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J’attendais avec curiosité l’effet de mon expérience le lendemain. Il a boudé; il n’est pas venu. Je me suis tranquillisée. Enfin le quatrième jour il a paru. J’étais seule.»Madame est seule! – Oui, je vous attends. – Avant-hier, hier, vous m’attendiez? – Non; ce que j’ai fait, c’est exprès. – Ah! cruelle! – Aveugle, bénissez-moi; je n’ai que vous en vue.» Il m’a comprise, et j’ai eu peine à modérer ses transports. Que de remerciements il m’a faits! Comme il m’a exaltée!…

Mais un malheur nous attendait ce jour-là: je dis un malheur, parce que je crois que cela doit avoir fait de la peine à mon frère. Nous sommes passés dans mon boudoir des rendez-vous. J’ai pris par hasard la même position que les jours précédents, et ce qui m’a surprise, dans la même circonstance que la veille, je me suis. senti serrer le pied. Un mouvement de frayeur m’a fait le retirer vivement, en même temps que je me suis à demi soulevée pour regarder. Je n’ai rien vu. Ensuite faisant réflexion que ce ne pouvait être que le marquis, ou mon frère, j’ai fait la prude; j’ai montré des regrets de ma chute; j’ai versé des larmes. L’ami était d’un étonnement stupide; mais il s’est remis. Je suis rentrée dans mon cabinet de toilette, où il est venu se mettre à mes genoux, en me jurant que Mme Parangon ne s’en, acquitterait pas mieux. Il croyait que je le faisais pour me divertir, et lui montrer tous mes talents. Cependant j’avais de l’inquiétude. J’ai sonné Marie, et je lui ai dit tout bas de savoir adroitement qui s’était caché dans mon boudoir. Elle est revenue me dire à l’oreille que c’était Edmond. Comme j’ai mes desseins à son sujet, j’en ai été charmée, dans un sens, et nous sommes retournés l’ami et moi. Je ne me suis pas contrainte et je me suis abandonnée à tout ce que le sentiment a de plus recherché, de plus délicieux. Il en était si émerveillé, qu’il n’a pu s’empêcher de me demander de qui je tenais ces charmants… Je suis bien fâchée de ne lui avoir pas dit que c’était de la belle. bégueule: mais j’étais trop occupée en ce moment. J’ai reposé mon pied à l’endroit de la cachette; mais on n’y a touché que pour faire quitter imperceptiblement ma mule, que je n’ai pu retrouver. Ce qui a été cause que l’ami m’a reportée dans ses bras jusque sur mon sofa dans le petit salon, où j’ai voulu aller. Là, j’ai avoué à l’ami qu’Edmond nous avait vus. Il en a paru surpris, et il est sorti quelques instants après.

J’attendais l’orage. En effet, dès que l’ami a été parti, j’ai vu paraître Edmond, ma mule à la main. Il l’a jetée à mes pieds de sa hauteur, sans me dire un mot, et s’est retiré en levant les yeux au ciel. Je l’ai rappelé: mais il n’a rien voulu entendre. J’ai achevé ma toilette, et je me disposais à sortir, quand mon frère est rentré. J’ai jeté un coup d’œil sur la glace; j’étais… à croquer… je ne me suis pas remuée. Il est venu me prendre la main. «Est-il possible! – Que veux-tu dire! – N’as-tu pas, tout à l’heure… – Eh bien, sans doute! ne lui devons-nous pas assez? ne le mérite-t-il pas autant que le marquis? Voilà toujours où tu en reviens! – Mais, c’est vrai! c’est que tu m’y forces. Laisse faire à ma prudence; va, je me conduirai pour le mieux. Si j’étais encore belle, ce serait autre, chose; mais puisque m’y voilà, ne désobligeons pas nos amis.» Il n’a su que me dire. Il a encore levé, les yeux au ciel, il m’a serré la main, l’a baisée, et m’a quittée précipitamment.

J’ai appris ensuite indirectement que la marquise lui donne des chagrins par ses infidélités: il paraît que son attendrissement avec moi venait d’une comparaison, qu’il faisait de son sort avec celui du marquis, et peut-être même l’ai-je un peu consolé, en lui prouvant, que les autres ne sont pas plus heureux que lui. Car c’est une consolation au moins et je t’avouerai que je serais enchantée, en suivant mes fantaisies, d’avoir diminué le chagrin de mon frère! L’ami l’a évité, depuis le tête-à-tête où nous avons été vus, et je crois que son départ précipité a eu pour cause la honte… de quoi? de m’avoir rendu hommage? En vérité, je lui en aurais voulu, s’il m’avait froidement admirée, j’aurais été incrédule à tous ses éloges! Tu me diras si son départ a eu d’autres raisons?

