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Lettre 117. Réponse.

[Étonnée de son libertinage, Laure l’en raille, quoique aussi corrompue.].

21 juillet.

Tu n’es pas encore assez philosophe: à ta place, je ne me gênerais pas, et je recevrais tout mon monde sans déplacer. Au reste, il ne nous appartient pas, comme dit Rousseau, en parlant de Voltaire, de juger nos maîtres; et tu peux disposer de mon appartement. Permets seulement que je te fasse une observation. Messaline prenait le boudoir de Lycisca, parce que cette courtisane valait mieux qu’elle tu fais tout le contraire: ne crains-tu pas de te décréditer?

LAURE.

P.-S. – J’ai lu ta belle lettre. Il est au-dessous de toi et de moi d’être comédiennes: vois-tu que nous sommes quelque chose?

Lettre 118. Ursule, à Laure.

[Elle fait des projets criminels de luxure, et d’ingratitude envers Mme Parangon.].

11 août matin.

Sauve qui peut! La belle Parangon est arrivée. Elle vient d’écrire à Edmond: ce sont des plaintes, des jérémiades! La Parangon écrit comme ma belle-sœur de S**, dont les lettres m’amusaient autrefois, et qui me donneraient à présent des vapeurs. Mais admire l’aveuglement de la pauvre prude jalouse! Edmond lui avait apparemment demandé sa sœur pour éviter nos filets de Satan, et la bonne âme la refuse! Elle nous sert! elle entre dans nos vues! Oh! il faut qu’il y ait un peu de vice dans son vertueux cœur, puisqu’il sympathise avec le nôtre! Il est sûr qu’elle veut garder Edmond pour elle… Ah pardi! ceci me donne une idée. Edmond ne verra la missive qu’en temps et lieu; et je vais profiter des lumières qu’elle me procure pour hâter le succès de mon projet! Quoi! belle Parangon! vous venez à Paris chercher votre violeur! Colombe gémissante, vous voulez donc encore tâter du péché? Eh bien, vous en tâterez, je vous jure, ou je ne pourrai… Mais il faut commencer par l’exécution de mon grand dessein: j’ai dans l’idée que cela rendra Edmond plus docile à suivre l’impulsion que je voudrai lui donner… Il sera honteux du moins, et je n’aurai plus de reproches à essuyer… Ne m’abandonne pas d’un moment, ou tiens-toi à ma portée; faisons défense commune: ma porte sera fermée; Edmond seul pourra se faire ouvrir. Soyons deux, pour l’intimider, nous consulter et laisser plus sûrement seule la belle avec son amant, dès qu’il le faudra.

L’ami m’a fait réponse: il m’envoie une lettre de mon frère, qui répand un nouveau jour sur ses dispositions. Il a vu nos bonnes gens de S**, et il les a ensorcelés: mais comme il peut arriver un revers, je vais suivre le conseil qu’il m’a donné précédemment, de me faire encataloguer au magasin Saint-Nicaise: on dit que cela ôte tout pouvoir aux parents sur leurs filles… Eh bien? ne m’y voilà-t-il pas?… Oh! il a bien fait de se rétracter! les théâtres sont utiles… Car enfin, c’est une très belle invention, que ce catalogue-là! je voudrais en connaître l’inventeur, et s’il n’est pas trop vieux, j’irais lui offrir… ce que tant d’autres me demandent avec mille instances, et paient si cher! je ferai faire les démarches de mon enrôlement à Edmond, après mon coup de filet, comme le nomme l’ami.

P.-S. – J’écris à ce dernier, et je lui envoie la lettre que j’ai escamotée.

J’ai montré la dernière lettre de l’ami à Mlle*** de l’Opéra: elle en est enchantée!

Lettre 119. La même, à la même.

[L’infortunée URSULE raconte un mauvais tour qu’elle paiera cher!].

(Ceci est la suite de la CXXXVI, lettre du PAYSAN, dont elle parle en finissant le post-script. de la précédente.).

Le soir.

Voici une autre lettre, que je joins à celle qui est déjà cachetée.

Je viens de faire maison nette: j’ai banni d’un seul coup, et le marquis lui-même, qui s’est trouvé trop instruit, et qui l’a pris sur le ton du persiflage; et Négret, qui me criait du bas de l’escalier: «Quand voulez-vous donc m’accorder quelque chose?» et mon ancien page qui voulait paraître mon favori; et le financier que ses dons maussades rendaient exigeant; enfin l’italien, qui prétendait que je lui avais promis la dernière fois de le recevoir au détroit de l’île Bank (consulte la carte des terres australes, tu l’y trouveras). Mais celui-ci mérite quelques détails, et son aventure serait à mourir de rire, sans le dénouement, qui est du plus tragique.

