Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

J’ai fait peindre quelques-unes de vos estampes, et j’espère qu’à votre dernier voyage, vous me fournirez de nouveaux sujets d’après nous… J’oubliais de vous dire que la vertu même ne pourrait être sage sur mes meubles.: j’aurais fort envie d’y voir la belle Parangon, Edmond à ses genoux: parbleu! c’est un plaisir que je voudrais me donner! Ce qui me fait penser à cette folie, c’est que Fanchette est venue me voir un de ces jours, mais bien accompagnée; on me regarde comme une femme dangereuse. Je l’ai fait asseoir, exprès, sur le plus animé de mes sofas. Elle s’est aussitôt relevée avec une sorte de frayeur. J’en ai beaucoup ri. Cependant l’innocente ne s’y connaît pas si c’eût été sa pudique sœur, j’aurais pu donner à sa frayeur un motif plus éclairé.

J’ai bien des amants! je les rends tous assez contents de moi: mais c’est un travail!… N’allez pas rire! c’est un travail d’esprit, que je veux dire. Il me faut une adresse infinie pour concilier les rendez-vous, renvoyer les traîneurs, distribuer à tous ces gens-là, quand ils sont rassemblés, des attentions qui ne me commettent pas, de sorte que ce que je fais à chacun soit précisément dans ses idées, la marque distinctive de la préférence. Il faut préparer tout cela dans le tête-à-tête, sans avoir l’air d’en convenir avec eux. Cette étude m’occupe beaucoup! et souvent, tandis qu’on me croit livrée au sommeil, je réfléchis aussi profondément qu’un ministre d’État. L’étude de ma toilette succède: vous savez quels détails elle exige! quelle imagination il me faut chaque jour: car s’en rapporter aux ouvrières, ce sont des brutes, même à Paris. Rien de si galant, dans son origine, que la robe à la française: c’était un corsage élégamment fait, dont une étoffe en plis gracieux recouvrait le dos, plutôt pour masquer les épaules, ou leur rondeur, que pour ensevelir la taille: voyez où les maudites ouvrières l’ont amenée? c’est à présent l’habillement le plus maussade; il donne aux femmes, même aux plus sveltes, l’air de ruches à miel ambulantes. Mon goût, à moi, prescrit tout, imagine tout; je fais défaire, refaire, je déchire, je coupe, je jette au feu tout ce qui me déplaît, et je le fais recommencer: j’ai dix ouvrières, car je manquerais à tout moment d’habits. Chacune de mes robes est faite de manière, qu’à les voir, fût-ce à la friperie, ceux qui me connaissent m’y retrouveraient: c’est un compliment que me fit l’autre jour l’ambassadeur de***. Ma chaussure ne m’exerce pas moins que mes robes: c’est la partie de la parure où l’âme d’une femme se montre davantage; moins cet article tient à nous, plus il semble vil et bas, et plus il doit être soigné; mes chaussures non seulement ont de la grâce, mais une grâce unique, qui n’est qu’à moi; ni Laure, ni la marquise, ni… J’allais dire la Parangon, mais celle-là, sans avoir les grâces comme moi, elle les a d’une autre manière, que je préférerais, si j’étais elle sa beauté majestueuse est d’un autre genre que la mienne, et son goût est exquis pour son genre de beauté; mon frère, qui n’est pas un automate en amour, l’a bien senti! il me disait un jour: «Je connais deux personnes qui sont absolument espagnoles pour les pieds, et qui devraient, comme les belles ibériennes, ne les montrer, que pour annoncer la dernière faveur: car il est impossible de les voir, sans éprouver les plus violents désirs.» Je lui demandai qui? Il me regarda: «Vous êtes la seconde pour moi.» Il me dit ensuite, qu’en voyant ma chaussure et celle de Mme Parangon, on ne pouvait s’empêcher de sentir que cela devait appartenir à une jolie femme… J’adopte le blanc de préférence; mais j’emploie aussi les autres couleurs, surtout le noir, qui fait quelquefois à merveille; le rose, le vert, mais il veut de la broderie; l’orangé, le bleu céleste, le gris perle, les étoffes d’or et d’argent pour les mules, etc. La façon varie: la plus galante, celle qui fait plus d’impression, est une pointe aiguë, un talon mince et fort haut; mais il faut que la forme soit aisée, qu’elle ne paraisse pas fatigante, et c’est à quoi je veille ce qui m’a donné le goût des talons élevés, auxquels je me suis si bien habituée, qu’ils ne me gênent pas, est d’abord la grâce que j’ai vu qu’ils donnaient à la belle Parangon, ensuite, un mot de mon frère, qui causait avec le marquis: «J’aime singulièrement les talons minces élevés pour les femmes: parce que ce genre de chaussure est plus éloigné du nôtre, et par conséquent a le sexe opposé; cela donne en outre aux femmes une marche moins facile, plus molle, plus voluptueuse; une marche qui semble nous demander notre appui.» Je goûtai beaucoup cela, et j’en fais mon profit. Enfin, malgré la mode des talons bas, je vis un jour au Palais-Royal une jolie femme en talons hauts et minces, dont je fis la comparaison avec une autre jolie femme à talons bas; la première avait l’air d’une déesse, la seconde, d’une petite caillette. Le talon court d’ailleurs, grossit la jambe d’une femme, et lui ôte toute la grâce du bas: je trouve que celles qui adoptent cette mode, entendent bien mal leurs intérêts! Cependant, je porte quelquefois des chaussures basses: mais alors le devant est fait de manière qu’on les croirait élevées, et les talons en sont toujours très minces. Mes bas sont du plus beau blanc, souvent à coins d’argent, surtout lorsque le costume que je dois prendre exige une jupe courte. Rien n’est à négliger. Mais mon chef-d’œuvre de goût, d’élégance, de coquetterie c’est la coiffure: les pieds et la tête sont le plus important de la parure; le proverbe qui le dit, en est trivial; c’est par ma coiffure, que je me donne tous les jours une physionomie nouvelle, et du caractère que je la veux, tantôt en cheveux, tantôt en bonnet; mais surtout par mes bonnets. J’en change plusieurs fois le jour, si j’en ai le temps, suivant les personnes que j’ai à recevoir, et je deviens tour à tour agaçante, ou modeste, ou coquette, ou prude, ou folle, ou bacchante, ou naïve, ou effrontée, ou honteuse ma coiffure me donne l’âme que je veux, et en y joignant l’expression des yeux, je tromperais… Gaudet lui-même. Mes amants me possèdent sous tous ces caractères: il en est qui me reconnaissent difficilement, et qui me regardent à deux fois. Ce n’est pas tout, mes détails avec eux sont proportionnés au costume que j’ai choisi; et je prends ce costume, ou d’après la façon dont je me trouve montée; ou d’après la connaissance de ce qui plaît davantage à l’amant que je veux favoriser; ou d’après l’idée que je veux lui donner de moi; ou enfin d’après le genre de plaisir que je veux lui procurer. La coiffure en bacchante annonce une Cléopâtre; celle en folle, une badine, qui leurre et couronne, tour à tour; celle en naïve, une vierge, qui se défend avec maladresse; celle en effrontée, que je veux prévenir, et faire un Encolpe de mon amant; celle en honteuse, que je veux me défendre, par ces finissez donc charmants de la jolie G**; celle en prude, que je veux ressembler à la Parangon, et qu’il faut employer la violence; celle en coquette, que je veux jouir à la M ***, et me servir du secours de mes meubles. Chacun voit ainsi, en m’abordant, le sort qui l’attend dans mon boudoir: et comme chacune de ces choses a ses détails agréables, je ne me suis pas encore aperçue que personne ait été mécontent du sort que je lui préparais.