Ne voyant plus l’ami, j’ai laissé revenir les connaissances ordinaires que j’avais écartées. Mais un bonheur rare, qui m’est arrivé! j’ai revu mon page! Il est colonel, et charmant. Je l’ai aperçu par la fenêtre. Et vite j’ai envoyé Marie après lui pour lui dire qu’une jeune dame de ses amies lui voulait parler. Il est venu sur-le-champ. J’étais en gaze, comme le jour de la première réception de notre dépréjugeur, assise sur mon sofa le plus voluptueux. En me voyant, il m’a reconnue dès la porte. Il a fait un cri de joie, et s’est élancé jusqu’à moi. Je lui ai tendu la main en souriant. «Quoi! C’est vous!… c’est vous, ma divinité! c’est vous que j’ai le bonheur de revoir, et de votre aveu!… Mais, comment êtes-vous ici? – je suis chez moi. – Fille, femme? – Tous deux. – J’entends: vous êtes à quelque Midas? – Point du tout! je suis à moi-même: mais M. le marquis de***, ami de mon frère, vient souvent ici; je jouis d’une certaine fortune, que j’ai acquise par des moyens légitimes; j’ai vu le monde, et je ne suis plus si prude qu’autrefois. – Parle vrai; tu es entretenue?» J’ai souri; car je ne voulais pas le faire languir. Il m’a traitée en officier; je me suis conduite en femme qui sait le monde, et le boudoir a été visité. J’y ai pris la même posture, et, à ma grande surprise, pour le coup, mon pied a encore payé les torts qu’il n’avait pas! J’ai été réellement inquiète.

Mais le page ne me donnait pas de relâche: il me jurait qu’il était le plus heureux des hommes, et que je le mettais hors de lui; il a fallu écouter tout ce qu’il avait à me dire, et il n’a pas eu sitôt fini. Enfin, je l’ai renvoyé, sous prétexte que mon frère allait rentrer. «Est-ce bien ton frère? – Tu ne me feras pas cette question, lorsque tu me connaîtras mieux: tu juges de ma facilité, par celle qu’une ancienne inclination m’a fait avoir pour toi; va, je ne veux pas te répondre aujourd’hui sur ta question impertinente.» Il est sorti, un peu incertain si je lui disais la vérité.

Bien heureusement, je t’assure! Aussitôt est entré le vieux Italien, qui m’a fait les plus belles promesses. Mais néant à sa requête. Cependant, comme c’est un homme décoré, je le traite avec politesse; d’ailleurs, cela donne un ton à ma maison, et le marquis n’étant pas jaloux de ce vieux satyre, je me plais à le voir quelquefois soupirer. Je l’ai reçu dans mon boudoir, et nous avons parlé. Je l’ai fait placer de façon qu’il tournât le dos à la cachette: j’y ai porté le pied, qu’on a touché encore, mais sans me faire mal. Je n’ai plus douté que ce ne fût Edmond.

Dès que j’ai été libre, je suis revenue seule, et je l’ai découvert. Sans me plaindre, je l’ai embrassé, je l’ai fait asseoir à côté de moi. «Pourquoi m’épies-tu? Ne veux-tu pas mon bonheur? – Oui, je le veux: mais… – Laisse-moi donc le faire à ma fantaisie; si tu me gênes, même en me donnant des plaisirs, tu les empoisonnes.» Il n’a rien répondu; il a soupiré. Enfin, il m’a serrée contre son cœur très fortement et il m’a dit: «Fais donc ce que tu veux; mais ménage le marquis; je l’exige. – Je le ferai. Et toi, comment es-tu avec la marquise? – Raccommodés, depuis la bassesse que tu m’as fait faire… Mais en vérité, elle ne te vaut pas…» Il m’a baisé la main, tout, troublé. Il m’est venu du monde que j’ai été recevoir, c’était le financier: Edmond n’était pas sorti, j’ai amené tout uniment mon Montdor dans mon boudoir, comptant que mon frère resterait pour m’y tenir compagnie. Point du tout! en entrant, je n’ai vu personne. Comme l’endroit où j’amenais Montdor est la marque de la dernière faveur, dès qu’il s’y est vu, il s’est jeté à mes genoux, en me remerciant de mes bontés, et en m’assurant qu’il saurait en marquer la plus vive reconnaissance. J’ai demandé de quelles bontés? «Mais, mignonne, ne vois-je pas… Tu doutes peut-être?» Il a ouvert un portefeuille garni en diamants, et en a tiré pour cinquante mille livres d’effets au porteur: «Voilà des arrhes de ma reconnaissance, dont tu ne parais douter, belle reine daigne les recevoir.» Je les ai regardés, en lui disant «Mais ce n’est pas de votre reconnaissance que je doute, monsieur! je songe seulement, de quelles bontés vous me remerciez? – je suis dans le temple, le sacrifice s’accomplira; voilà mon ex-voto.» J’ai ri de l’expression; mais l’ex-voto m’a tentée. Cinquante mille livres! J’ai pris le portefeuille, en lui disant.»Vous êtes une de mes premières connaissances, il faut bien avoir quelque indulgence pour vous!» En même temps j’ai jeté le portefeuille sur ma jaseuse, – de façon qu’il tombât à terre. Montdor s’est mis en devoir de me prouver qu’il m’adorait: j’éludais adroitement; je faisais comme ces enfants qui jouent à la baie; je l’ai tantalisé; les femmes le sont si souvent, qu’elles peuvent bien prendre leur revenge! Pendant ce petit jeu, mon pied a cherché la cachette; Edmond m’a fait connaître qu’il y était. J’ai alors poussé le portefeuille insensiblement de son côté, jusqu’à ce qu’il l’ait eu pris. Dès que je me suis aperçue qu’il s’en était saisi, je n’ai pas cru qu’il me fût permis de leurrer davantage un honnête homme qui payait si cher. J’ai souffert que Tantale portât les lèvres aux mets qui le fuyaient auparavant. Il s’est comporté en véritable affamé je souffrais pour le pauvre Edmond…

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