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J’abrège, parce que, je n’ai pas, comme, toi, le talent de relater: notre réconciliation s’est faite, et je t’avouerai que ton motif m’a si bien gagné le cœur, que je suis à toi pour jamais.

Il s’agissait de rendre Edmond infidèle à deux beautés; la présente, dont il jouissait, et l’absente qu’il désirait. Après avoir passé par différentes mains, je sentis mon goût pour lui se ranimer plus vivement que jamais. L’ami allait revenir; il fallait se dépêcher, quoique ce ne fût pas mon intention de lui en faire mystère (c’est-à-dire de cet article seulement). La marquise fut infidèle; Edmond en fut piqué: il vint s’en plaindre à moi; je le consolai, je le louai; je lui pressais les mains dans les miennes; je les ai douces et potelées; cela fit sensation. Il me prit un baiser, que je rendis. C’était le coup de briquet; le feu prit à l’amorce… Qu’Edmond mérite bien d’être la folie des femmes! En vérité, sa prude cousine n’est pas de mauvais goût, et je crois que la commère ne serait pas fâchée d’avoir encore des pleurs à verser, un viol à souffrir, et une pénitence à faire. J’écrivis ma chute à l’ami, en ces termes:

Foudre éclate! tonnerre tombe, écrase! Terre tremble! Soleil pâlis, recule! Et toi Lune éclipse-toi! que tous les éléments se déchaînent; que la mortalité se mette sur les moutons et sur les poules; que les puces naissent par fourmilières, et désolent les belles; que tout en un mot se bouleverse dans la nature! Laure, la perfide Laure, a… trahi l’orgueil de son amant! Oui, la fidélité, qu’il croit qu’elle lui doit s’est éclipsée totalement, entre minuit et une heure: le premier contact à 1h30 minutes; l’immersion totale à 1h30 minutes 2 secondes. Adieu je vais pleurer… c’est-à-dire, rire aux larmes.

LAURE.

Depuis ce temps-là, je reprends de temps en temps quelqu’un de mes anciens amants, suivant qu’ils sont généreux; car je suis un peu intéressée; c’est mon défaut; j’ai observé que les vices dorés ressemblent comme deux gouttes d’eau aux vertus, et si j’étais médecin des mœurs, une Socrate, par exemple, qu’on m’amenât bien des scélérats à guérir, je dirais, Pour honneur ravi par trahison, bassesse, friponnerie, m-ge, concussion, V. de l’or. Item, pour honneur féminin, chasteté, modestie, perdus, R. de l’or, changeant seulement le V. en – R. [Allusion aux formules de pharmacie: V. versez; R. récipé.].

Adieu.

P.-S. – Je te renvoie la terrible lettre que l’ami t’a écrite contre les spectacles, les acteurs, les actrices, etc.: elle m’a fait bien rire; j’ai eu la pensée de l’adresser au semainier des Français, qui est de ma connaissance pour le prier de la faire imprimer, et d’en donner copie à ses camarades mâles et femelles. Quant à mon sentiment, je pense que l’auteur de la lettre doit se rétracter. Je te charge de l’exiger. Que savons-nous, hélas! ce que nous serons un jour? Il doit aussi des excuses à quelques auteurs… mais cet article, à son aise.

Lettre 114. Ursule, à Gaudet.

[Elle lui expose son art pour le libertinage. Hélas! l’infortunée le paiera cher!].

30 juin.

Me voilà presque brouillée avec le marquis, et davantage encore avec Edmond. Ce dernier est, je crois, jaloux, mais beaucoup plus que le marquis lui-même. J’étais si heureuse! jamais vie ne réunit tant de plaisirs que la mienne, pendant environ un mois, le temps de votre voyage compris! mais à présent, ce ne sont que des plaintes, des soupirs, des brouilles. On me reproche surtout mes complaisances pour vous: c’est mon plus grand crime aux yeux d’Edmond. Il me dit hier soir des choses très dures, et appela ma maison par un très vilain mot. Cela me surprit, et les larmes m’en vinrent aux yeux. Il eut regret de sa brutalité; il m’en demanda pardon, et me promit de se contenir, pourvu que je bannisse tous mes amants. J’ai promis; mais bien résolue de ne pas tenir…

