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La loi des peuples policés contre la luxure ne fut originairement qu’une loi de police, une loi contre la publicité de l’acte; la religion en porta une autre contre son excès. Tout allait bien jusque-là: car la publicité a des inconvénients, tant pour la jeunesse, non encore formée, que pour les personnes de tous les âges. L’excès réprimé par la religion, est toujours condamnable: mais quand ensuite, outrant ces deux lois, ces fous de l’Indoustan sont venus faire une vertu du crime, du célibat; quand ils ont, en véritables enthousiastes, fait regarder l’acte comme un crime, on les aurait fort embarrassés, si on les avait obligés d’en déduire les raisons! Du respect pour cet acte saint, je sens qu’il en faut: c’est pourquoi j’abhorre la prostitution qui l’avilit, le profane; mais j’abhorre presque autant la pruderie et le purisme prétendu, qui refusent absolument. La pudeur, la pudicité, ne sont au fond que des vertus passives, de véritables abstractions, toujours au-dessous des vertus actives; ne les estimons donc que ce qu’elles valent.

Concluons ensemble, belle Ursule, de ces principes que je viens de poser, quelle est la conduite que vous avez à tenir. Ne vous méprisez pas vous-même lorsque vous aurez cédé, en créature raisonnable; au contraire estimez-vous, comme ayant fait une action louable, naturelle, comme ayant dispensé le plus grand des bienfaits: car s’il l’est en lui-même, il le sera beaucoup plus de votre part, à vous, qui êtes si belle, que les délices que vous procurez, doivent être centuples. Donnez-vous des vertus, qui étayent, aux yeux des préjugistes, votre conduite libre de préjugés: on a toujours des, vertus, quand on s’estime soi-même, et qu’on est fondée à se croire estimable. Je ne prétends pas, charmante fille, que vous descendiez au-dessous de votre grade, de perfection du sexe; au contraire, je veux vous y maintenir, en vous écartant de la route tortueuse et pleine d’épines qu’a prise la prude Parangon. Elle est vertueuse sans être heureuse: c’est une duperie. Mon but, à votre égard, c’est que vous soyez vertueuse et heureuse, heureuse par le plaisir, vertueuse en ne faisant que des actions louables en, elles-mêmes, estimables, obligeantes. Acquérez du crédit pour porter votre frère aussi loin que son mérite peut aller,…, et pour obliger tous ceux qui vous approcheront. Déterrez des malheureux pour les secourir… Mais je traiterai ailleurs cette importante matière. Si mon plan réussissait, et qu’à force de connaissances illustres, vous montassiez… Jusqu’à la Cour… (lacune) quel champ vaste! Quelle fortune pour Edmond! Voyez-le… (lacune) Ce doit être là, je crois, le but de tous vos désirs: c’est le terme des miens. Il vous faut, pour cela, belle fille, acquérir le plus qu’il vous sera possible l’usage du grand monde; aussitôt après l’extinction du préjugé, vous aurez d’autres choses à détruire, des qualités à prendre. Quittez votre franchise naturelle, mais gardez-en l’air, qui va si bien à votre genre de beauté, qui la rend si séduisante! Accoutumez-vous à contraindre vos désirs, et si vous en avez à présent de trop vifs, satisfaites-les, pour connaître combien c’est peu de chose que certains caprices quand on peut les suivre jusqu’au bout. Quand il n’y a plus rien à attendre d’une femme, on la trouve dix fois moins belle, parce que l’imagination n’a plus rien à faire: pourquoi n’en serait-il pas autant d’un homme?

En voilà beaucoup, charmante Ursule! Mais j’ai tant de zèle pour votre véritable bonheur, que le vous parle, comme je ne ferais pas encore à votre frère.

Tout à vous.

P.-S. – Un jour, je pourrai bien vous donner du respect. Que n’y suis-je déjà!

Lettre 74. Ursule, à Mme Parangon.

[Derniers bons sentiments d’une pauvre abandonnée; encore la passion en est-elle le motif.].

19 octobre.

