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Je ne joute pas avec lui de finesse; il s’en apercevrait, et je serais sa dupe, comme bien d’autres: mais je lui dis clairement ce que je ne veux pas, ou ce que je veux: je le dis fermement. Ordinairement il cède au premier mot, et se conforme à mes volontés, comme à ces événements qui partent de causes supérieures, et qu’on ne saurait empêcher. Quelquefois, mais rarement, il forme des objections. Si je l’écoute, il me subjugue: mais si je l’arrête dès le premier mot, en répétant, je le veux, il me répond: «Cette raison-là vaut mieux que toutes les miennes, et cela sera…» Malgré ta finesse, cousine, je te conseille d’employer ma recette: c’est un conseil d’amie. Ce qui rend cette conduite sans inconvénients avec M. Gaudet, c’est qu’il ne connaît rien d’illicite que ce qui est contraire à l’avantage de la personne qu’il sert: mais aussi, comme il est fort éclairé, souvent on le croirait scrupuleux. Il faut alors l’écouter, et on a la satisfaction d’être convaincu; on est forcé de l’approuver, de vouloir et de penser comme lui. D’après cela, tu vois s’il a beaucoup de peine à conduire Edmond! Cent fois moins que toi et moi Ainsi, ma chère, que ce caractère décidé ne t’effraie pas c’est un guide sûr, que celui qui ne bronche jamais, et qui, s’il tombe quelquefois, ne le fait qu’en vous disant. Vous voulez que je tombe et tomber avec moi; je vais le faire pour vous complaire; prenons garde à nous faire mal! vous m’avertirez quand vous voudrez vous relever, et marcher plus fermement.» Adieu, chère cousine. Je te souhaite bien au-delà du triste jour (comme tu le nommes); qui ne sera cependant pas si triste; car il fera naître dans ton cœur la joie du danger passé, celle d’avoir un fils, et l’espoir d’un heureux mariage.

Lettre 55. Laure, à Gaudet.

[Ursule a un fils.].

30 juin.

C’est un fils. Elle est aussi bien qu’on peut l’être: je la garde, puisque l’absence de la belle dame me laisse une liberté entière. Edmond est venu. Je lui ai montré son neveu, en lui disant: «C’est un fils!» Il a paru transporté de joie. En vérité, j’en ai ri. Mais au fond, il a raison. Le marquis s’est présenté trois fois à la porte: elle a refusé de le voir. Elle en a envie, cependant, depuis que c’est un fils. Elle veut le nourrir. Je m’y oppose. Il faut ici le poids de votre autorité. J’ai fait prendre les précautions pour cacher ce que vous appelez, la valeur d’une négresse, la gloire d’une sauvage, et la honte d’une jolie Européenne. Nous avions là trois agneaux tout prêts, qui ont été inhumainement excoriés: je n’aurais pas été capable d’y consentir; mais le soin de notre beauté nous rend cruelles.

Je finis par ce mot qui porte sentence.

Lettre 56. Gaudet, à la cruelle Laure.

[Adresse du méchant Gaudet, pour empêcher Ursule d’allaiter.].

Même jour.