Voilà ma philosophie, à moi, l’ami, et non pas les billevesées d’astronomie ou de physique dont vous remplissez la tête de mon frère, et que la Parangon paraît posséder tout aussi bien que vous. Ce n’est pas que je ne raisonne quelquefois: je me suis fait des principes, dont je vous entretiendrai peut-être quelque jour.

On me flatte que j’aurai un amant de la première distinction: c’est mon maître de danse qui se mêle de cela. Il m’a prévenue que cette affaire ne me gênerait pas; que suivant toutes les apparences, j’en serai quitte pour une nuit ou deux; attendu qu’il n’est guère possible que ce personnage m’ait en titre: vu que cela m’exposerait; je ne passerai que pour une simple fantaisie du moment, et je n’aurai absolument rien à redouter. C’est précisément ce que je demande: je hais l’esclavage, et je ne suis pas encore blasée. J’espère que je ferai là un bon coup de filet; je travaille aux préparatifs; ma parure sera unique en son genre: il n’y entre que de la gaze brillantée la plus claire, tout en est, jupes, robe; la chemise sera de mousseline transparente. Je garderai cette parure pour vous la montrer. Adieu, l’ami; c’est assez causé, je crois car cette lettre est un vrai babillage de femme.

82
{"b":"100939","o":1}