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Le conseiller est fort aimable: mais je t’avouerai que si le marquis en agissait comme il convient, et qu’il te fallût un sacrifice, je te le ferais, ou tout autre. Il me suffira toujours de savoir qu’une chose t’est réellement avantageuse pour que je me sacrifie. Je l’ai dit à notre ami commun, qui m’a sondée plus d’une fois à ce sujet, et qui loue fort mes dispositions à ton égard.

Adieu, mon cher Edmond: et crois que je me féliciterai toute ma vie de ce qu’a fait ton amitié, pour ta tendre sœur.

URSULE.

P.-S. – Renvoie-moi cette lettre, ou garde-la pour me la rendre, de peur d’accident.

Lettre 45. Réponse.

[Il enveloppe l’annonce de son duel, en répondant sur ce qu’Ursule lui a marqué.].

29 janvier.

Tout ce que tu m’écris, ma chère Ursule, est raisonnable: mais je suis dans une passe qui ne me permet pas d’y songer. Ainsi, abandonne ces chimères, pour ne t’occuper que de toi. J’ai mes desseins, dont rien ne peut me détourner: ma trame est ourdie; il faut que je suive ma destinée. Je ne saurais cependant m’empêcher de te marquer la satisfaction que m’a donnée un mot de ta lettre, au sujet du marquis. S’il t’épouse, c’est mon meilleur ami; j’oublie tout. Le mariage est le baptême du viol; il doit l’effacer. En effet, ce crime change alors de nature; au lieu d’être un coupable attentat, digne de tous les châtiments, ou de toutes les fureurs de la vengeance, parce qu’il a humilié une famille dans ce qu’elle a de plus délicat, l’honneur d’une fille, il ne devient plus que l’effet d’une passion insurmontable, obligeante, flatteuse: loin de blesser l’honneur de la fille, il élève au contraire un trophée à ses charmes. Le seul qui soit digne des tiens, ma sœur, c’est le mariage, avec le titre que le marquis seul peut te procurer: ta beauté est assez séduisante pour cela, et quoique ton frère, cent fois j’ai senti que tu ne pouvais causer des passions médiocres. Tu sauras dans peu ce qu’on a droit d’attendre du marquis; et alors, quoi qu’il en soit, je te recommande de partir, et de venir te présenter ici à la famille. Si tu as un fils, et que la chose ait tourné d’une certaine façon, elle pourra l’adopter. Si c’est le contraire, elle fera sans doute le mariage: mille raisons que je tais pourront l’y engager; et je prends dès aujourd’hui des précautions pour cela. J’ai des idées que j’ai mises par écrit, et qui seront rendues à Gaudet, pour qu’il agisse, lorsqu’il en sera temps. Ce papier est tout prêt, et cacheté, entre les mains de Laure qui ne doit le remettre que dans une circonstance que j’aurai soin de lui faire connaître. Adore pour moi ma véritable, ma seule épouse, mais en silence. Quant à la charmante Fanchette, que n’ai-je un second moi-même digne d’elle à lui donner! Que n’ai-je deux corps avec une seule âme, qui les animât en même temps! elle en aurait un. Adieu, chère sœur. Tu sauras dans peu combien je t’aime, à n’en pouvoir douter. Prie nos chers parents de m’aimer, et de se souvenir de leur fils.

EDMOND.

Lettre 46. Ursule, à Edmond.

[Elle flatte le penchant d’Edmond, et lui ouvre son cœur, déjà gâté, au sujet de l’adultère.].

Ier février.

