Литмир - Электронная Библиотека
Содержание  
A
A

Lettre 58. Ursule, à Laure.

[Elle désire d’épouser le marquis, et se plaint de ce que Gaudet s’y oppose.].

15 juillet.

Quoique vous en disiez, les raisons de Mme Parangon valaient mieux que les vôtres; je le sens à n’en pouvoir douter. Cependant elle s’y est rendue, et au moyen de ce que la nourrice demeurera ici, je puis me donner les mêmes avantages, que si je nourrissais mon fils. Le marquis m’impatiente, Edmond aussi; je les brusque tous deux. Il n’y a qu’une chose à me dire, au lieu de fadeurs; un ban à l’église, et un contrat chez le notaire. Je vis le marquis avec plaisir, au retour du baptême; et en vérité, s’il avait eu de l’esprit, c’était le moment de me parler mariage il n’en dit pas un mot. Aussi dut-il s’apercevoir de ma froideur, lorsqu’il nous quitta. Je souhaiterais que M. Gaudet voulût me servir un peu à ma manière, plutôt qu’à la sienne. Je ne suis pas contente de notre dernier entretien. Je te prie de lui dire cela sérieusement. Ce qu’il me propose est trop éloigné de ma façon de penser et de mon caractère; il a fallu tout ce que je lui dois de considération, pour m’empêcher de lui répondre durement. J’ai résolu de feindre d’aimer le conseiller, pour exciter la jalousie du marquis. Ce mariage tant offert il n’en est plus question! Cela me pique. C’est le moment à ma première sortie, et je ne devrais quitter ma chambre, que pour aller à l’autel. Voilà ce que je veux: dis-le à M. Gaudet.

P.-S. – Il m’a fait entendre qu’il avait eu part à mon enlèvement si je n’épouse pas, quel était donc son but?

Lettre 59. Réponse.

[Laure, de concert avec Gaudet, lui conseille une finesse dangereuse.].

16 juillet.

Tu as raison, chère cousine, et je viens de le dire à l’homme dont tu te plains à juste titre. Ses réponses sont pitoyables! Toujours ce qui est plus utile à ton frère! En vérité! les hommes croient que nous ne devons exister que pour eux! Voici mon avis, à moi: je rebuterais le marquis, au point qu’il faudrait qu’il s’expliquât; et lorsqu’il aurait parlé net, je ferais la dédaigneuse; j’irais jusqu’à lui dire, à dire à ses parents, s’ils me proposaient sa main, que j’ai de la répugnance pour lui. Je vois à cela de grands avantages! la famille te pressera; elle t’honorera; le marquis se croira trop heureux que tu le prennes par complaisance, et comme tous ces gens-là n’estiment les femmes qu’à proportion des difficultés, tu te trouveras considérée, chérie, après ton mariage. Essaie de cette recette. Quant aux conseils, ceux à suivre ne sont ni ceux de M. Gaudet, ni ceux de la belle dame, du moins en tout, mais les miens. Je t’embrasse.

Ne crains pas que ce mariage puisse manquer! ton fils le rend infaillible.

Lettre 60. Ursule, à Mme Parangon.

[Comment elle refuse le marquis, en voulant accepter; Gaudet ne lui faisant faire les propositions, que lorsqu’il sait qu’elles seront sans effet.].

25 juillet.

Enfin, il est question de mariage ma chère Madame, et vous voyez que les conseils de Laure ne sont pas si mauvais! car je les ai suivis à la lettre. J’ai eu la plus belle occasion du monde hier de faire la fière, la dédaigneuse, et je ne l’ai pas laissée échapper: la mère du marquis m’est venue rendre visite. Elle m’a laissé entrevoir qu’on avait un établissement en vue pour le marquis, et qu’on craignait que je n’y apportasse obstacle. Je me suis trouvée piquée de cette ouverture, et j’ai été charmée que les conseils de Laure vinssent à l’appui de ma vanité blessée. «Non, madame, ai-je répondu, je n’apporterai pas d’obstacles à vos vues: ma situation est très affligeante! M. votre fils ne m’inspire absolument rien du tout, et sa violence a été aussi cruelle qu’elle le pouvait être, puisque rien ne l’a certainement adoucie. Je vous dirai plus; il est un autre homme, vertueux, modeste, sans torts à mon égard, qui m’aimait à mon insu avant mon malheur; qui depuis, n’a pas changé: c’est à cet honnête homme que mon cœur se donnerait, s’il pouvait se donner. Voilà, madame, la vérité nue; je vous parle comme je ferais à ma mère elle-même.» La comtesse a aggravé la peine que je ressentais, en me caressant; j’ai vu que ma réponse lui faisait plaisir. Elle a demandé mon fils: Marie l’a apporté. La comtesse a paru charmée de sa figure et de ses petites grâces enfantines; elle l’a caressé fort longtemps. J’attendais qu’elle allait changer de langage avec moi. Point du tout! Elle m’a demandé l’enfant. J’ai répondu que j’aimais trop mon fils pour m’en priver. Elle aurait dû entendre ce que cela voulait dire: mais voyant qu’elle ne me comprenait pas, j’ai ajouté: «je le veux élever enfant, madame: mais je serais charmée que la famille de son père lui conservât cette bonne volonté, pour quand il sera prêt d’entrer dans le monde. Je le remettrais alors très volontiers, soit à son père, soit à vous, madame; après avoir fait naître et nourri dans son cœur les tendres sentiments qu’une absence entière empêcherait d’y germer pour celle qui l’a mis au monde. Car je renoncerais plutôt à tout espoir de bonheur, qu’aux sentiments naturels que me devra cette créature innocente. Et ne croyez cependant pas, madame, que je me les approprie seule; sans aimer M. le marquis, je connais ses droits; il peut être sûr que je pénétrerai son fils du respect légitime et de la piété filiale dus à un père. Après un langage si clair, et qui marquait si bien mes dispositions, je m’attendais que la comtesse allait au moins les louer; ou que peut-être même, touchée de la façon de penser de la mère, et de la beauté du fils (car il est charmant), elle allait me parler de mariage: mais au contraire, elle s’est rendue, comme si mon but avait été qu’elle se rendit à mon refus.

Je suis au désespoir que votre indisposition ne vous ait pas permis de vous trouver là; je suis sûre que vous auriez éclairé cette mère, et que vous l’auriez amenée où je la veux. Marquez-moi s’il n’y a rien, dans ma conduite qui vous déplaise, ou qui ne tende pas au but que je me propose, dans ma position présente. Le marquis reparle de mariage très ardemment, c’est un point de gagné. Mais moi, dois-je supplier la mère de cet homme de me faire épouser son fils? je ne le crois pas. J’attendrai encore quelque temps. Il faut que je sois pressée: c’est ce que je dis à Edmond, et il me seconde assez bien de ce côté-là. Je sais, malgré ma jeunesse, qu’une femme de mon état risque le tout pour le tout, en épousant un jeune seigneur.

Je vous souhaite un prompt rétablissement, et surtout la tranquillité d’esprit. Ni vous ni moi ne pouvons commander aux événements, et notre volonté, qui n’y a pas eu de part, pourrait seule nous rendre coupable: mais dans ce cas-là même, faudrait-il nous désespérer? Nous n’avions qu’une raison d’être attachées à la vie, la voilà doublée; conservons-la.

49
{"b":"100939","o":1}