Mille compliments à l’aimable cousine: ma joie égale la sienne et celle du marquis, que je viens de voir avec Edmond. On ne peut les faire taire; ils parlent ensemble; ils se coupent la parole; n’y font aucune attention, et quand vous leur répondez à une question importante, ils vous en font une frivole. C’est tout ce que je puis en dire à présent à l’heureuse personne. Quant à vous, cruelle Laure, j’ai à vous gronder. Nourrir son fils est le devoir d’une mère, et ce sentiment si naturel, si légitime devait naître dans le cœur de la méritante personne auprès de laquelle vous êtes. Voilà ce que je pense. La jeune et charmante maman a dû vouloir ce qu’elle veut. Reste à savoir si nous devons nous y opposer. Je trouve que vous avez décidé la question un peu vite, mademoiselle Laure, et comme une véritable étourdie. Je voudrais être là pour vous en demander les raisons. Je suis sûre que vous n’en donneriez que de frivoles comme vous-même: la conservation de quelques attraits; la gêne, oh! surtout la gêne, la privation des plaisirs. Mais la jeune maman ne consentira jamais à perdre de vue l’objet de sa tendresse: elle a d’ailleurs sous les yeux un trop bel exemple pour ne pas l’imiter en tout: son amie, sa déesse, la belle dame fait nourrir sa fille sous ses yeux; elle lui rend tous les soins de mère, à l’exception de celui de l’allaiter; parce que l’allaitement laisse certaines traces, que certaines personnes, comme la belle dame et l’aimable maman, ont des raisons de ne pas conserver sur elles. Voilà, charmante étourdie, ce qu’il fallait dire à la petite maman, et n’ont pas ce que vous avez dit sans doute. Le parti que la belle dame a pris, est le seul à prendre, voilà mon avis, et je fais chercher à présent ce qu’il nous faut. C’est une fille que j’ai vue un de ces jours, de l’âge de la petite maman, assez jolie, douce, qui n’a eu qu’une faiblesse, et par inclination. Je vous l’enverrai tantôt. Elle restera dans la maison, et outre qu’on fera ainsi tout ce qu’on doit, on aura de plus le mérite d’une très belle charité envers cette pauvre fille.

P.-S. – Sur un papier séparé. Tu vois, ma belle, comme il faut s’y prendre, pour amener ces petites personnes à ce qu’on veut. Gage que ma lettre a produit son effet? Tu m’en diras des nouvelles.

Lettre 57. Mme Parangon, à Ursule.

[Elle lui donne de véritablement bons conseils.].

Ier juillet.

Ma très chère amie. J’apprends avec une joie inexprimable, que la terrible crise est passée: c’est à l’amitié la plus tendre et la plus vive à t’en féliciter. Mais, chère amie, c’est de ta conduite actuelle que va dépendre tout le reste de ta vie. Je ne te porterai certainement pas à l’ambition; on peut être heureuse sans être marquise: mais tu as un fils; il t’impose deux devoirs principaux, essentiels tous deux: le premier de lui donner le lait de sa mère; le second, de légitimer sa naissance. Grâces au Ciel, tu n’as rien à te reprocher, et ta singulière position est toute à ton avantage: mais quel présent que la vie, si tu ne donnes pas à ton fils une place parmi les citoyens? Si par ta faute, il descend au-dessous du rang de son père, au-dessous même du tien! Il faut ici de la vertu et quelque adresse, ma chère fille: ne t’en fie pas uniquement à ta beauté; emploie tous les moyens légitimes de captiver non seulement le marquis, mais de gagner encore l’estime de sa famille. Le premier de tous ces moyens, c’est de nourrir ton fils, de ne vivre, de ne respirer que pour lui; de le tenir d’une façon qui le rende aimable, et qui enchante une famille orgueilleuse et puissante. Tu seras mille fois plus intéressante aux yeux du marquis lui-même, ton fils sur ton sein, qu’avec la plus brillante parure. Ce n’est pas que je te conseille de te négliger de ce côté-là; au contraire, il faut que la propreté de ta personne soit plus recherchée que jamais. Je sais que c’est une recommandation inutile avec toi. J’espère te pouvoir rendre une visite demain. Ma chère Ursule, si tu réponds à mes vues, nous allons être plus unies que jamais. Il faut rappeler Fanchette de son couvent: nous n’avons plus de, raisons de la tenir éloigné de nous, et peut-être sera-t-il plus sûr, vu la prudence de cette chère enfant, de lui faire nos confidences; non pas entières pour moi; cela n’est pas nécessaire, mais pour tout ce qui peut lui être dit. Adieu, ma plus chère amie.

P.-S. – C’est au mariage que tu dois tendre. J’insisterais davantage encore; mais je crois que c’est le vœu général, et que personne n’a ici des vues en dessous.

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