P.-S. – Ostensibilem hanc epistolam feci.
Lettre de Laure, aux parents d’Edmond,
(dictée par Gaudet).
Mon cher cousin, et ma chère cousine,
Je vous écris ces lignes à l’insu de ma mère, afin de vous tranquilliser au sujet de mon cousin Edmond, que j’ai eu la faiblesse d’accuser à ma mère, crainte d’être battue: mais la vérité est que ce n’est pas lui qui m’a mal-fait; bien au contraire: car c’est en revenant un jour du marché à V***, que m’étant arrêtée sous des vernes et des aulnes à l’ombre, et m’étant endormie, pendant que Robin broutait d’appétit, je m’éveillai à ce que me faisait un gros blatéyer, qui m’avait surprise, et dont je ne pus me défendre. Mais comme je ne savais pas ce que c’était, je ne fus pas si en colère que je l’aurais cru, et je n’en dis rien tant seulement à ma mère, jusqu’au moment où elle l’a deviné, et qu’avant tout, elle a été tout justement me nommer mon cousin, en disant: «Encore si c’était lui!» Et moi, entendant ça, j’ai dit, que ce l’était. Ensuite elle a appris qu’il était marié; ce qui a fait tout le bruit. Voilà tout mon cher cousin et ma chère cousine: ainsi je vous prie de n’en point vouloir à mon cousin Edmond. J’ai l’honneur d’être avec respect,
Votre très humble et très obéissante servante,
LAURE C***.
Vous voyez, chère sœur, que c’est bien malheureux qu’on ait accusé le pauvre frère Edmond!
Lettre 11. Mme Parangon, à Ursule.
[La pauvre dame montre toujours son bon et faible cœur, sans qu’elle s’en doute.].
30 juillet.
Ne m’en veux pas, ma bonne amie, du long silence que j’ai gardé avec toi, quoique je t’eusse promis de t’écrire, et même de te voir bientôt. Ton frère a été malade, après ce que tu sais, puisque M. Gaudet, qui est à Paris, doit t’en avoir parlé. Dispense-moi de tous les détails. J’ai vu Edmond aux portes de la mort: il est meilleur que je ne croyais, et si, je le regardais comme un bon cœur. Ce pauvre garçon! ah, qu’il m’a touchée! Il est à présent à S**, pour achever de se rétablir. J’espère le voir bientôt de retour ici. Le voilà donc libre encore!… Je ne lui dirais pas à lui-même, mais avec toi, ma chère, je puis me donner un peu plus de liberté; car tu vois bien que Fanchette sera ta sœur: commence à l’envisager sous ce point de vue, et que cela te donne la consolation dont tu as besoin. Ma chère Ursule, le terrible lien que le mariage! Lorsqu’on nous le propose, pour ceux ou celles qui nous sont chers, nous devons bien hésiter! et c’est ce que je fais à plus d’un égard. Quant à l’envie que j’ai de voir un jour celui de ton frère avec Fanchette, je m’y livre d’autant plus volontiers, qu’il y a encore le temps de la réflexion. Et puis, j’ai dans l’idée qu’il m’est attaché, qu’il aimera un peu ma sœur par rapport à moi, et un peu aussi parce qu’elle sera fort jolie. N’est-ce pas qu’elle le sera? Dis-le-moi sincèrement, toi qui n’as pas les yeux prévenus d’une sœur? Je ne m’en défends pas; j’aimerais à voir mon frère dans Edmond, et à le nommer du même nom dont tu le nommes… Il vient de me tomber une larme! Hélas! ne le nommerais-je donc jamais de ce nom si cher! Il me semble entendre une voix qui me dit, non!… Mais tout cela n’est que chimères de l’imagination troublée. La mienne l’est beaucoup, et je viens d’éprouver de terribles secousses!… J’irai me calmer auprès de toi, chère amie: prépare-moi un cœur bien tendre pour recevoir tout le mien. Que Paris va m’être agréable avec toi! J’y serai libre; je n’y verrai que ce qui me plaît, mes deux sœurs; tout le reste du monde ne sera rien pour moi. Un jour, ton frère y viendra… Je voudrais que Fanchette eût quinze ans: on est raisonnable à cet âge-là… car je crois que je l’étais: ne l’étais-tu pas aussi? Nous les marierions, et nous serions tous heureux. Adieu, ma fille. Je t’ai bien écrit des choses auxquelles je ne songeais pas en commençant; mais la lettre est faite, et elle partira.
Lettre 12. Réponses d’Ursule, aux deux lettres précédentes.
[Elle raconte son arrivée, et comme la corruption règne dans les grandes villes.].
