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On m’a pourtant donné quelques nouvelles consolantes. Ton mari… ah! c’est l’honneur de notre nom, comme j’en suis la honte!… ton mari a tout surmonté par sa vertu!…

Le cher Bertrand, qui te remettra cette lettre, te dira comme s’est fait mon mariage. Fête triste et lugubre!… J’étais en deuil: mes larmes ont coulé, presque des sanglots m’ont échappé au pied des autels. La cérémonie a été publique: Mme la comtesse, aïeule de mon fils, l’a voulu à cause de l’enfant; les deux familles du comte et de la comtesse y étaient, avec tous leurs amis et toutes leurs connaissances. Le cher enfant était beau comme un ange: tout le monde l’admirait; on ne pouvait se lasser de le caresser. Les étrangers mêmes s’écriaient: «Qu’il est charmant! c’est l’amour! Sa mère doit être bien contente!…» Et quand on a vu mes larmes… on a dit heureusement: «C’est de joie!» Il est vrai que j’en avais. Mais nos chers parents… qui sont morts de douleur!… Un coup d’œil sur Bertrand portait dans mon sein le poignard vengeur. Aux pieds de l’autel, les yeux fixés sur le tabernacle, j’ai vu, entre les cierges, de chaque côté, mon père… le regard menaçant, et ma mère, s’arrachant les cheveux, comme le jour de sa mort!… Du doigt, mon: père me faisait signe de m’anéantir. J’ai presque fait un cri et le mouvement de frayeur que j’ai eu a frappé tout le monde… J’ai entendu qu’on disait: «Elle pense au risque presque certain qu’a couru son fils, de n’être jamais à sa place.» Je me suis anéantie devant Dieu, suivant l’ordre de mon père: j’ai réclamé la céleste miséricorde, et j’ai fait vœu d’une humilité sans mesure, telle qu’elle convient à un néant infect, tel que moi… Au retour à la maison, je me suis vêtue comme à Au**, et j’ai demandé la permission de sortir, pour aller offrir à Dieu les prémices de mon mariage. Mme la comtesse y a consenti. J’ai employé la journée à visiter les pauvres et surtout les prisonniers: je le cherchais, hélas! parmi ces misérables…

Je te prie, ma chère sœur, de me mettre dans le cas de vous rendre à tous les services qui dépendront de moi: quoique les dettes de mon mari, et sa conduite actuelle le gênent beaucoup, sa famille est puissante, je n’y suis pas mal vue, on m’y veut infiniment de bien, à cause de mon fils; on s’empresse de m’honorer, afin de me rendre digne de mon rang.

URSULE R**, marquise de***.

Lettre 165. Edmond, à Marianne Frémi.

[Il la menace de la colère de Dieu!].

21 décembre.

Est-ce toi que je viens de voir, malheureuse!… Oui, c’est toi; toi, que ta fidélité à servir ta maîtresse dans la débauche, a fait mettre à l’hôpital; qui l’a servie dans sa pénitence, qui l’a suivie à Au**, et qui sans doute l’as abandonnée, puisque je te revois ici. Que fais-tu? Où es-tu?… Ta vue m’a troublé. Redonnes-tu dans le vice? dis, as-tu repris le vice?… Si tu as repris le vice, le vice te trahira: prends-y garde! le vice est un traître! Entends-tu? c’est Edmond qui t’écrit. Si tu le voyais, il te ferait trembler. Et c’est le vice qui l’a trompé, séduit, trahi. Je suis un exemple de la céleste colère: j’ai tué mon père, ma mère; j’ai tué Gaudet, le gardien; j’ai tué Zéphire; et Dieu me tue par un supplice lent et cruel. Crains Dieu! si tu es retournée au vice, Dieu te tuera, malheureuse! Y es-tu retournée? je le crois.

