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Lettre 93. Laure, à Gaudet.

[On voit qu’elle ne sait pas tous les desseins du corrupteur.].

20 décembre.

C’est fait; ils sont ensemble d’hier: je le tiens de Lagouache; ils ont pris un appartement dans une maison borgne d’une très vilaine rue de la Cité. La cachette est excellente! on n’irait jamais les chercher là: mais j’y pourvoirai. Pars, ou dirige ma conduite. Ton silence me laissera maîtresse d’agir à ma tête; et tu vois d’ici, que je ne tarderai pas à les découvrir à Edmond. Il est furieux. C’est un excès de colère, d’emportement!… Je crains fort pour Lagouache. Le marquis est dans une inquiétude!… Il ne sait que penser de cette démarche. Je lui ai dit que je ne croyais pas que les deux fugitifs fussent ensemble qu’Ursule n’ayant pour but que de forcer ses parents à consentir à son mariage, elle prenait sûrement toutes les précautions possibles, pour n’avoir rien à se reprocher du côté de la conduite. J’ai dit ce que la folle aurait dû faire. Voilà donc comme sont les filles, quand la passion les aveugle, et qu’elles ne peuvent plus se dire: «Jamais un homme ne m’a touchée!» C’est comme moi (car on peut se citer); aurais-je pu me résoudre jamais à écouter les vœux d’un certain homme, tout aimable qu’il est, sans… À propos, cet accident me délivre d’une grande attaque, et l’homme dont je parlais, d’un rival dangereux! Ces jours passés, Edmond m’en contait, mais très vivement, et en vérité il faut être fidèle, comme je la suis, n’ayant, plus rien qui me retienne d’un autre côté, pour être demeurée cruelle!… Je crois qu’un homme prudent ne doit jamais faire un esprit fort de sa femme ou de sa maîtresse, s’il veut qu’elle ne le trompe pas: c’est un avis que je donne à l’homme en question. S’il faut un frein aux hommes, il en faudrait dix aux femmes; je l’ai déjà senti, et Ursule me le prouve.

Lettre 94. Ursule, à Laure.

[La pauvre infortunée s’en étant allée avec Lagouache, elle en est punie par ce fat lui-même, d’après les conseils de Gaudet.].

25 décembre.

On ne m’a remis ton apostille, et ta copie de lettre, qu’à l’instant où je sortais de chez Mme Canon pour n’y plus rentrer. J’ai serré ta lettre, ne pouvant la lire, et je ne l’ai ouverte qu’ici. Je l’ai d’abord regardée comme un jeu de ton esprit, et je n’y ai pas fait grande attention. C’était à tort: quelques jours passés avec Lagouache, m’ont fait voir que tu m’écrivais ce que tu penses, et par malheur, la vérité. Mon dessein est de mettre fin à l’inquiétude cruelle où je sais qu’est mon frère; tâche de le prévenir, et de l’engager à me recevoir avec douceur: c’est tout ce que je lui demande. Mais ne lui montre pas cette lettre; je l’exige absolument de ton amitié.

