R. La Baron; voilà ma recette: à tous tes beaux sentiments pour tes belles ignorantes, tes respects pour tes Parangones, etc., je dirai toujours, Recipe la Baron; et en cas de pis R. Gaudet.
À propos, j’ai trouvé le secret d’enchanter Alecto-Canon, pour la faire aller avec Ursule et les deux autres Grâces aux Italiens, où l’on donnait l’Île des Fous, pièce où il y a du caractère. La semaine d’auparavant, je les avais attirées aux Français, persuadé qu’un sermon du R.-F. Lachaussée, intitulé la Gouvernante, apprivoiserait avec le théâtre Alecto-Canon. C’est un point important que ta sœur voie nos spectacles! Ils la rendront moins bégueule.
Adieu mon cher Edmond. J’ai le scalpel en main; je vais tailler, couper, trancher jusqu’au vif: ma divinité l’ordonne, et je ne lui désobéis jamais. Tout à toi.
Lettre 24. Ursule, à Fanchon.
[La voici qui montre de l’ambition.].
25 juin.
Il y aurait tant de nouvelles à t’apprendre, ma bonne amie sœur, que si je voulais dire tout ce qui regarde les autres, à peine trouverais-je la place de mettre un mot de ce qui me concerne en particulier. J’ai écrit à Edmond, pour lui annoncer le retour de Mme Parangon. Je présume que vous avez vu cette lettre, et je ne la copierai pas; Mlle Fanchette s’y joint à moi; c’est une finesse de ma part, car je me doutais déjà de ce qui n’est plus un mystère: Edmond songeait sérieusement à Edmée. Convenons que ce cher frère est encore bonace, au moins dans ses inclinations amoureuses: je me sens, moi, plus ambitieuse, et plus capable de sacrifier mes goûts à la fortune… peut-être parce qu’ils ne sont pas encore bien vifs.
Ma charmante amie est partie enfin; oh! je l’adore celle-là, sans politique, tout comme je t’aime, ma chère Fanchon. Mon frère m’a écrit son heureuse arrivée: cette lettre-là est charmante, et je vais te la mettre ici tout au long; tu verras par là mille choses que je répéterais mal…
Il faut avouer que Mme Parangon est passionnément aimée de mon frère; et je ne saurais leur faire un crime de leur mutuel attachement; il est si bien réglé, dans son excès même, que l’exemple ne peut que m’en être avantageux. Voilà donc tout le monde encore une fois content! je le suis en mon particulier, au-delà de toute expression, de l’heureuse idée qui est venue à Edmond, de procurer à deux de nos frères de meilleurs partis qu’ils n’auraient pu en trouver dans le pays; car tous n’auraient pas eu le même bonheur que ton mari, ma chère Fanchon. Peut-être cependant cette alliance pourrait-elle porter quelque ombrage au conseiller; mais je m’en inquiète peu, et je voudrais qu’il en prît de l’humeur, je lui ferais voir que je ne suis pas au dépourvu. Car, ma très chère sœur, j’éprouve une grande perplexité! Ce M. le marquis continue à me faire sa cour; et je ne saurais m’empêcher de reconnaître, que pour un homme de sa sorte, il se comporte envers moi, d’une manière bien respectueuse! C’est de lui qu’est l’offre obligeante dont il est question à la fin de la lettre de mon frère que je t’envoie. Il s’est très bien comporté en cette occasion. J’étais d’abord toute honteuse de ce qu’il en était témoin: mais ensuite, j’en ai été charmée, il aura vu par là, qu’il n’est pas le seul de son avis.
Nous avons vu M. Gaudet: il m’a dit à la dérobée beaucoup de choses gracieuses, et il paraît que c’est lui qui se fait appeler le chevalier Gaudet d’Arras. Il est fort bien sous ce déguisement, qui ne paraît pas extraordinaire ici, où l’on sait qu’il s’est fait séculariser. Il faut en excepter Mme Canon qui a fulminé. Il m’a exhortée à songer à la fortune: «Elle ne se présente à vous, mademoiselle, que de la manière qui convient à une jeune personne aussi vertueuse qu’elle est belle; j’en sais quelque chose, et je m’intéresse même pour un de vos prétendants: mais de tous les partis, je n’épouse que le vôtre; préférez le plus avantageux, sans égard à la recommandation.» Voilà ses propres paroles. Il est instruit de la recherche du conseiller; il m’en a parlé à mots couverts; et moi, je lui ai glissé deux mots au sujet du marquis. Il a rougi de joie; car elle éclatait dans tous ses mouvements. «Cela est très possible, mademoiselle!… et non seulement ce que vous me dites, que je crois fermement; mais un mariage solennel; vous êtes assez belle pour cela: soit dit sans vous flatter. Ceci me rend plus ferme encore pour un projet que j’ai formé; votre frère ne contractera pas un mariage, dont il aurait à se repentir un jour.» Il paraît qu’il a beaucoup contribué à dissuader Edmond d’épouser Edmée, ou que même il aura pris d’autres moyens, dont vous serez peut-être plutôt instruits que moi.