Où en serais-je, avec la dépense que je fais! Voilà plus de cinquante mille écus que je dépense, depuis un an, et le marquis n’a guère fourni que quatre-vingt mille livres: encore commence-t-il à se plaindre. C’est que sa femme, de son côté, fait aussi une forte dépense: surtout depuis quelque temps, que nous nous sommes écrit. Il est inconcevable (c’est une réflexion que je faisais ce matin) combien une femme entretenue coûte! c’est quelque chose d’effrayant! Si elle veut plaire, exciter des désirs dans tous ceux qui l’approchent, il faut qu’elle se diversifie, au point de ne jamais se ressembler: pour être toujours appétissante, il faut du neuf tous les jours; il lui est, impossible de mettre deux fois les mêmes choses, la plupart trop fragiles, à moi, par exemple, les gazes, les chaussures ne me servent qu’une fois: Marie et Trémoussée s’emparent de ma dépouille chaque soir. Je sais bien que les autres femmes entretenues n’en agissent pas avec autant de prodigalité; mais qu’est-ce que cela, en comparaison de moi? J’en ai vu que je n’aurais pas voulu toucher avec des pincettes: des souliers dont le talon était crotté; des bas de trois jours au moins; des bonnets presque salis; une chemise de deux jours. J’en prends deux ou trois dans la belle saison, et une seulement en hiver, par paresse. J’ai déjà fait remonter dix fois mes diamants; chaque mouchoir ne me sert qu’une fois. Aussi tous les, hommes m’adorent; ils ne trouvent rien en moi qui ne soit la propreté même: car si je suis si attentive, pour ce qui me touche, et n’est pas moi, vous devez croire que je la suis davantage encore pour ce qui est moi-même.

Quant à mes meubles, on les croirait vivants, et ils ont leur coquetterie: c’est un talent dans lequel je me suis perfectionnée depuis votre, absence. Outre leur somptuosité, ils ont la volupté pour âme; car j’ai voulu qu’ils en eussent une. Mes sofas sont d’une façon particulière: mes chaises pliantes, mes ottomanes, mes bergères, etc., me reçoivent dans leurs bras, et paraissent plutôt des êtres actifs qui m’étreignent, que des meubles passifs qui me portent. Tout cela coûte des sommes immenses. J’ai des tableaux: ce ne sont pas des chefs-d’œuvre, à l’exception de ceux de mon frère, qui ont beaucoup de mérite; mais ils peignent la passion que je veux exciter, dans toutes les attitudes, graduées avec art par moi-même; et chacun est en opposition avec une glace. qui le reflète: ils sont placés de manière qu’il y en a toujours un de vu, des trois qui accompagnent chez moi chaque trône du plaisir. Celui des préludes est libre et tendre, celui qu’on voit dans l’ivresse, est licencieux: et celui qu’on ne voit qu’ensuite, exprime la reconnaissance; il est suivant les preuves que j’en attends, et il les indique. C’est moi dans le premier et le troisième tableau; c’est une autre dans celui du milieu, parce que l’émotion, même celle du plaisir, quand elle est aussi fortement exprimée que je l’ai fait rendre, contracté les muscles, et enlaidit toujours un peu. Vous demanderez comment on voit ces trois différents tableaux, sans doute placés dans le même cadre? C’est encore ici une de mes inventions – il y a un petit bouton d’ivoire au parquet, à la portée de mon pied; ce bouton a un fil d’archal qui passe par-dessous le bois, et qui va faire glisser la toile de chaque tableau, dès que je l’ai poussé. Ce mécanisme est très prompt, et ne fait aucun bruit. J’ai joui quelquefois de l’étonnement de mes adorateurs. Il en est qui croient s’être trompés, et qui pensent avoir vu le premier et le second tableau dans une autre pièce. Un a voulu voir s’il n’avait pas été déplacé par quelqu’un: il a tout visité, et ayant trouvé un mur solide, il n’a su qu’imaginer. Il y a cent ans, que je lui aurais persuadé que j’étais une fée, ou une magicienne: mais aujourd’hui, il n’y a plus moyen; il faut rester femme, sauf à se rendre la plus séduisante que l’on peut: cependant il y aurait beau jeu! car on ne trouve pas même le fil d’archal du ressort; c’est qu’au troisième, il quitte le tableau, et je remonte la machine à chaque fois. Les ressorts de mes sofas ont encore plus de perfection.

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