Lettre 147. Gaudet, à Laure.
[Il dit de belles vérités, sur la fragilité de la beauté: Mon Dieu! vous aviez mis en lui la connaissance et le goût de la vertu.].
18 septembre.
Je compte, chère amie, que la connaissance parfaite que vous avez de mon caractère, et les cruelles épreuves par lesquelles vous avez passé, vous garantiront à l’avenir de semblables malheurs. Je vous ai quittée sans inquiétude: mais il n’en est pas de même d’Ursule et d’Edmond! J’écris à ce dernier, mais sur un ton peu approfondi, de peur d’effaroucher son imagination blessée! Bon Dieu! dans quels écarts, dans quel sublime et sombre avilissement il s’était plongé! Son âme est forte: mais sa fougueuse imagination fait la loi à sa raison; sa sœur lui ressemble, et vous en connaissez les effets sur tous deux… La voilà guérie; mais elle est affreuse; j’espère cependant qu’elle ne l’est pas à toujours, et que si son imagination se calme, elle pourra reprendre quelques grâces, et être supportable. Mais qu’est-ce que d’être supportable, après avoir tout charmé, tout enchanté, tout subjugué!… Je vous avouerai, que je ne vois plus aucune jolie femme, à présent, sans éprouver un sentiment profond de commisération. Je sens comme elle sera malheureuse, un jour, lorsque privée de ces frêles avantages, elle se verra dédaignée, abandonnée, méprisée! La vieillesse d’une belle femme, si elle n’a pas fait provision de vertus, n’est pas une vieillesse, c’est une rage; et c’est avec bien de la raison que les Anciens disaient que la vieille Hécube, devenue laide et malheureuse, fut changée en chienne!… Il faudra placer Ursule quelque part, en attendant que les chairs soient revenues; elle serait mal avec vous, ou avec son frère, à cause des connaissances que vous avez tous deux; elle serait d’ailleurs trop abandonnée. Que sa pension ne vous embarrasse pas. Mais c’est Edmond qui m’inquiète!… Veillez sur lui, toutes deux, vous et Zéphire. Ce n’est pas que je ne craigne cette dernière! cette enfant a trop de mérite, et si Edmond s’exalte une fois, voilà un sot mariage qui se fera. Zéphire me fait trembler pour lui!… Ma chère Laure, quel beau naturel que cette Zéphire! Il n’y a pas un défaut dans cette petite tête de quinze ans, pas un vice dans son cœur; et l’on y voit mille vertus! N’allez pas croire que j’en sois amoureux! Non, non. Ursule m’a guéri de l’amour, je crois, pour la vie. Cette fille si belle, comme je l’ai vue! comme elle est aujourd’hui! Que je la plains! que je la trouve malheureuse!… Le pis qui pourrait lui arriver, c’est qu’elle retournât chez ses parents dans l’état où elle est; son bon père, imagination ardente ainsi qu’elle, commence à radoter; ils se feraient, sécher mutuellement de douleur, de regret et d’impatience… J’ai observé qu’une belle pécheresse excite un tendre sentiment dans le plus zélé convertisseur; dans l’âme de ceux mêmes qu’elle a le plus cruellement outragés, amants, amis, parents. Le premier, en la prêchant, sent malgré lui le pouvoir de la beauté; quelle que soit sa vertu, la nature repoussée reprend par intervalles le dessus; il tomberait à ses genoux, s’il ne se retenait; au milieu de sa plus grande véhémence, son ton, son œil s’adoucissent…, et la friponne ne manque pas de le voir. Les amants sont encore plus lâches. Les amis biaisent. Les parents au plus fort de leur colère, éprouvent la céleste influence de la beauté. Mais une pauvre laide! ah! personne ne la ménage; on lui parle avec aigreur, comme si on la voulait faire souffrir de l’impuissance où elle est de retomber.
Je crois que le plus sûr, pour préserver Edmond de Zéphire, c’est de l’engager à renouer avec la belle Parangon: cette femme, telle qu’une belle fleur que la grêle et l’orage ont seule respectée au milieu d’un parterre, a vu passer toutes ses égales en beauté; elle seule demeure toujours la même; c’est à cela qu’on distingue une belle d’une jolie: la belle Parangon le sera longtemps encore, après que les jolies seront déjà passées, fanées, ridées! Je me propose de lui parler d’Ursule: cependant avec ménagement. Elle est sensible, je sais qu’elle l’aime, et qu’elle l’aimera, tant que son cœur battra… pour Edmond.
