Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Lettre 32. Laure, à Ursule.

[Elle l’avertit de son prochain malheur.].

Même jour.

Ma très chère cousine, comme je crains que la lettre d’un homme ne vous parvienne pas avec autant de facilité que celle d’une écriture de femme, je me joins à M… pour vous écrire. Quelque danger vous menace de la part d’un homme qui vous aime: c’est ce que M… a découvert hier soir, et ce que des circonstances particulières l’ont empêché d’éclaircir, ayant été obligé de se soustraire lui-même à la vue de gens de sa connaissance, dont il était important pour lui de ne pas être remarqué. Je vous engage, par la tendre amitié que j’ai toujours eue pour vous, et par l’intérêt que je prendrai toute ma vie à une parente d’un aussi rare mérite, d’employer toutes les précautions possibles pour éviter le mal qu’on veut vous faire, quoique cependant je ne croie pas que ce soit un mal, dans un certain sens: puisqu’on vous aime; mais c’est au moins pour gêner votre liberté. Si j’avais pu espérer de vous entretenir en particulier sans être entendue par Mme Canon, j’aurais été vous voir, au lieu de vous écrire: car il est mille petites choses, au sujet de votre famille, dont je suis très curieuse; de mon côté, je vous en aurais appris au sujet d’Edmond, beaucoup d’autres, et des plus importantes, que je ne puis confier au papier, surtout dans les circonstances actuelles. Je suis avec le plus sincère attachement,

Votre très affectionnée cousine.

LAURE C **.

[On peut recourir ici aux XCIIème, et XCIIIème lettres du PAYSAN.].

Lettre 33. Le Marquis de ***, à Ursule.

[Il fait des soumissions à la fille qu’il a violentée.].

Le surlendemain des précédentes.

Vous verrez à vos pieds, dès que vous le daignerez permettre, l’amant le plus tendre, le plus soumis, le plus dévoué à toutes vos volontés, quelles qu’elles soient. Mettez sur le compte de l’amour, tous mes torts, tous mes attentats, comme vous les nommez, ils cesseront de l’être, dès que vous le voudrez: je vous offre un mariage; faut-il écrire à vos parents, avec tout le respect que j’ai pour vous; je vais écrire?… Votre situation me désole! Quoi! une fille si douce, si gaie, se porter à ces extrémités-là! qui l’aurait cru!… Je suis détrompé; croyez, mademoiselle, croyez, fille adorée, que si j’avais tout prévu, vous seriez encore chez Mme Canon. Mais je ne puis me repentir que vous n’y soyez plus… Je vous adore, même par vos rigueurs, par vos cruautés. Recevez-moi sans crainte; à présent que je suis éclairé sur vos vrais sentiments; que je sais, à n’en pouvoir douter, combien je m’étais abusé, vous ne verrez en moi qu’un esclave rampant, qui ne lèvera sur vous ses regards chargés de honte et de douleur, que lorsque vos yeux adoucis le lui permettront.

Je suis avec un éternel dévouement,

Votre, etc.

LE MARQUIS DE***.

Lettre 34. Ursule, à Laure.

[Elle crie en vain au secours.].

26 septembre.

À qui m’adresser, dans la situation cruelle où je me trouve, entre les mains d’un homme assez peu délicat… Ah! je l’abhorre! juste Dieu! qui m’aurait dit… Ma chère parente, si cette lettre te parvient, engage M. Gaudet à me secourir!… Je me meurs… Je suis, à ce que je puis entrevoir, et si l’homme qui te rendra cette lettre ne me trahit pas, rue de la chaussée d’Antin, dans une maison isolée, ayant un jardin dont les marronniers sont très grands, et où il y a des statues, entre autres une Vénus voyant expirer Adonis, qu’un sanglier vient de blesser.

Adieu.

Lettre 35. Gaudet, à Laure.

[Il montre à nu son âme, sans idées de morale ni de frein, et découvre à demi qu’il est complice du rapt!].

27 septembre.

Edmond vient d’arriver avec Mme Parangon; je reste avec eux tout le jour, et peut-être la nuit. Ne sois pas inquiète, ma chère…

2 heures après.

Je ne voulais écrire que sur une carte, et j’allais te l’envoyer, mais j’ai été obligé de les accompagner, avant de pouvoir parler à mon laquais. En l’attendant, à notre retour ici, je vais te mettre au fait de ce qui se passe. C’est pour moi un spectacle bien singulier, et que je puis dire tout neuf, que celui d’une femme vertueuse, auprès d’un homme qui, selon elle, lui a manqué essentiellement, obligée néanmoins, par la plus terrible des catastrophes, de suspendre et ses reproches et sa douleur, pour s’occuper de la douleur de cet homme qui l’a mise au désespoir. La céleste Parangon, a dans cela même, une grâce particulière, et qui n’appartient qu’à elle. C’est un air timoré, allié à je ne sais quelle espèce de sourire de componction et d’humilité tout à fait angélique; elle craint de déplaire, tout en voulant n’exciter pas de criminels désirs. J’étais réellement curieux de la voir, après son accident! Pour Edmond, il m’a fait sentir, par la manière dont il en agit avec elle, qu’il est possible qu’une femme succombe, sans cesser d’être estimée: j’ai vu dans ses regards, qu’il l’honore autant qu’auparavant la chute. La plus décente manière pour une femme, et la meilleure à tous égards, d’accorder des faveurs, est de se laisser faire violence. J’imagine que c’est là qu’en est à présent la charmante Ursule. Je ne m’en chagrinerais pas, ou plutôt, je t’avouerai que j’en serais enchanté, si cela pouvait la rendre marquise: ce serait un millier de peines pour moi, et de difficultés pour Edmond, d’épargnées sur la route qu’il doit tenir. Mais c’est là ce qu’il faut savoir… Ce malheureux homme de l’autre jour, avec sa lettre perdue (ou que peut-être le marquis n’aura pas voulu que je reçusse), m’aurait instruit de ce qu’elle pense!… Voilà six grands jours, sans compter les nuits, qu’elle est entre ses mains…

Mais j’entends la belle Parangon, qui revient auprès de moi… Je l’entrevois qui rencontre Edmond… Il a voulu lui prendre la main; elle l’a retirée… et la voilà qui lève les yeux au ciel!… Il n’y a pas de femme au monde qui soit si belle qu’elle l’est, dans cette attitude; si pourtant il ne faut pas en excepter Ursule, sans doute à cause de la grandeur de ses yeux… Ils viennent.

Adieu.

33
{"b":"100939","o":1}