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Votre, etc. Je vous prie de faire tenir vous-même cette réponse à ma belle-sœur, épouse de mon frère Pierre: parce que je voudrais qu’elle fût sûrement remise, et en secret.

À sa belle-sœur Fanchon.

[Voilà qu’elle lui parle, comme elle pense: elle a déjà fait bien du chemin!].

Je te remercie, très chère bonne amie, de ta lettre et de tes sentiments pour moi. Je me trouve ici très heureuse; et comme tu le disais, ça été un coup d’or, que Mme Parangon, ma respectable protectrice, m’ait fait partir, comme elle a fait: car, entre nous, il ne faut pas qu’on envoie à la ville, les enfants qu’on veut qui demeurent au village, les manières des villes sont trop agréables, pour qu’on puisse ensuite trouver supportables celles de la campagne; outre qu’à la ville la vie est bien plus douce, et surtout qu’on y connaît des plaisirs que rien ne peut compenser au village. Je te parle à cœur ouvert, chère petite sœur, pour te guider dans tout ce qui me concernera chez nous, et par l’espérance que j’ai que cette lettre ne sera vue de personne que de toi, et de la respectable dame qui te la fait parvenir. D’après ma façon de penser, je t’avouerai que je ne serai pas fâchée qu’on me trouve un parti; car tant qu’on est fille, on dépend de la volonté de père et mère, et il ne tient qu’à eux de rappeler leur enfant auprès d’eux. Il est certain, que les partis se trouvent à la ville plus facilement qu’au village; peut-être la corruption des mœurs en est-elle cause; on regarde ici davantage à la figure, et on sacrifie plus volontiers l’intérêt au plaisir: au lieu que chez nous, tant pis si les deux ne se trouvent pas réunis; car l’intérêt passe avant tout. Pour moi, je ne suis pas intéressée: mais j’aimerais à trouver un bon parti pour bien des raisons; c’est d’abord que je sais le plaisir que cela vous ferait à tous; ensuite, que je suis un peu orgueilleuse, un peu aimant à être parée, car la beauté est un beau présent de la divinité: ôte sa charmante figure à Mme Parangon, elle sera toujours une excellente dame, mais ce ne sera qu’une femme; au lieu que c’est une déesse, qui tient fixés sur elle les yeux et les vœux du tout ce qui la connaît, surtout d’Edmond et d’Ursule R**; qu’on t’ôte ta jolie figure, ma chère Fanchon, ton mari t’aimera encore pour tes qualités; mais te regardera-t-il avec cette admiration et ce tendre sentiment de reconnaissance envers Dieu, qui t’a donnée à lui! Et pour parler aussi un peu, de moi si je n’avais rien, rien du tout en ma faveur, Edmond aurait-il songé à me procurer tous les avantages que je lui dois, et qui sont si grands, que le seul de m’avoir donnée à Mme Parangon, vaut la vie, et plus, car c’est le bonheur? Quant à ce cher frère, il faut aussi considérer, que sa beauté donne bien du relief à ses bonnes qualités, et, je crois, lui attache ses amis: car il en a qui lui sont tout dévoués, et une protectrice, qui veut l’élever jusqu’à elle, par le don d’un petit trésor, que j’ai le bonheur d’avoir ici pour compagne. On peut donc légitimement avoir envie d’être belle, de plaire, et d’augmenter sa beauté: pour moi, je ne m’en fais aucun scrupule, et j’y mets tous les soins que je puis, sans nuire à mes devoirs; car je regarderais comme un mal d’y donner tout son temps, et de ne songer qu’à cela. Après t’avoir ainsi parlé, chère sœur, il convient que je te témoigne tout ce que ta lettre m’a causé d’amertume, relativement au cher Edmond, tu sais tout ce qu’il m’est: car si je dois aimer mes autres frères comme frères et comme bons amis, surtout Pierre R**, je dois aimer Edmond comme père; oui, je dois partager le sentiment filial, entre notre vénérable père, et ce frère si bon à mon égard; et telle est ma position, que plus j’aime mon frère, et plus j’aime Mme Parangon et la ville; et que plus j’aime ma protectrice et la ville, plus j’aime mon frère Edmond: ces deux sentiments rentrent l’un dans l’autre.