10 août.
Madame et très chère amie,
Votre lettre m’a fait le plaisir que vous imaginez, d’avoir de vos précieuses nouvelles: quant aux choses tristes, je les savais déjà, par la lettre de ma belle-sœur que je joins à celle-ci, et que je vous supplie de me rapporter; car elle m’est chère, à cause de la part d’où elle vient. Je n’espère pas de réponse, mais votre vue, qui est pour moi le plus grand des biens.
Nous sommes arrivés très heureusement. Paris, vu de la Seine, fait un spectacle imposant et majestueux: mais le dedans a ses désagréments, comme vous allez voir, et comme sans doute vous le savez. Nous sommes arrivées de grand jour au port Saint-Paul: je suis descendue la première, plus hardiment que je n’aurais cru. La bonne dame Canon a eu peur, en me voyant aller si résolument, et elle s’est écriée: «Prenez garde, Ursule!…» Ce qui m’a fait frissonner, je ne sais pourquoi. Mes genoux ont tremblé, quand mes pieds ont touché la terre, comme si celle de Paris me devait porter malheur. Mais c’était de joie: car ce pays me plaît beaucoup, et je suis très satisfaite de la capitale; il ne me manque que la présence d’une amie adorée, pour y être heureuse. Mais il faut que je vous dise un mot des désagréments dont j’ai parlé. D’abord la chère dame Canon en est quelquefois de bien mauvaise humeur! Elle nous fait souffrir de toutes les sottises qu’on nous dit, ou des compliments qu’on nous fait dans les rues. L’un de ces jours, un homme nous suivait le soir, et nous disait je ne sais combien de choses où je n’ai rien compris: nous doublions le pas ma charmante petite sœur et moi (je l’appelle ainsi depuis votre chère lettre, mais comme par amitié, sans lui en dire le vrai sujet), pour ne pas entendre les sots propos: Mme Canon nous a rappelées, et nous a grondées de ce que nous allions trop loin devant elle; nous avons marché doucement, et le vilain homme a été à son aise: Mme Canon, qui bouillait, et qui n’osait rien dire, parce qu’elle avait peur, nous a encore grondées de ce que nous allions doucement. Nous avons été vite; l’homme s’est mis entre elle et nous: elle nous a encore rappelées, suffoquée de colère, et elle l’a menacé de le faire arrêter: il lui a ri au nez; effectivement elle avait un air si comique, que Fanchette a éclaté; je me pinçais, moi, pour m’empêcher de rire, et surtout je regardais le vilain homme, qui s’est avisé de venir à moi: il m’a mise en colère, au point que je lui préparais un bon soufflet, lorsque la garde a paru. Il s’est aussitôt glissé entre deux carrosses, et nous ne l’avons plus vu. Après cela, nous en avons eu un autre plus poli, qui nous a fait de jolis compliments, surtout à Mlle Fanchette, qui me disait assez haut: «Est-ce qu’il nous connaît, ma bonne amie?» C’est qu’il disait que nous n’avions pas besoin de parure, et que nous étions adorables en déshabillé; que nous avions de l’esprit, et je ne sais combien d’autres choses. Il a beaucoup ri de ce que me disait Fanchette, à chacun de ses compliments; car Mme Canon, qui donnait le bras à la cuisinière, était à quelques pas de nous, et cet homme-ci ne faisait pas semblant de nous parler. Ce qu’il nous disait était fort singulier, lorsque nous sommes heureusement arrivées à notre porte. Il nous a regardées entrer, et je l’ai encore aperçu du balcon, qui restait en extase de l’autre côté de la rue. Cela est drôle ici! Comme on ne se connaît pas, chacun y dit ce qu’il pense, et on n’est pas retenu comme chez nous et à Au**, par une sorte de respect humain, dans la crainte que ces petits écarts ne soient sus. Il me semble, sans être philosophe, que c’est pourquoi le vice va plus tête levée ici qu’ailleurs; il n’a que le moment présent de la honte à craindre; la chose passée, la rue quittée, on est un être tout neuf, et absolument intact où l’on arrive. Cela est commode pour les malhonnêtes gens, et pour tant de filles perdues qu’il y a ici (dit-on). Vous voyez que je commence à raisonner; c’est l’air de ce pays-ci qui en est cause; et puis, quelquefois de sur notre chaise aux Tuileries, où au Palais-Royal, nous entendons des femmes philosopher, comme elles disent, et cela donne envie de les imiter. Mais je badine, et je ne sais comment cela m’est venu. Je vous attends avec impatience, et je suis avec un respectueux attachement,