En vérité, mon ami, tu es parvenu à me donner les plus cruelles inquiétudes, par la manière dont ta lettre est tournée! Mais avant de faire aucune démarche imprudente, songe, auparavant à tout le chagrin que tu donnerais aux personnes qui te sont les plus chères! Mme Parangon, déjà languissante, ne pourrait supporter un nouveau malheur; et si tu l’aimes, comme je n’en saurais douter, tu lui épargneras un surcroît de peines. Je la regarde avec plus d’attention, depuis que j’ai reçu ta lettre; et je vois qu’en effet, quand on l’aime, il est impossible de cesser de l’aimer. Ne parlons donc plus de Mlle Fanchette, mais de sa sœur. Conserve-toi pour elle. Que sait-on ce qui peut arriver? Son mari n’est pas immortel… J’oserais même dire quelque chose de plus, si cela pouvait aller dans la bouche d’une fille… Mais pourquoi non?… Je ne l’aurais pas dit il y a six mois; mais aujourd’hui, je puis parler, ce me semble, aussi librement qu’une femme. Je crois qu’il est certains maris, à qui leurs épouses ne doivent rien, ou très peu de chose. Je rassemble dans mon esprit tout ce qu’il faudrait être pour mériter certain traitement; ensuite, je trouve que M. Parangon est tout cela au plus haut degré… J’ai résolu de te servir auprès de mon amie. Cela te convient-il? Parle? Je ferai tout ce qui pourra t’obliger. M. Gaudet me paraît dans le même dessein; il m’en a touché quelque chose, mais comme en craignant de s’ouvrir à une bégueule, telle qu’il me croit encore. Envisage donc l’avenir qui t’attend, comme l’amitié te le prépare, cher ami, et calme-toi, par reconnaissance pour tant de personnes qui vont travailler à ton bonheur. Je te préviens qu’on veut chez nous que je reste maîtresse absolue de mon revenu: c’est dire que tu en seras le maître. Adieu. Je voudrais déjà que cette lettre fût entre tes mains; et tu sens de quelle conséquence il est qu’elle me revienne!

P.-S. – Nous sommes toujours à Au**. Nous n’avons vu qu’une fois M. Parangon; son état nous dispense de lui rendre visite, et l’empêche de venir chez nous. Tout le monde dit que c’est bien fait.

Lettre 47. Gaudet, à Edmond.

[Idées vraies sur le duel.].

3 février.

Je commence ex abrupto; je vais parler comme je t’aime.

Le duel, Edmond, est une action basse, un acte dégradant qui ravale l’être raisonnable à la condition des brutes. Ose l’analyser; qu’est-il? un mouvement félon, qui porte l’homme à chercher à ravir la vie de l’homme dont il se prétend offensé, en exposant la sienne propre. Les peuples modernes mettent de la noblesse dans cette action; mais il y a là un renversement absolu d’idées; car c’est la plus atroce de toutes: j’y vois l’assassinat, et le suicide. L’assassinat s’y trouve: car celui qui provoque, ou accepte le duel, espère tuer, souvent il s’est préparé pour être plus sûr de son fait. Le suicide y est également, en ce qu’il faudrait être fou, pour ne pas compter sur la possibilité d’être tué: le duelliste fait donc alors le sacrifice volontaire de sa vie à la passion qui le domine. Or si le suicide et l’assassinat sont deux actes illégitimes, le gentilhomme français, qui met son honneur à Venger ses injures particulières par ce moyen, ne peut être un homme d’honneur, qu’autant qu’une loi du prince et de la religion aura autorisé le suicide et l’assassinat; jusqu’au moment où cette loi sera portée, le duelliste est le plus coupable et le plus vil des hommes.

À l’appui de cette assertion, vient la connaissance que j’ai eu occasion de prendre du caractère des plus déterminés duellistes.- Je les ai trouvés des lâches à leurs derniers moments; je les ai trouvés des lâches après la victoire, lorsqu’il fallait se dérober aux poursuites; je les ai trouvés des lâches dans les affaires mêmes d’honneur, comme on les appelle si improprement; je me suis aperçu que l’excès de crainte de la mort les portait à se susciter quelques affaires, auxquelles ils s’étaient préparés, pour inspirer une haute idée de leur courage, et pouvoir être lâches tranquillement le reste de leurs jours; je les ai trouvés aussi mauvais officiers et mauvais soldats en campagne, qu’ils étaient bravaches en garnison, et loin du danger. Le plus faquin des duellistes que j’aie vus, était un certain P…, qui sûr que ceux qui l’accompagnaient avaient ordre de préserver sa vie, et qu’il en serait quitte pour quelques gouttes de sang, poussait son adversaire par des injures, et la plus sanglante ironie. Il se battit; il fut blessé: effrayé, comme une femmelette, à la vue de son sang, il se hâta de remonter dans la voiture qui l’attendait, et donna les soins les plus inquiets à une blessure qui n’avait qu’effleuré la peau. Une autre fois, je suivais sur le quai du Louvre, deux jeunes officiers en semestre, qui, accompagnés de trois de leurs camarades, allaient se battre dans les Champs-Élysées. Celui qui avait provoqué l’autre, était pâle, tremblant, et tous cinq faisaient tant de bruit, que tout le monde, depuis le pont Henri jusqu’aux Tuileries, fut instruit de leur futur combat, et de ce qui l’avait occasionné. Parmi dix mille âmes qui furent mises dans la confidence, il s’en trouva une, heureusement! qui empêcha le combat, à la grande satisfaction des combattants.

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