À présent je vais te parler de l’ami d’Edmond, ami comme il n’y en a point; je le vois par ce que tu me marques à son sujet, relativement à Laurette. Cette action de M. Gaudet, supposé qu’il ait trompé, je crois qu’on la peut excuser, en faveur de son amitié pour Edmond: car Edmond se fait aimer si bien, qu’on n’est pas toujours maître de le servir comme l’exacte justice le demande. Je te dirai, à cette occasion, que j’ai vu Laure: mais personne ne le sait, pas même Mme Canon. Nous étions sorties seules, Mlle Fanchette et moi, pour aller à l’église, Mme Canon étant indisposée; justement à la porte de Saint-Eustache, un monsieur m’a saluée par mon nom: je ne le voyais pas, à cause de ma calèche; mais sa voix ne m’était pas étrangère. Je l’ai voulu regarder, et au lieu de lui, j’ai vu Laurette devant moi, qui m’a embrassée. Elle est jolie comme un cœur, et en vérité je l’ai aimée; ce qui est une nouvelle preuve que la gentillesse est un grand avantage! Nous avons causé, mais peu, à cause du temps qui nous manquait, et les choses qu’elle m’a dites ne m’ont pas surprises, car je m’en doutais. Elle a tout à fait bonne grâce, malgré son état, et elle est très formée pour le raisonnement: je la verrai quelquefois, si Mme Parangon le trouve bon; nous nous le sommes promis; mais j’ai mis la condition que je viens de dire. Vois, pourtant, ma chère sœur, ce que c’est qu’une grande ville! Nous voilà que nous nous parlons, et que personne ne le trouve mauvais! Suppose notre village, que de discours! Il aurait fallu passer notre vie à nous regarder noir, ou nous exposer à mille désagréments. Je dois jouir dans peu du bonheur d’avoir ici Mme Parangon: écris-moi par cette occasion, qui est la plus sûre.

Lettre 13. Fanchon, à Ursule.

[Ma femme décrit ici la réception, le séjour et le départ de mon frère Edmond.].

20 août.

