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Quand il a été parti, c’était l’heure du dîner. J’ai présenté la main à mon frère, en lui disant: «Je t’assure que si tu n’avais pas accepté ce présent, que je te faisais, le financier n’aurait rien obtenu!» Il a rougi, et a jeté le présent avec indignation sur mon ottomane. Je l’ai été prendre. «Il faut le garder, si tu ne veux pas que je sois au désespoir d’avoir favorisé un singe, qui ne m’inspire que de la répugnance.» Il l’a enfin repris, et l’a serré, non sans de grands soupirs… Jamais je n’ai éprouvé, une joie plus vive et plus pure! si cela m’était arrivé vertueuse, je ne pourrais me lasser d’exalter les douceurs que procure la vertu mais c’est le vice, et je sens que cela me le rend beaucoup moins laid. Le marquis est entré pour lors, et nous nous sommes mis à table. J’ai été le reste de la journée d’une gaieté bruyante, et si folle, que mon frère et le marquis m’ont demandé la raison? J’ai dit tout bas à Edmond: «je n’en ai pas d’autre que le plaisir que tu m’as fait.» Il a été touché de ces sentiments; il m’a baisé la main, en disant au marquis: «C’est un excellent cœur! quel dommage que la tête soit si folle!» Et comme le marquis sait qu’Edmond est absolument dans ses intérêts, il s’est tranquillisé… Il a quelquefois eu beaucoup moins de sujets d’inquiétude, que rien ne pouvait le calmer!… Mais les voilà, ces bonshommes! Trompons-les bien! car, fussions-nous des Lucrèces, ils n’en seraient pas plus heureux; c’est une pure duperie que de leur être fidèles; ils n’y gagnent rien, et nous y perdons.

Je serais la plus ingrate des femmes, si je ne rendais pas la gloire à qui elle appartient: mon bonheur actuel est l’ouvrage de l’ami; sans lui, entre nous, que serais-je? supposons la femme du marquis? je serais bornée, contrainte; sans doute réduite à garder mon appartement dans une triste solitude, à voir une maîtresse inspirer tous les sentiments qu’on me jure, et jouir de tous les plaisirs qu’on me prodigue: car il ne faut pas croire, que devenue femme du marquis, j’aurais eu la liberté dont il laisse jouir son égale, une femme qui a des parents qui prendraient sa défense, et une forte dot, qu’on pourrait lui faire restituer, j’aurais le sort de toutes les grisettes qui épousent des marquis, si ces derniers ne sont pas des benêts, comme un certain comte: je serais méprisée, réduite à la compagnie de mes femmes; je n’aurais pas même, si ce n’est en cachette, la société de mes laquais. Oui, l’ami est un génie; lui seul, véritablement au-dessus des préjugés, a su me rendre réellement heureuse, et je crois que mon frère le serait également, s’il s’était entièrement abandonné à ses conseils; si, comme moi, il lui avait livré son corps et son âme. En effet, quelle mort elle fut jamais dans une situation plus agréable! Tout me rit autour de moi: j’ai le plaisir, comme certaines princesses, de choisir les plus beaux hommes, et de leur jeter le mouchoir, qui est toujours ramassé avec des transports de reconnaissance. Aucune étiquette ne me gêne; on sait que je fais ce que je puis, dans ma situation. mes gens eux mêmes, qui savent tout, ne me méprisent pas. Je suis fille, maîtresse de moi, et c’est mon état que de faire des heureux… Je n’ai. pas eu le bonheur d’avoir un père comme celui de Ninon, l’ami m’en a servi; je lui dois plus qu’à mon père charnel… Tu vois que cela coule de source, et que je ne saurais m’arrêter, quand il s’agit de marquer ma reconnaissance pour l’ami.

À présent, ma chère Laure, auras-tu cette lettre? Il faut que je me consulte… Oui, je vois que j’ai encore laissé un petit repli dans mon cœur à la discrétion. Remercie-moi! Il faut être aussi bonne que je la suis, et aussi tendre amie envers toi, pour te donner… que sait-on? des verges pour me fouetter un jour. Rends-moi la pareille, si tu es généreuse; ou…

Lettre 113. Laure, à Ursule.

[Elle lui rend confidence pour confidence en turpitude.].

21 juin.

Quelle que soit ma répugnance pour les relations, cousine, la crainte que tu me croies disposée à l’indiscrétion, me fait surmonter ma paresse naturelle: je vais te donner un otage; et s’il n’est pas aussi riche que le tien, il faudra t’en prendre, non à mes discrétions, mais à mes attraits qui ne sont pas aussi piquants ni aussi courus que les tiens. Sans préambule, j’entre en matière: car si je n’aime pas les relations, j’aime encore bien moins la morale et les préfaces.