De mes adorateurs, un seul mot: je les ai toujours.
Nous avons encore été au spectacle; mais c’est aux Italiens, à une pièce qui a fait rire Mme Canon. Une autre, qui a suivi, où Arlequin est sauvage, l’a fait pleurer. C’est toujours Laure qui nous mène. Elle plaît ici: mais il n’y a que Mme Parangon et moi qui la connaissions.
Adieu, chère amie sœur.
Lettre 25. Fanchon, à Ursule.
[Ma pauvre femme la loue, de ce qu’il ne fallait pas la louer; et lui fait les récits très bien détaillés de ce qui se passe à la maison paternelle.].
20 août.
Votre dernière lettre, très chère sœur, m’a fait un plaisir d’autant plus grand que j’y ai vu que vous êtes plus solide dans vos goûts que notre frère Edmond lui-même; la ville ne vous a pas rendue bagatellière, comme tant d’autres, même d’ici, que j’ai vues à leur arrivée faire les légères, et ne vouloir parler que de bagatelles. C’est ce qui me donne de vous une haute espérance, chère Ursule; comptant que vous vous tirerez à votre avantage, et au grand plaisir de nos chers parents, de toutes les passes où vous vous trouvez à c’t’heure. Par ainsi, je n’ai plus à votre sujet aucune inquiétude, vous recommandant au surplus chaque jour au Seigneur dans mes prières, et le suppliant de vous conduire, comme sa bonté l’a déjà fait jusqu’à ce jour. Quant à ce qui est d’ici, je n’ai que des nouvelles heureuses à vous annoncer. Et je vais mettre les choses par ordre, en commençant par le commencement, à celle fin que vous en voyiez mieux la suite.
D’abord, dès qu’Edmond eut marqué qu’il avait changé d’idée, au sujet de Mlle Edmée, on en fut chez nous très aise; attendu qu’on y aime bien Mlle Fanchette, et qu’on aurait bien regretté que cette alliance manquât, à cause de tous ses avantages, tant pour Edmond, que pour vous, chère sœur; on disait qu’il vous serait bien plus agréable d’avoir obligation à la sœur de la femme de votre frère, qu’à une étrangère. Cependant on aimait bien aussi Mlle Edmée, à cause du portrait qu’Edmond en avait fait. Mais il marqua dans la lettre qu’il écrivit à son frère, qu’il la voulait céder, cette gentille Edmée, à un autre lui-même, qui était Bertrand; et que Georget aurait aussi un bon parti dans la sœur d’Edmée, et que ça ferait une jolie union de famille, ce qui fit que notre bonne mère pleura de joie, en disant: «Je vous l’avais toujours bien dit, mes enfants, qu’en envoyant Edmond à la ville, c’était votre avantage à tous; et bénissez-le: car c’est un bon frère, qui vous aime comme lui-même.» Et notre bon père était tout attendri, tenant la lettre, et s’arrêtant avec complaisance, quand notre mère parlait, lui qui n’en fait pas toujours autant. Et puis quand Edmond marquait comme il comptait de s’y prendre, notre père a dit à son aîné: «Mon ami, ton frère a de l’esprit, et je vois qu’il commence à bien connaître le monde, et je suis bien content de ses sentiments et de son cœur, et surtout de ce qu’il marque qu’il ne veut plus revoir cette jolie fille qu’avec son frère Bertrand.» Nos deux frères reçurent ensuite les avis de notre père, sur la manière dont ils devaient se comporter, et il leur enjoignit surtout de se conformer en tout à ce que leur dirait Edmond: «Car il est votre aîné à vous deux.» Ils allèrent donc à Au** les fêtes de la Pentecôte , et ils furent très bien reçus d’Edmond, dans son logement, qui est celui de Mme Palestine. Et après qu’ils se furent un peu reposés, et qu’Edmond les eut fait bien friser, surtout Bertrand, tout comme lui, pour lui donner encore plus de son air, il leur fit à chacun présent d’un habit, qu’il leur avait tenu prêt, pour les mener à l’église Saint-Germain, à l’heure qu’il savait qu’Edmée et sa sœur devaient s’en revenir de la grand-messe de Saint-Loup, leur paroisse. Et voilà, qu’au bout d’une demi-heure, Catherine a paru, allant un peu devant sa sœur. «Bertrand? a dit Edmond, si c’était là Edmée?» Bertrand l’a regardée, et n’a rien répondu. «Comment la trouves-tu? – Mais assez jolie. – Mon frère, a dit Georget, Catherine est-elle comme ça? – Oui, précisément. – Oh! tant mieux! – Car c’est elle, a redit Edmond.» Et Bertrand a paru bien aise. Voilà qu’un moment après, Edmée a passé. «Que dis-tu de cette jeune fille-là, Bertrand? – Ah! seigneur! qu’elle est gente! Oh! pour celle-là, je voudrais qu’elle fût Edmée! – C’est aussi elle, a dit Edmond. – Ah! mon frère!