J’écris cette lettre, très chère sœur, pour la faire tenir à Mme Parangon le plus tôt possible, afin de ne pas manquer l’occasion de son départ. Je vous dirai que nous avons ici Edmond depuis trois semaines: et je ne lui ai pourtant pas montré votre lettre, ni à personne; car je l’ai trouvée faite tout à fait pour femme, et point du tout pour homme, qu’il nous soit tant proche qu’on voudra. Et je ne répondrai à rien de ce que vous me dites sur la beauté: puisque Mme Parangon a vu votre lettre, et qu’elle verra aussi la mienne, je la crois bien suffisante pour vous dire tout ce qu’il faut, et mieux que mon petit esprit, qui se peut tromper, en croyant dire merveilles; car je suis plus défiante de moi et de mes lumières que jamais. Pour à l’égard de Laure, que vous avez vu et parlé, mon sentiment est, que vous avez bien fait; car c’est notre parente, et dès que dans le pays où vous êtes, il n’y a aucun scandale à se parler, parce qu’on ne sait ce qu’il en est, je pense qu’il est toujours bien de se rapprocher. Mais il faut vous parler d’ici, et vous dire que j’entends votre demi-mot, vu qu’Edmond ne me laisse rien ignorer de la vérité, non plus qu’à son frère, et à Mme Parangon elle-même, qui est instruite: car il m’a montré la lettre qu’il lui écrivit le 2 du présent mois, que j’ai trouvée très belle, et où il contait les derniers moments de sa femme: sans doute que Mme Parangon vous la montrera, ainsi que deux autres; c’est à savoir la copie d’une qu’il a écrite à M. Gaudet, et la réponse qu’il en a eue. Ce que j’ai à faire à présent, est de vous dire, comment Edmond ayant, à son arrivée ici, démenti le bruit qu’avait fait courir la lettre de M. Gaudet, il s’est derechef exposé, par sa franchise, à tout le courroux de notre vénérable père, qui ne peut souffrir rien de contraire à la bonne conduite: ceci n’est pas inutile à vous dire, puisque ça vous fera sentir combien il est terrible de manquer à son devoir devant votre digne père, l’image de Dieu sur terre à notre endroit. Edmond arrivait avec mon mari, qui l’avait été chercher à cause de sa convalescence, et qui l’avait trouvé à Saint-Bris, venant sur un cheval de louage; et qui en voyant son frère changé, a couru à lui, et l’a descendu à terre, dans ses bras, en lui disant: «Mon cher frère, mon cher Edmond! je te revois! ah! mon ami! j’en bénis le bon Dieu, et de ce que la maladie qu’il t’a envoyée a montré ton bon cœur, et ton innocence!» Et il l’a porté dans la carriole, comme si c’eût été un petit garçon de neuf à dix ans, et puis il y est monté à côté de lui, et ils se sont mis à causer: mais Edmond avait quelque chose sur le cœur, au sujet de cette innocence dont son frère lui venait de parler, et il lui en a demandé l’explication, et Pierre la lui a donnée, et Edmond a dit la vérité. Mon mari a baissé la tête, et puis la relevant, il s’est jeté au cou de son frère, en lui disant: «Et la vérité aussi est une vertu, et nous ne sommes pas, pauvres mortels, pour les avoir toutes!» Les voilà qui sont arrivés comme ça. Et notre bon père et notre bonne mère, qui attendaient leurs enfants, parlaient d’eux toute la journée, tantôt entre eux, tantôt à nous; et notre bonne mère s’en allait à chaque quart d’heure sur la montée du grenier, où est le perron, et elle regardait par le chemin de la montagne, si elle verrait une carriole la descendre, et elle appelait tantôt Brigitte, tantôt Marthon, plus souvent Christine, et quelquefois moi: «Oh Fanchon! vous qui avez de si bons yeux, voyez donc voir, mon enfant, si vous ne verriez pas la carriole descendre la montagne? m’est avis que je la vois? – Non, ma mère, il n’y a rien, que des charrues qui s’en reviennent. – Ô mon enfant! c’est la carriole!