâces qu’on acquiert à la capitale, a-t-il pu vaincre mon indifférence? que d’amour, cependant? Mais Edmond était au fond de mon cœur, le gardien de ma vertu. Oui, je lui dois de la reconnaissance. Ah! que j’aurais de plaisir à lui montrer toute celle qu’il m’inspire, si… Ô malheureuse! quel souhait allais-tu former! Edmond n’en est pas le complice; non jamais son cœur ne fût souillé par ce vœu coupable!… Mais Gaudet ne peut-il pas le corrompre? je l’ai craint; d’où vient est-ce que je ne le crains plus? D’où vient ne suis-je pas fâchée qu’il voie cet homme dangereux! Sondons mon cœur… Bon Dieu! si c’était, parce que je voudrais qu’Edmond fût moins vertueux, moins timide!… Je ne sais ce que j’entrevois au fond de mon âme; mais si c’était là mes vrais sentiments, je m’abhorrais moi-même! Non, non, ce ne saurait être là mon secret désir: au contraire, je suis rassurée par les principes d’Edmond; un jeune homme élevé par des parents comme les siens, imbu de leurs maximes, ne peut s’oublier… Eh! pourtant, il s’oublia, quand Laure… Ah! la cruelle idée! et la cruelle anxiété, que celle où je me trouve! Mais qu’importe le passé! Tâchons qu’il nous reste; qu’il soit à nous, à ma sœur et à moi… Mais, aucun objet ne fera-t-il d’impression sur son cœur, en mon absence? Il est seul, à présent; il est jeune, aimable, il a les passions vives, je m’en suis aperçue plus d’une fois!… Je dois me rassurer: il n’a pas recherché cette petite Edmée; il l’eût trouvée, s’il l’avait bien voulu: les coquettes ne sont pas dangereuses pour lui… tout doit me rassurer. Cependant, il ne faut pas que mon séjour ici soit trop long: que sais-je?… Hélas! je n’ai pas de confidente; je n’en saurais avoir pour mes sentiments; je les cache à tout l’univers, et je voudrais me les cacher à moi-même… Cruelle situation, qui fait trouver du plaisir à écrire, lors même qu’on sait que c’est en vain!…».

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