On me fait beaucoup appréhender sa vengeance! Je suis femme, que me fera-t-il? Un coup de poignard? Mais je tiens à quelqu’un, et je ne suis pas Zaïde. D’ailleurs, me voilà sur le catalogue de la liberté; si ce catalogue a le pouvoir de nous soustraire à l’autorité de nos pères, je ne crois pas qu’il soit moins efficace contre les amants: il doit nous donner le droit de trompandi, dupandi, pillandi, ruinandi, substituendietmocquandi per universam terram, comme aux médecins de Molière. Je n’ai plus que l’Américain que je reçois ici, et un nouveau soupirant qui s’est annoncé ce matin. Il vient fort à propos! car il me propose de quitter cette maison, où je me déplais à présent, pour aller demeurer dans une autre très jolie à Saint-Mandé, quartier que je ne connais pas et absolument éloigné de toutes mes habitudes. Je verrai cela; nous sommes en pourparlers: l’homme est assez agréable; je lui trouve de l’air de Lagouache: la noblesse n’y domine pas comme tu vois. Je vais tout vendre, sans en parler à personne: cela me sera très facile. Edmond, depuis une espièglerie que je lui ai faite, est d’une soumission… Oh! s’il savait que la Parangon est ici!… Mais le tour que j’ai joué à Fanchette, la dernière fois qu’elle est venue, en la faisant asseoir sur mon sofa, l’a bannie de chez moi. Car il faut ajouter, qu’étant sortie exprès, au signal que me fit Marie, qu’il me venait quelqu’un, je laissai la belle enfant seule; c’était l’italien; il n’y voit pas comme une jeunesse: de sorte qu’il alla droit à Fanchette, que le sofa faisait retomber à chaque fois qu’elle voulait se lever; il se mit à ses genoux, et peut-être même alla-t-il jusqu’à… Je n’en sais rien mais elle s’écria, et j’envoyai à son secours Trémoussée, qui la ramena en riant comme une folle. Fanchette sortit sans me parler, et je ne l’ai pas revue depuis. Pour achever ce qui regarde l’italien, je ne pouvais m’en débarrasser, et la complaisance d’une ou deux fois, ne faisait que le rendre plus importun. Peut-être y aurais-je consenti, sans les horribles angoisses par où il fallait passer: car du moins il y avait un avantage, et j’étais délivrée d’un autre supplice… Je pris conseil de Trémoussée; suivant ce vers de Boileau:

Molière quelquefois consultait sa servante.

«Parbleu, madame, vous êtes bien embarrassée! laissez-moi faire.» Je crus qu’elle voulait prendre ma place, et j’admirais son héroïsme; mais vu sa taille, je doutais du succès; je lui témoignai mes craintes? «Moi, madame! oh que non! je ne suis pas ainsi mon bourreau. Il est noir, il faut l’assortir…» Elle alla chercher la sœur de mon jeune nègre: cette fille est de ma taille, et d’environ vingt ans: Trémoussée l’instruisit de ce qu’elle avait à faire; ensuite elle me l’amena, pour que je lui donnasse mes lazzis. La comédie commença de ce moment. Zaïde me copia de son mieux. Lorsque nous l’eûmes bien instruite, nous attendîmes le soir avec impatience. Il arriva, et avec lui l’italien. Je le reçus mieux que jamais: il était enchanté. On se mit à table, et s’étant approché de mon oreille, il me demanda si c’était l’heureux jour? «Il faut bien vous céder! car vous ne diminuez rien de vos prétentions, vous autres hommes!» À ce mot, il donna un ordre à son valet de chambre, et avant de sortir de table, je vis entrer un magnifique présent, qu’on porta sur ma toilette. Il était fort impatient de me conduire dans ma chambre: je m’y laissai mener, moitié gré, moitié force. Trémoussée me mit au lit, et suivant mes ordres, emporta les flambeaux. Le vieux mulâtre vint auprès de moi: j’esquivai comme je pus son haleine empestée; je lui dis de se contenter de mes promesses, et de me permettre la plainte, sans exiger que je lui parlasse. Il consentit à tout, et me pria même de me plaindre le plus que je pourrais. La Négresse, cachée dans mon alcôve, était prête, et surtout fort zélée pour m’obliger. Je me glissai adroitement, et fus me mettre dans son lit, tandis qu’elle prenait ma place. Elle y fut à peine, que le mulâtre la joignit… Il vanta beaucoup mes prétendus appas, et il jurait que quelque belle que je fusse, il ne leur avait pas encore trouvé tant de perfection. J’avais toutes les peines du monde à m’empêcher de rire. Enfin… tout se passa fort à son gré; mais avec des peines infinies.

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