Je finis, ma chère Laure, par un trait de morale. Vous autres femmes, vous êtes toutes, ou des prudes, ou des… catins;… à l’exception d’une catin, et d’une prude.
Lettre 148. Réponse.
[On met Ursule à l’hôpital.].
1er octobre.
Ursule est placée; Edmond vous l’écrit. Notre séparation me serre le cœur. Quand elle a vu cette maison de honte, où le désordre emprisonné fermente et empire (ce sont les expressions d’Edmond), ses larmes ont coulé. Elle s’est penchée vers mon oreille, et elle m’a dit: «Je l’ai mérité!» Ce mot m’a frappée comme un coup de foudre, et mon cœur a battu. Cependant, je l’ai consolée, en lui disant: «Vous n’êtes pas ici prisonnière; vous êtes libre et pensionnaire; vous avez votre chambre seule, propre; vous sortirez quand il vous plaira, pour prendre l’air hors de la maison, et vous aurez une. femme pour vous servir: je l’ai vue, elle est fort adroite et fort douce. Votre nourriture sera celle des officières; sans compter que vous aurez de nous tout ce qui vous fera plaisir. Enfin, vous vous rétablirez: cela sera long; mais votre médecin espère tout du temps, et que ces difformités disparaîtront enfin tout à fait, ou du moins presque entièrement.» Elle m’a baisé la main, à ce discours, en me répondant: «Laure, je suis difforme; mais ma maladie a changé mon cœur: je m’aime mieux comme je suis, qu’avec l’âme que, j’avais. Mais ne verrai-je pas Zéphire?» je lui ai dit que nous nous étions cachés d’elle, parce qu’elle s’opposait à notre plan, sans avoir de bonne raison à nous donner; puisqu’elle n’aurait pu la mettre que chez sa mère; ce qui était son dessein. «Non, non! a dit Ursule; et vous avez bien fait de vous cacher d’elle. J’aime Zéphire: mais plutôt tout autre lieu, que d’être chez sa marâtre. Que ne peut-elle la quitter!…» Nos adieux ont été bien tristes! Edmond surtout paraissait enseveli dans une rêverie profonde, dont rien n’a pu le tirer, que les larmes d’Ursule. Il l’a regardée, et se levant avec vivacité, il a fui, en se retournant avec effroi, comme s’il eût été poursuivi par un spectre; nous l’avons entendu pousser de profonds soupirs, et le père gardien, qui remplit parfaitement vos intentions, s’étant avancé pour le découvrir, il nous a dit qu’il était appuyé contre le mur, les deux mains jointes et son front dessus. Ursule a voulu le voir. Elle l’a prié de modérer sa douleur. Il ne lui a pas répondu; mais nous avons tous entendu sortir de sa bouche, à travers les sanglots, ces paroles «Ô misérable! voilà donc où tu as réduit ta sœur!» Il s’est ensuite tourné vers nous, le visage en pleurs; il nous a considérés d’un air farouche; puis il a descendu l’escalier précipitamment. Cette douleur, cet adieu sombre ont plus fait pour résigner Ursule, que tout ce que nous lui avions dit. Le père gardien a été parler aux supérieures; il leur a fait l’éloge d’Ursule, et sans mentir, mais en joignant habilement deux époques, très décousues, il a parlé du viol d’Ursule, et de sa maladie, comme si la seconde eût été la suite du premier. Il ne s’en est pas tenu là; il a, par vos ordres sans doute, augmenté la pension de tout ce qu’on a demandé, pour qu’Ursule fût aussi bien qu’il est possible. Il est ensuite revenu vers nous, et il l’a priée de ne faire ses confidences à qui que ce fût dans la maison. Je suis très contente de ce bon gardien; il était animé de votre esprit, et vous n’auriez pas mieux fait; outre que sa figure vénérable donnait beaucoup de poids à ses discours. Zéphire ne parle de lui qu’avec attendrissement, depuis qu’il a secouru Edmond dans sa maladie avec tant de zèle, et qu’il l’a comparée, elle, à la Samaritaine. Enfin, nous sommes sortis de cet endroit, qui m’a si fort déplu que je préférerais la mort à le choisir pour asile.