…» Et il l’a embrassé. «Allons chez elles, a repris Edmond: car Catherine est prévenue, et pendant que je parlerai au père, vous ferez connaissance avec les filles.» Et ils y sont allés, suivant les deux sœurs d’un peu loin: mais Catherine, qui avait le mot, s’est retournée, et les a vus. Elle a fait un petit signe à Edmond, qui s’est caché derrière Georget, et Catherine a dit à sa sœur, lui montrant Bertrand: «Voilà un petit jeune homme qui vient de notre côté, qui te regarde bien. Il ressemble à M. Edmond; si ç’allait être son frère?» Et Edmée s’est retournée avec une petite mine très agréable, pour regarder Bertrand, qui était déjà tout auprès d’elle, et qui n’a pu se tenir de la saluer. Elle l’a salué aussi, avec une jolie rougeur; et Catherine lui a parlé, lui disant: je crois voir là-bas M. Edmond; ne seriez-vous pas monsieur son frère? – Il est bien vrai, mademoiselle, a répondu Bertrand, et que le voici qui vient avec mon frère Georget.» Et aussitôt Edmond s’est avancé le premier, disant à Catherine: «Votre père est-il de retour, mademoiselle Catherine? – Non, pas encore. – Nous allons donc tous entrer, si vous le voulez permettre, et nous causerons en l’attendant.» Et ils sont entrés tous les trois. Georget s’est assis vers Catherine, qui s’est mise à rire, et qui s’est aussitôt levée, pour aller à la cave, pendant qu’Edmée faisait les politesses à nos frères. «Voici une de mes plus heureuses journées, si ma démarche vous est agréable, mademoiselle, lui a dit Edmond. – Vous pouvez en être sûr, monsieur: l’honneur que monsieur votre frère fait à ma sœur me touche autant que s’il était fait à moi-même. Je crois que voilà M. Georget? (Le montrant.) – Oui, mademoiselle, a-t-il répondu. – Ainsi, voilà M. Bertrand? – C’est moi-même, mademoiselle, à vous servir. – Je vous ai reconnu presque tout de suite, à votre grande ressemblance avec M. votre frère Edmond. – C’est la chose la plus heureuse pour moi que cette ressemblance, mademoiselle.» Catherine est remontée et a servi le vin. Le père est entré, avant que nos frères y eussent goûté: Edmond a été à sa rencontre, et il lui a présenté ses frères, les nommant par leur nom chacun. Ensuite, il a pris en particulier le vieillard, pour lui proposer Georget, qui a été accepté. Il n’a touché un mot de Bertrand qu’en passant, et par manière d’éloge qu’il a fait de lui. On a dîné là, et après le dîner, le père a mené les trois frères et ses deux filles à une promenade, la plus agréable pour Georget; c’est à une de ses vignes qui est si belle, que jamais nos frères n’en avaient vu de pareille, par son arrangement, sa cultivation, et la récolte qu’elle annonçait. En chemin, Catherine et Georget allaient ensemble, celle-là expliquant tout à celui-ci: c’était là leurs douceurs. Edmond, lui, comme ayant affaire à parler au père, était avec lui; et il fallait bien que Bertrand fût avec Edmée. Il y trouvait bien du contentement, et le chemin lui paraissait court, quoique pourtant ils ne parlaient que de la pluie et du beau temps: mais ça les familiarisait toujours un peu ensemble. Catherine avait seule le secret d’Edmond; quand on a été de retour à la maison, et que les trois frères ont été enretournés chez Edmond, elle n’a fait que dire du bien de Bertrand, le louant au-delà de tout. Edmée disait comme elle; et à la fin, un peu étonnée, elle lui a dit: «Mais ma sœur, est-ce que tu aimerais mieux à présent M. Bertrand que son frère? – Ça n’est pas ça, ma bonne amie! mais c’est que je veux te faire entendre que pour nous autres, ces deux frères-là valent mieux que celui d’ici: voilà tout; Edmond est trop monsieur, et j’aimerais mieux, dix fois, si j’étais à ta place, M. Bertrand que M. Edmond. Vois comme il est doux et modeste! Dame! c’est qu’ça n’a pas de faquinerie! – Je ne crois pas que son frère d’ici en ait! – Je n’dis pas… tout à fait ça; mais pourtant j’crais qu’il en a un tant fait peu! mais ça n’est pas faute; car, dans ç’pays-ci, on d’vient comme les autres, en les fréquentant.».