Ma très chère amie. La situation où je me trouve enfin parvenue, m’étonne! Mon fils est mort!… Quoi! de toutes ces brillantes espérances que j’avais conçues, il ne me reste plus rien! rien!… Mon frère désolé me reproche le tort que je me suis fait, comme si je le lui avais fait à lui-même: quelque ennuyeux, quelque fatigant qu’il soit sur cet éternel chapitre de ses remontrances, je ne puis m’empêcher d’en aimer le motif… En vérité, je me crois la dupe de quelque menée secrète! Mais quels en sont les auteurs? Qui soupçonner, à moins que ce ne soient mes meilleurs amis, dont les vues ont toujours été si pures?… Il est des instants où je suis tentée de renoncer à toute ambition, et de me jeter dans les bras d’un époux, qui me doive la fortune que je puis lui faire: tranquille, sinon heureuse, dans la médiocrité, je partagerais mes instants entre mon mari, mon frère, et vous. Mais je crains Edmond! Il ne veut pas entendre parler de médiocrité pour moi. Cependant, qu’ai-je à espérer, après la mort de mon fils?… Vous avez vu ma douleur: elle n’avait d’abord qu’un objet, ce cher enfant, mais depuis, combien d’autres s’y sont joints, sans que celui-là soit affaibli!…

Je n’ai plus ici que Laure, à qui je puisse parler de ce qui m’afflige, encore suis-je obligée de lui déguiser la plupart de mes sentiments: la façon de penser de cette parente me paraît absolument différente de la mienne. Je dissimule, et souvent le parais approuver des choses que je suis très fâchée qui soient arrivées. Je n’ai de véritable conseil à prendre que de vous; ceux de mon frère sont impossibles à suivre à présent.

Votre aimable Fanchette commence à s’ennuyer fort de votre absence: elle est ici la seule personne dont la compagnie me plaise toujours. Edmond nous donne tous ses moments de liberté: mais s’il faut vous parler vrai, je vois plus de complaisance et d’amitié que d’amour, dans les soins qu’il rend à la charmante Fanchette. Je lui en ai touché un mot l’autre jour. Il ne m’a d’abord répondu que par un soupir. Ensuite, il m’a dit à l’oreille, quoique nous fussions seuls: «Mes inclinations sont engagées ailleurs.» Je l’ai regardé avec étonnement! Un instant après, je lui ai dit: «Vous qui prétendez que dans tous mes désirs, dans tous mes goûts, je ne dois avoir que la raison pour guide, il me semble que vous ne feriez pas mal de garder le conseil pour vous. – Oh! moi! c’est autre chose, ma sœur! j’éprouve un sentiment invétéré, profond; dès que je l’ai eu parfaitement connu, je me suis dit à moi-même: «Voilà un amour qui sera le destin de ma vie.» Il l’a fait et le fera. Gaudet s’agitera, se tourmentera, intriguera; un regard de cette femme détruira son ouvrage, s’il est contraire à ce que ce regard m’ordonnera. Je puis lui tout sacrifier, hors mon amour. Voilà mon dernier mot. Quant à Mlle Fanchette, de toutes les jeunes personnes qui sont au monde, et à marier, elle est celle que je préférerais: c’est encore là une vérité, aussi certaine, que le Soleil est père du jour.»Mais que n’épousez-vous cette personne, qui vous est si chère? – Elle est engagée. – Et vous l’aimez… Je veux dire, et vous refusez un établissement, qui la satisferait peut-être? – Non il ne la satisferait pas. L’amour est clairvoyant: le mien a vu que sa vertu s’indignait de mes sentiments, mais que son cœur était pour moi; oui, j’en suis sûr, elle ressentirait une peine secrète, si j’en épousais une autre, quelle qu’elle fût.» Voilà sa réponse que j’ai combattue comme j’ai pu.

Ces sentiments n’empêchent pas qu’il n’ait fait le portrait de Mlle Fanchette et le mien, en véritable amant, c’est-à-dire très flatté. Il me jure que c’est comme il nous voit. Il a réellement un talent décidé: les dernières preuves qu’il nous en a données sont encore plus frappantes que celles que vous avez vues. Mais dois-je vous faire cette confidence-là? Si ce n’était pas celle d’un peintre, la conduite d’Edmond serait inexcusable… Il a profité de certaines circonstances, pour nous voir sous l’habit des Grâces, Mlle Fanchette et moi, et c’est en cet état qu’il nous a rendues sur la toile. Mlle Fanchette m’a paru un chef-d’œuvre. Il ne nous a pas montré ces tableaux; nous les avons vus chez lui par hasard, en fouillant, partout, pour chercher quelque lettre qui m’éclairât sur ses dispositions. J’en ai effectivement trouvé une, où il était question de nous: j’y ai vu son secret, et j’ai découvert les tableaux; Fanchette est en Hébé; il doit vous l’envoyer, à ce que j’ai vu écrit derrière la toile. Pour le mien, j’ignore ce qu’il veut en faire. J’avais bien envie de m’en emparer: mais comme mon nom n’y est pas, qu’est-ce que cela me fait?… On dirait que je n’ai pas de chagrin, à la manière dont je traite cette bagatelle. Hélas! faibles mortels! une mouche nous distrait, et c’est un grand avantage sans doute!

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