… Augustin-Nicolas, tiens, viens donc voir? N’est-ce pas là la carriole! – Non, ma mère, c’est Colin Peupeu, en chemise, qui vient de la charrue.» Et elle ne nous croyait quasi pas; car la chère bonne femme n’avait dans le cœur, l’esprit et les yeux que la carriole, et elle remontait à tout moment, tant plus le jour s’avançait: et elle a aussi appelé notre bon père vers le soir: «Mon homme, la voilà! la voilà!» Et le bon vieillard est monté, et on a vu qu’il souriait: mais il a encore de bons yeux, et il a dit doucement: «Non, ma femme, ce n’est pas la carriole», et il est redescendu, en disant à Georget, qui arrivait bien las: «Georget, va-t’en donc au-devant de tes frères.» Et nous qui voyions comme il était las, nous avons dit à notre père: «Mais il est trop las, mon père! – Eh bien, Bertrand.» Et Bertrand y a couru. Mais Georget y a voulu aller aussi, et il s’est caché, pour qu’on ne le vît pas sortir, et il a dit à Bertrand: «Allons, allons, fussent-ils à deux lieues; je monterai dans la voiture en revenant, et ça me reposera comme dans mon lit.» Et ils y ont été; mais pas loin; car quant-et-quant que le jour tombait, et que notre bonne mère montait encore au perron, bien qu’on n’y voyait plus goutte, et qu’elle nous appelait encore, si bien que notre bon père s’est mis à rire, en lui disant: «Ma femme, ma femme, ce n’est pas vos enfants qu’il faut appeler pour voir, mais adressez-vous aux oiseaux de nuit; car il n’y a plus que les chouettes et les chauves-souris qui puissent y voir.» Ce qui l’a rendue honteuse; et elle descendait, quand on a vu la chienne Friquette, que mon mari avait menée, qui est venue à notre père en joie, comme quand il y a longtemps qu’elle ne l’a vu. Et aussitôt notre bon père a ouvert le livre de Tobie, à l’article du chien, et il nous a dit à tous: «Allez au-devant de vos frères; car ils arrivent.» Et notre bonne mère s’est appuyée sur nous deux Christine, et elle y a couru comme elle pouvait; car ses genoux tremblaient. Et notre bon père l’a regardée, ouvrant la bouche, comme pour lui parler; mais il ne lui a rien dit, et se tournant vers moi: «Il faut la laisser faire: ma fille, ne la quittez pas; car elle va revoir celui qui nous a peinés; et tant plus on l’a peinée, tant plus elle aime: Dieu la veuille bénir! C’est une bonne femme!» Mais pendant tout ça, voilà que la carriole est entrée dans la cour: et Georget en est descendu, car Bertrand était à pied, menant les chevaux; ensuite mon mari; et puis Edmond… Et quand il a paru avec sa pâleur, voilà que notre bonne mère s’est récriée: «Mon fils! ô mon pauvre fils!» et la chère bonne femme tombait. Edmond est venu l’embrasser et la soutenir.»Mon pauvre fils, je te revois! je mourrai contente! mon cher fils! Et par son empressement à l’embrasser, elle ne le pouvait, car elle lui baisait les cheveux au lieu du visage, et quelquefois les mains; elle était comme en ivresse… Et voilà les mères: que Dieu est bon d’avoir fait si tendres les mères!… Et elle ne cessait de dire: mon fils, comme si elle n’eût eu que lui, aussi Edmond lui a-t-il dit, en montrant ses frères: «Les voilà, vos fils, et il n’y en a pas un là qui ne vaille mieux que moi: et voilà votre digne fils, mon cher aîné. – Je vous aime tous, a dit la bonne femme, en suffoquant, mais… mon Edmond, j’ai été deux jours à croire que je ne t’aurais plus.» Et aussitôt deux fontaines de larmes sont sorties de ses yeux; ce qui l’a soulagée: et Edmond et Pierre l’ont à eux deux remmenée par-dessous les bras, et ils l’ont assise auprès de notre bon père, qui s’est gravement levé, en voyant Edmond, et a dit: «Mes fils, mes filles, je suis bien aise, que vous voyiez ce cœur de mère, à celle fin que vous aimiez Dieu votre Père, comme elle vous aime… Bonsoir, Edmond. – Mon cher père!» et il s’est mis à ses genoux quasi. Et notre père l’a embrassé, en lui disant: «Je ne t’aurais pas embrassé coupable.» Et Edmond s’est aussitôt retiré, en disant incliné: «Et je le suis, mon père.» À ce mot, notre père s’est assis, le front sévère, et n’a plus parlé qu’à mon mari, dans toutes les questions qu’il a faites. Ce qui a quasi glacé notre bonne mère. On a soupé, et on s’est allé coucher, sans qu’il ait redit une parole à Edmond, ni le lendemain non plus; mais comme Edmond empirait, mon mari a parlé à son père, et ce bon père a reparlé à son fils, mais sans le tutoyer; et il a dit à part à son aîné: «Pierre, c’est une pauvre femmelette qu’Edmond, et ça se croit homme! Ça n’a pas de nerf pour résister au vice, et dès que quelque chose plaît à ça, ça se laisse aller: mon fils, ayons-en pitié; car je m’étonne tant seulement qu’il ait eu la force d’être vrai à ses dépens, et je trouve en lui par-delà de ce que j’attendais.» Et il lui a reparlé depuis ce moment comme à l’ordinaire, lui gardant une bonne remontrance, pour quand il se portera mieux.

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