Tu sais ma première aventure. J’étais innocente dans toute la valeur du terme, quand M. Edmond, qui n’était encore qu’un paltoquet, mais que je croyais un petit maître du premier ordre, m’en imposa par, son air demi civilisé. Il cueillit ma fleur: je n’en avais qu’une; mais dix lui auraient également été sacrifiées, tant je me croyais honorée de ses attentions. J’étais si neuve, que je ne me doutais seulement pas de ce qui pouvait en résulter: je pensais que pour faire des enfants, il fallait absolument être mariée en face d’église. Je me croyais fort aimée: à présent que je me rappelle sa conduite, je vois clairement que monsieur s’amusait aux dépens d’une innocente. Mais il faut avouer qu’il avait déjà fait quelques progrès dans la philosophie, puisque notre parenté ne le retint pas. Je passe mes chagrins: je les ai oubliés. L’ami nous fit partir pour Paris, ma mère et moi: il nous y logea fort décemment, mais au-dessous de ce qu’il aurait désiré, afin de ne pas nous éblouir tout d’un coup, et de, laisser, quelque prix à ce qu’il devait faire ensuite. Cependant il n’attendit pas que je ne portasse plus les livrées d’un autre, pour me revêtir des siennes. Je cédai de bonne grâce à la reconnaissance. Je fis ma fille, et je me rétablis. Ce fut alors que l’ami nous logea plus somptueusement, et qu’il employa pour nous les ressources heureuses de son génie. Ma mère ne voyait rien de ce qui se passait: les chagrins qu’elle se forgeait à elle-même l’avaient déjà absorbée presque autant qu’elle l’est aujourd’hui; la machine mangeait, dormait, parlait, voyait, entendait; mais l’esprit ne discernait plus.

Je vécus fidèle, tant que je fus sans connaissance. Tu vins à Paris tes confidences, dans le temps même où tu étais bégueule, m’éclairèrent sur ce que je valais. Jusqu’à ce moment, je n’avais encore fait aucune attention aux propos qu’on me tenait, ni à certains gestes, qui sûrement annonçaient quelque papier: je devins plus observatrice, et je ne tardai guère à m’apercevoir que je n’étais pas sans adorateurs. Je t’imitai, dans ta conduite, et faute d’en connaître une meilleure, ce fut le modèle que je me proposai. Mais comme j’étais plus libre, j’allai aussi beaucoup plus vite, et dès avant que l’ami fît sa longue absence, j’avais déjà filé une intrigue, sauf le dénouement. Il partit enfin. Le temps de son absence fut fécond en événements. Tu fus enlevée, violée; Edmond vint; je le revis avec intérêt, et je couchai son cœur en joue dès le premier moment. Je ne sais si ce fut mon goût ou ma vanité qui me fit désirer sa conquête; mais cette idée ne me laissait de repos ni jour ni nuit. Je savais par toi sa passion pour la belle Parangon, et qu’il l’avait traitée comme tu l’avais été par le marquis; tout cela lui donnait à mes yeux un prix infini. Je pensais en moi-même quelle gloire j’aurais de le rendre infidèle à cette fière beauté: car mon but était qu’elle le sût, et qu’elle en fût jalouse.

Mais à travers tout cela, Edmond eut l’intrigue de la marquise; moi, je me ressouvins de la mienne: on ne m’avait pas perdue de vue. J’accordai un rendez-vous chez moi. Tu étais alors avec Lagouache, et tu ne m’avais pas encore écrit ta relation; de sorte que je te croyais au faîte du bonheur, et rassasiée de jouissances. J’en étais un peu jalouse, et je me dis: «Serai-je donc la seule qui me priverai, tandis que les vertus les plus sauvages se laissent enlever, violer, et qu’après ces malheurs cruels arrivés à leur pudeur, elles trouvent la chose assez ragoûtante pour en vouloir tâter encore? Essayons-en aussi.» Je faisais ces réflexions, profondément recueillie sur mon sofa, lorsque mon galant se fit annoncer. Je le reçus d’un air ouvert, qu’il crut agaçant; car il brusqua si vivement l’aventure que j’en fus un peu honteuse. Hélas! j’ignorais encore que c’est le bon ton, et ta seconde relation (que j’ai vue) m’a ôté là-dessus tous mes scrupules. Il en agit assez bien, à sa brusquerie près, et me fit un joli présent. Il revint deux ou trois fois. Je m’en lassai; je me ressouvins successivement des autres, j’allai aux endroits où je les avais rencontrés le plus souvent, et que je ne fréquentais plus; ils reparurent sur mes pas; et je donnai le mouchoir tantôt à l’un, tantôt à l’autre. Voilà ce que t’a dit la femme de chambre que j’ai renvoyée, et ce qui t’avait refroidie avec moi.

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