Quitte le vice; car il te tuera peut-être par ma main. Crains ma main! L’indignation contre le vice me met hors de moi. J’ai vu Laure. Un mouvement de fureur me saisissait, quand j’ai pensé que sans moi… J’ai rougi… Je vais la revoir aujourd’hui, ou demain… Je ne sais ce qui arrivera… Ma complice, ta maîtresse, ne peut trop se punir; elle a péché; mais moins que moi. Je suis un monstre; elle n’est qu’une faible créature. Mais si elle retombait, après m’avoir aidé à parricider père, mère… ma rage s’assouvirait, dussé-je tomber au fond de l’abîme… Périssent les parricides!… et j’en suis un; et elle en est une… Toi, tu fus sa servante; tu as vu ses crimes et son malheur, et tu l’as quittée pénitente, repentante! Te serais-tu lassée de voir le repentir? tu ne t’étais pas lassée de voir le vice!… T’a-t-elle renvoyée?… Non, je ne le crois pas; elle t’aimait. Pourquoi donc es-tu à Paris!… Ton séjour ici m’inquiète. Tu es à Paris!… Tu ne saurais y être que pour mal faire. Si tu y es pour mal faire, je t’avertis que le bras de Dieu est levé sur toi. Baisse ta tête coupable, et reçois le coup. Je baisse la mienne depuis longtemps, et le coup ne frappe pas!…

Adieu: lis, change, ou tremble.

Tu me connais: je me suis nommé.

(Cette lettre ne fut vue d’Ursule que lorsqu’elle était à la fin de la suivante.).

Lettre 166. La Marquise de***, à Mme Parangon.

[Dieu lui inspire le désir de sa mort, et elle la sent approcher.].

24 décembre.

On l’a vu, chère madame! Il a écrit! Où se cache-t-il, grand Dieu!… Que je le vois, et que j’expire!… Il est temps, madame: mon fils a douze ans et demi; il est presque formé; sans doute il va sortir de mes mains, et peut-être… Mon mari, devenu bon père, ne me présente plus qu’un avenir trop heureux pour moi… Je serais heureuse! pendant que mon frère… C’est l’impossible! il est temps, il est temps que je meure… Ne nous flattons pas, madame; la générosité de vos dispositions que je connais à l’égard d’Edmond vous honore; mais elle n’aura jamais d’effet, soyez-en sûre. Quoi! il serait votre mari! vous seriez sa femme! quel plaisir pourrait-il goûter, après la mort de son père et de sa mère, que nous avons tués! après… L’homme qui vous a fait violence serait reçu dans vos bras!… Celui qui… Je frissonne d’horreur!… Non, il n’y sera pas! non!… Et moi, ma carrière est finie… Si j’avais à souffrir encore, je pourrais compter des jours… Je n’en compterai plus… Mon Dieu! si vous me préparez la mort, daignez recevoir le sacrifice que je vous fais de ma vie!… Madame, le crime empoisonne l’air que je respire; il dénature l’âme; il en change les sentiments; même après le repentir, il laisse la porte fermée à la tranquillité, au repos: la seule innocence peut goûter le plaisir, et trouver le bonheur: les damnés, plongés dans le gouffre de feu, ne sont infortunés que parce qu’ils ont perdu le pouvoir de s’estimer, et que leur âme déformée par le crime ne peut se voir qu’avec horreur: ils sont eux-mêmes l’instrument hideux de leur supplice!… Je sais ce que j’ai fait, moi, à chaque fois que je me suis oubliée dans les bras de mon fils, mon tourment suspendu n’en acquiert ensuite que plus de force: lorsqu’il est dans mes bras, je me sens mère, honnête, estimable; dès qu’il m’a quittée, la main d’un Dieu vengeur écrit aussitôt sur les parois de ma chambre mes désordres passés… Je les vois, je les lis; ils sont peints par une invisible main… Je me vois libertine abandonnée… me livrant à mes penchants désordonnés me déshonorant… Je me vois avilie, logée dans la hutte du dogue, soumise à un porteur d’eau, à un nègre, affreux; traînée dans la mare par une valetaille frénétique; meurtrie, défigurée… Je me vois pis encore… prostituée de ma volonté; la dernière, la plus basse, la plus effrénée des plus viles des créatures… Je me vois… ô crime affreux! et quel en est le complice! La céleste justice l’écrit sur ma muraille en traits de feu et de sang… Je suis prête à me livrer au désespoir… Une voix secrète me parle alors; elle me dit ce que j’ai souffert; un sentiment de consolation me soulève, et je me jette aux pieds de mon Dieu… Mais à peine relevée, mes parents s’offrent à ma vue. Ils me demandent où j’ai pu me corrompre à cet excès!… Je demeure muette… Ô ma chère dame! je vous ferais pitié!…

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