Samedi (19), je partis comme tu le sais vers les onze heures, à l’instant où je savais que Mme Canon et Fanchette devaient être au lit. Je m’en assurai cependant, et je vis la chambre de la bonne dame sans lumière. Pour Fanchette, elle dormait, et je la baisai sans l’éveiller. Je descendis en tâtonnant, et je toussai, quand je fus à la porte de la rue. M. Lagouache m’attendait en fiacre, à vingt pas, avec Marie, la nourrice de mon fils, qu’on m’avait rendue à la prétendus mort de l’enfant, et que j’ai retenue pour me servir. Il était fort maussade. Je l’avais fait geler, disait-il, pendant une heure. Ses plaintes étaient si grossières, son action, en m’aidant à monter, me parut si brutale, que j’étais presque tentée de rentrer. Eh! plût à Dieu! Je ne sais quoi m’a retenue. Nous arrivâmes dans notre logement. Le souper était prêt: mais comme j’avais été obligée de me mettre à table avec Mme Canon, et Mlle Fanchette, je ne pus manger. Il voulait m’y forcer, et me fit cent contes, tous plus sots les uns que les autres. Il alla jusqu’à me dire en ricanant, que c’était… l’envie d’être au lit. Ce mot me fit lui lancer un regard… qui l’interdit. Il se mit à ricaner encore, en me demandant si l’on ne pouvait pas badiner avec sa petite femme? je me calmai, bien résolue de me venger de ses propos. Je quittai la table avant lui, et m’enfermai dans ma chambre. Il eût l’indécence de rester jusqu’à trois heures, à me prier, à me presser, je crois même qu’il lui échappa quelques menaces. Je tins bon. Le lendemain monsieur me bouda. Je le laissai faire. Le soir, je m’enfermai comme la veille. Il jura très fort, s’emporta, et me cria qu’il allait mettre la porte en dedans. Il y frappa en effet, avec une espèce de gros marteau, si longtemps, et si fort, que les voisins sont accourus. Il leur a dit que sa femme ne voulait pas le recevoir auprès d’elle depuis plusieurs jours, et qu’il voulait enfoncer la porte, non pour la maltraiter, mais pour la caresser. Voyant qu’il y avait là du monde, et tous des inconnus, je suis sortie. Il est veau m’embrasser: tout le monde s’est mis à rire, et s’est retiré en riant; on nous a souhaité le bonsoir, en nous disant qu’un aussi beau couple que nous le faisions, ne devait pas avoir de différend. Il s’est donc trouvé dans ma chambre malgré moi. Je lui ai signifié que je voulais être seule. Alors M. Lagouache a changé de ton, et m’a signifié à son tour qu’il prétendait rester, que j’étais à lui, que je m’étais donnée, et qu’il n’y avait rien de si beau que le don. En même temps il est venu pour se familiariser au dernier point: car il a voulu mettre une main sur ma gorge. Je lui ai appliqué un soufflet. Il a porté sa main sur sa joue, en lâchant ce mot grossier, dont les ss sifflantes écorchent les oreilles d’une femme honnête. Il s’est tenu tranquille un moment. Mais à l’instant où je ne m’y attendais pas, il s’est jeté sur moi. Je me suis défendue de toutes mes forces, et j’ai appelé ma domestique à mon secours. Il lui a déclaré que si elle approchait, il lui… du pied dans le… Ces brutales expressions ont achevé de me mettre en fureur: je ne l’ai plus ménagé. Il a été obligé de me laisser. Je lui ai ordonné de sortir. «Ordonne! – Oui, je vous ordonne dé sortir de ma chambre. – Non pardieu! que je ne t’aie eue à mon plaisir. – Vous! jamais. – Ah! si, mignonne, si; tu mettras de l’eau dans ton vin: car je te jure que je ne quitte pas d’ici que ça ne soit. – Tu sortiras, à l’instant, lui ai-je dit… Marie, allez chercher mon frère, rue…, et dites-lui de venir sur-le-champ à mon secours. – Si tu sors, Marie (a-t-il dit en la retenant par la jupe) je t’écrase. – Allez, obéissez-moi; je suis votre maîtresse. – Et moi ton maître… – Ma chère Marie, partez, je vous en prie! je reconnaîtrai ce service. – Et moi aussi: car si tu bouges, au premier pas, un de ces chenets t’arrêtera court, en te fendant la cervelle. – Sortez de ma chambre, monsieur! – Je suis chez moi, en étant chez vous, et j’y resterai. – Mais vous n’êtes pas encore mon mari. – Si je ne suis pas chez ma femme, je suis chez ma… (le plus vilain mot est sorti de sa bouche), et mes droits sont les mêmes.» Je me suis mise à pleurer. Il est resté tranquille, étendu dans un fauteuil, feignant de s’endormir. J’étais au désespoir. J’ai été auprès de Marie, et je lui ai parlé fort bas, pour l’engager à se réunir à moi. «Ô madame! il me tuerait: il a des yeux qui m’ont fait peur! Oh! le vilain ogre! si vous n’êtes pas sa femme encore, ne la devenez jamais, je vous en prie! – Il faut absolument ma chère Marie, que tu m’aides à le mettre hors de ma chambre; tu n’en seras pas fâchée; je te garderai avec moi.» Et je l’ai embrassée, pour l’y engager. Nous sommes venues tout doucement derrière l’ogre (comme l’appelait Marie), nous nous sommes jetées sur lui ensemble et quoiqu’il ne dormît pas, nous l’avons si bien contenu, que nous l’avons mis dehors. Nous avons fermé la porte sur nous, et nous nous sommes mises au lit ensemble, malgré le vacarme qu’il a fait à la porte, le reste de la nuit. Au jour, il s’est couché. Et comme ma chambre a une sortie sur l’escalier, nous avons fait notre déjeuner et nous avons passé la moitié de la journée fort tranquillement. À dîner, Marie lui a été mettre le couvert pour lui seul dans sa chambre. Il a voulu la maltraiter; mais cette fille, que j’avais aguerrie, lui a tenu tête, et lui a déclaré, que s’il osait la frapper, elle lui fendrait le crâne avec une bouteille. Elle l’a contenu par là, et il a été forcé de dîner seul.

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